Sex-toys, histoire d’o(bjets) : épisode 3/3 du podcast L'éco et les choses

Symbole féminin du vagin et du clitoris.
Symbole féminin du vagin et du clitoris. ©Getty - Tanja Ivanova
Symbole féminin du vagin et du clitoris. ©Getty - Tanja Ivanova
Symbole féminin du vagin et du clitoris. ©Getty - Tanja Ivanova
Publicité

Comment le commerce des objets sexuels s'est-il structuré ? Quels renversements successifs a-t-il connu, au fil de l’évolution des pratiques culturelles et intimes ?

Avec
  • Baptiste Coulmont professeur de sociologie à l’Ecole Normale Supérieure Paris Saclay
  • Virginie Girod docteur en histoire, spécialiste de l'histoire des femmes et de la sexualité

Une sexualité sans partenaire, sans contact, sans salissure, grâce à des objets aux technologies toujours plus complexes ? Les géants de la “sextech”, dans le sillon ouvert par le succès commercial du Womanizer depuis 2014, promettent de nous propulser par des jouets connectés et intelligents vers une nouvelle ère du fantasme.
La réalité aurait-elle dépassé la pensée de Freud et de ses continuateurs, qui parlent de “relation d’objet” pour désigner le rapport toujours pulsionnel qu’a le sujet avec les objets qui constituent le monde dans lequel il vit ? Pourtant, bien avant la naissance de Freud, la sexualité était de longue date le lieu d’interventions techniques. Les sex-toys s’immisçaient déjà dans les relations intimes au paléolithique et ont accompagné l’histoire humaine depuis. Il n’a pas fallu attendre le féminisme de 3e génération et ses revendications pour une juste reconnaissance du clitoris, pour voir poindre un commerce profitable d’objets sexuels.

Le sextoy, un objet commercial historiquement masculin ? Produire et échanger les jouets du plaisir du Paléolithique aux années 1980

Au XIXe siècle, c’est dans les bordels que se diffusent les sextoys. Ils sont alors l’objet d’une économie parallèle et souterraine, Baptiste Coulmont précise "dès l'électrification apparaît quelque chose de nouveau puisque les objets sexuels ne sont plus inertes et que l'électricité permet la création des premiers vibromasseurs. Autour de ces objets, il y a aussi les photos, les cartes postales, l'économie des maisons closes, des formes de lingerie qui encadrent la sexualité dans un dispositif commercial". Bien plus tard, dans les années 70 apparaissent en France les premiers sex-shops, ce sont des boutiques érotiques souvent cantonnées à des quartiers spécifiques, jugés malfamés, Virginie Girod ajoute "à Paris dans les années 70 il y a encore des quartiers chauds. La rue Saint-Denis est une rue qui est réservée à la prostitution et à ce type de commerces depuis très longtemps. Les prostituées travaillent encore dehors. On sait qu'à 16h30 à l'heure de la sortie des écoles, elles rentrent au café pour que les enfants ne les voient pas. On en trouve aussi dans le nord de Paris, autour de la place Clichy, autour du Moulin-Rouge, dans tous ces quartiers où il y a du spectacle, de la vie nocturne et donc une appétence pour la transgression puisque la nuit est propice à la recherche des plaisirs, surtout ceux que l'on veut cacher".

Publicité

Vendre du plaisir aux femmes : les dessous d’un succès marketing

Depuis leur émergence dans les années 1970, les sexshops échouent à attirer la clientèle féminine. Or, c’est une réserve de demande inestimable : lorsque les conditions matérielles en sont réunies, les femmes forment une solide base de marché pour un commerce très rentable. Valoriser le plaisir féminin, n’est-ce qu’une stratégie marketing ou un vrai moyen de libération et d’émancipation sexuelle ? Virginie Girod explique "on voit apparaître de nouvelles boutiques, comme au Passage du désir, qui ont des vitrines qui sont ouvertes sur la rue, avec des couleurs très pop et un design très féminin, qui incite à rentrer à l'intérieur. Il n'y a rien de très explicite, on est vraiment dans quelque chose de ludique et donc comme on ne doit plus avoir honte de rentrer, ce n'est plus coûteux de franchir le rideau, on y entre plus facilement. On y va en couple, seul.e ou entre copines pour trouver des jouets sexuels qui vont améliorer le quotidien". Le Womanizer tend à être présenté comme l’aboutissement d’un mouvement général de progrès, vers une sexualité plus égalitaire et soucieuse du plaisir des femmes, moins phallocentrée, qui s’extrairait peu à peu des codes et des dominations de genre. Selon Baptiste Coulmont "la justification de ces nouveaux produits est aussi basée sur la recherche scientifique, au nouveau par rapport à l'ancien, à l'idée de jouets par rapport à l'appareil domestique ou l'appareil médical, à la recherche en design par rapport au gadget".

Références sonores

  • Les Pieds sur terre, épisode du 18 juin 2020 “ Sex toys et libérations
  • Lecture - Le Bal des folles, roman de Victoria Mas publié en 2019 chez Albin Michel
  • Extrait du film Sex-shop de Claude Berri, 1972
  • Archive INA Microtrottoir sur les objets érotiques, émission "Bains de minuit" sur La Cinq, 1987
  • Extrait série "Sex and the city", saison 1 épisode 9 (“le lièvre et la tortue”)
  • Extrait série "Masters of sex",  Saison 1 épisode 6 - “Le meilleur des mondes”

Pour aller plus loin

  • Baptiste Coulmont et Irène Roca-Ortiz, de Sex-shops, une histoire française (Dilecta, 2007)
  • Virginie Girod : Les femmes et le sexe dans la Rome antique (Tallandier, 2020)

Références musicales