Des débats autour des biens ecclésiastiques durant la réforme grégorienne jusqu'aux stratégies patrimoniales post-1905, l'histoire de l'Eglise catholique se définit par la mise en oeuvre de mécanismes ayant permis de façonner, puis de protéger, un imposant patrimoine financier et foncier.
- Clément Lenoble chargé de recherche au CNRS, historien de la pensée scolastique et du Moyen-Âge
- Denis Pelletier Historien et sociologue des religions, Président de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes
Après les révélations accablantes de la Commission Indépendante sur les Abus Sexuels dans l'Eglise (CIASE), la question des finances de l'Eglise catholique est revenue sur le devant de la scène . Selon la Commission, 330 000 enfants et adolescents ont subi des abus sexuels de la part de religieux et de laïcs depuis 1950; des victimes que la Conférence des Évêques de France cherche aujourd'hui à indemniser. Si l'Eglise a rompu avec son opulence passée et peine parfois à rémunérer ses prêtres, elle dispose toujours de richesses importantes.
Ce sont les comptes du clergé de France que nous allons aujourd'hui éplucher.
Pour en parler, Tiphaine de Rocquiny reçoit en studio Denis Pelletier, historien contemporanéiste, directeur d’études à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes (EPHP) et Clément Lenoble, historien médiéviste, chargé de recherche CNRS, rattaché au Centre Interuniversitaire d’Histoire et d’Archéologie Médiévale à Lyon (CIHAM) en report-it.
Construire et définir un patrimoine
Suite à la réforme grégorienne menée au XIème siècle, Rome opère une réorganisation patrimoniale et foncière majeure qui passe par le désengagement des biens de l’Eglise des droits de propriété des laïcs. Les biens ecclésiastiques deviennent ainsi des biens sacrés, inaliénables et inappropriables : les gestionnaires de l’Eglise ne peuvent ainsi pas les vendre, se les approprier, ni les donner. Ils les administrent uniquement au nom de l’Eglise.
Selon Clément Lenoble, "les qualités du "bon administrateur" ecclésiastique reposent sur les compétences de gestion d'un moine ou d'un clerc. A partir du XIIème siècle, le droit canonique établit un monopole du clergé sur la gestion des biens sacrés; biens qui regroupent des terres, des bâtiments et des objets de culte. Au cours du Moyen-Âge et à l'Époque moderne, les modes de gestion des propriétés ecclésiastiques ont été érigés comme des modèles pour la gestion du capitalisme marchand(...) Les moines, qui décrivent alors comme ascétique leur manière d'administrer les biens de l'Eglise, développent une conception de la gestion comptable que l'on retrouve, à partir du XIVème siècle, chez les marchands italiens".
Pour Denis Pelletier, "il est compliqué d'évaluer l'ensemble des biens et des propriétés dont disposait l'Eglise sous l'Ancien Régime. Cependant, au moment de la nationalisation des biens du clergé durant la Révolution Française, il a été observé que les autorités françaises ont récupéré 6% des terres du pays, ce qui est absolument considérable".
L’Eglise au XXe siècle : les nouveaux enjeux de la laïcité pour la gestion du patrimoine
A l’aune de la sécularisation, la séparation de l’Eglise et de l’Etat a largement transformé le patrimoine de l'Église, sa gestion ainsi que son administration. Au cours du XXe siècle et avec l’accroissement urbain, de nouveaux besoins se font sentir alors pour les associations de cultes.
Selon Denis Pelletier, "Sous le système du Concordat, mis en place par Napoléon Ier en 1801 en vue de régler la crise révolutionnaire et religieuse, un Budget des cultes avait été instauré. Celui-ci représentait, selon les périodes, entre 3 et 4% du budget total de l'Etat. Il permettait ainsi de financer le salaire des "ministres du culte" catholiques, protestants, puis juifs à partir de 1831, les bourses des jeunes séminaristes, ainsi qu'à entretenir les bâtiments religieux. Ce système se grippe ensuite pour des raisons diplomatiques et conduit à la mise en place de la Loi de 1905. Son Article 2 oblige alors l'Etat à ne subventionner plus aucun culte. Pour la première fois, l'Eglise doit subvenir seule à ses propres besoins. Les évêques mettent alors en place le "denier du culte" qui se finance à partir de la charité des fidèles. Cela s'est alors traduit par le transfert des fonds issus de la charité des entreprises missionnaires menées à l'étranger, vers le financement du fonctionnement interne de l'Eglise de France".
Pour aller plus loin
L’État, l’argent et les cultes de 1958 à 1987 : contribution à l’histoire de la laïcité française, Jean-Pierre Moisset, Presses Universitaires de Rennes, 2018
Références sonores
- Extrait du film Un drôle de paroissien de Jean-Pierre Mocky (1963)
- Extrait du film Robin des bois des StudiosDisney (1973)
- Extrait du film Léo Morin, prêtre de Jean-Pierre Melville (1961)
- Extrait du film La Marseillaise de Jean Renoir (1938)
- Témoignage d'une fonctionnaire et de Christian Grolier, secrétaire général de la Fédération générale des fonctionnaires, France 2, 20 octobre 2020
- Lecture d’un extrait de Anéantir de Michel Houellebecq (2022) par Tiphaine de Rocquiny
Références musicales
Y'a plein d'argent au Vatican - J.P.P.L.L (2015)
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