Les ravages de l’auto-justice

 Le long de la frontière entre les États-Unis et le Mexique, les "Minutemen" qui forment un corps armé de défense civile, se répartissent pour empêcher les migrants de franchir le territoire des États-Unis.
 Le long de la frontière entre les États-Unis et le Mexique, les "Minutemen" qui forment un corps armé de défense civile, se répartissent pour empêcher les migrants de franchir le territoire des États-Unis. ©Maxppp - © Dave Gatley
Le long de la frontière entre les États-Unis et le Mexique, les "Minutemen" qui forment un corps armé de défense civile, se répartissent pour empêcher les migrants de franchir le territoire des États-Unis. ©Maxppp - © Dave Gatley
Le long de la frontière entre les États-Unis et le Mexique, les "Minutemen" qui forment un corps armé de défense civile, se répartissent pour empêcher les migrants de franchir le territoire des États-Unis. ©Maxppp - © Dave Gatley
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Comment contenir les aspirations individuelles à rendre justice en dehors du cadre légal ? Cette semaine, "Esprit de justice" s’interroge sur les dérives du vigilantisme avec Gilles Favarel-Garrigues et Laurent Gayer, chercheurs en sciences politiques au Centre de recherches internationales du CNRS.

Avec
  • Gilles Favarel-Garrigues Chercheur au Centre d'études et de recherches internationales (CERI/Sciences Po, Paris)
  • Laurent Gayer Chercheur au Centre d'études et de recherches internationales (CERI/Sciences Po, Paris)

On voit fleurir un peu partout dans le monde, sous des formes différentes, une nouvelle forme de violence criminellequi s’insurge contre le crime. Ces nouveaux justiciers peuvent appartenir à la police, venir de milices ou se trouver au sommet de l’État (comme aux Philippines). Cette violence se nourrit d’une détestation de l’institution judiciaire qualifiée de laxiste et des médiations procédurales supposées inefficaces. La France aurait tort de se croire immunisée contre de telles dérives comme l’a montré la récente manifestation de policiers contre la magistrature.  

Ce sujet a été traité par deux chercheurs en sciences politiques au Centre de recherches internationales du CNRS, Gilles Favarel-Garrigues, spécialiste des questions de déviance (notamment à partir d’enquêtes menées en Russie) et Laurent Gayer, spécialiste du sous-continent indien. Ils signent Fiers de punir : le monde des justiciers hors-la-loi qui vient de paraître au Seuil le 6 mai 2021.

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Une pratique universelle ? 

Ce qui est intéressant avec la traque du pédophile, c'est que c'est une forme d'auto-justice qu'on voit dans beaucoup de contextes très différents. Aujourd'hui, il est extrêmement difficile de dire qu'elle est associée à notre époque. Mais ce qui est certain, c'est qu'il y a des sortes de savoir-faire dans cette chasse qui circulent internationalement. Gilles Favarel-Garrigues

Le spectacle du châtiment 

En réaction au développement en Russie de comptes YouTube spécialisés dans l’auto-justice.

Ces justiciers entrepreneurs sont des sortes de YouTubeurs qui investissent des niches d'auto-justice et sont aussi bons dans l'intimidation physique que dans le montage de leurs vidéos, dans lesquelles ils font des coupes afin de montrer leurs actions sous le meilleur jour possible. C'est en cela que ce sont des entrepreneurs. Ils sont représentatifs du développement du numérique en Russie, des médias sociaux et de la volonté de faire des spectacles lucratifs à partir de l'auto-justice. Les revenus qu'ils tirent de leurs activités sur YouTube, et le fait qu'ils fassent du placement de produits dans leurs vidéos, montrent très bien cette ambivalence. Gilles Favarel-Garrigues

En réaction à l’émission To Catch a Predator ("Attraper un prédateur") une émission de téléréalité américaine diffusée de novembre 2004 à décembre 2007 par la NBC

ll y a un lien historique et anthropologique entre l'auto-justice et la chasse. Pour revenir à cette chasse aux pédophiles précisément, ce qui est fascinant, c'est la manière dont cette émission va standardiser à la fois un vocabulaire et un répertoire d'action qui vont ensuite établir une boîte à outils relativement simple. Après tout, l'auto-justice est une forme bon marché de maintien de l'ordre. Laurent Gayer 

La Suite dans les idées
41 min

Des pratiques qui s’apparentent au lynchage  

L’auto-justice, qui se revendique d'agir au nom de paniques morales concerne des cibles particulières. (…) Qui choisissent-il comme proies ? Eh bien souvent, ce qu'on voit, c'est que ce sont des populations étrangères ou marginales, accordant au justicier des chances d'impunité. Ils choisissent quand même des victimes qui sont des proies faciles, des proies vulnérables qui vont susciter l'opprobre de l'ensemble de la communauté. Qui vont faire consensus, et qui ne trouveront pas de moyens de défense extérieurs ou intérieurs leur permettant justement de faire face à l'action des justiciers. Gilles Favarel-Garrigues

La grande différence avec le lynchage est que le vigilantisme comporte un degré d'organisation et de routinisation supérieur. L’action archétypale du vigilantisme est la patrouille : la patrouille au niveau du quartier, sur la frontière, pour préserver le territoire des invasions étrangères… Dans ces formes déjà un peu plus organisées d'auto-justice, on va faire appel à des savoir-faire violents, et donc fort logiquement, on va les trouver dans les métiers d'armes, chez les professionnels du maintien de l'ordre ou chez les amateurs des armes et les chasseurs. C'est aussi là qu'on va retrouver ces savoir-faire cynégétiques. Laurent Gayer 

Pour en savoir plus 

Sur Laurent Gayer
Sa présentation par le Centre de Recherches Internationales de Sciences Po Paris
Ses publications disponibles sur le site cairn.info
Ses publications disponibles dans La vie des idées, une revue en ligne rattachée à l'Institut du monde contemporain du Collège de France

Sur Gilles Favarel-Garrigues
La présentation du chercheur par le Centre de Recherches Internationales de Sciences Po Paris
Ses publications disponibles sur le site cairn.info
« Un pays de juristes ? » Usages du droit et de la force dans l’exécution des décisions judiciaires en Russie, conférence du chercheur pour le Centre international de criminologie comparée

Extraits musicaux

"Bakassi Owaa" par Edu Ghana - Album : Papa Jas-Man (2013) - Label : Southpoint International.

"Vigilante Man" par Woody Guthrie - Album : Dust bowl ballads (1940) - Label : EMI.

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