Vivre et survivre dans la violence

Culiacán au Mexique.
Culiacán au Mexique. ©AFP - CRISTIAN DIAZ
Culiacán au Mexique. ©AFP - CRISTIAN DIAZ
Culiacán au Mexique. ©AFP - CRISTIAN DIAZ
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Comment vivent au quotidien celles et ceux qui sont confrontés à la violence extrême, celle causée par les trafics de drogue et les conflits ? Et qu'ont les sciences sociales à nous raconter de ces situations de détresse et de vulnérabilité ?

Avec

Notre époque est marquée par le retour de la guerre et par une montée en puissance de ce que Frédéric Gros appelle des « états de violence ». Ce constat mobilise beaucoup les études politiques et stratégiques qui considèrent ces situations depuis le point de vue des décideurs en tentant de dégager des tendances géopolitiques sur le long terme. 

C’est une autre approche que notre émission propose en regardant ces violences non plus d’en haut mais depuis le point de vue des gens qui les subissent. Comment vit-on, comment survit-on dans ces états de grande violence ? Quel type de socialisation sécrètent de telles situations ? On tentera de répondre à ces questions à partir de deux exemples : un village mexicain de la région du Sinaloa qui est l’un des épicentres des narcos et une petite ville, Pweto, dans la province du Katanga de la République démocratique du Congo traversée par des conflits extrêmement meurtriers. Ces deux terrains ont été étudiés par deux anthropologues, invités de l'émission : 

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  • Michel Naepels, qui a publié entre autres, Dans la détresse. Une anthropologie de la vulnérabilité, Paris, Éditions de l'EHESS (2019)
  • Adèle Blazquez, docteure en anthropologie à l’EHESS qui vient de publier : L’aube s’est levée sur un mort. Violence armée et culture du pavot au Mexique (éditons du CNRS, 2022)
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La violence vue depuis celles et ceux qui la subissent

Michel Naepels raconte les origines de son étude et le contexte dans lequel elle s'inscrit : "Entre 2011 et 2016, la période pendant laquelle j'ai enquêté, un groupe armé de paysans s'est reformé dans cette région. Il y en avait déjà eu auparavant et j'ai du coup assisté à l'expérience que vivaient les habitants de cette région de vivre sous la menace directe d'un groupe armé d'une part, mais aussi de l'Armée nationale congolaise qui luttait contre ce groupe armé - et dont les pratiques vis-à-vis des civils sont parfois comparables à celles du groupe milicien en question".

Pour Adèle Blazquez, c'est cette même envie de raconter le bouleversement dans la vie des populations qui vivent sous la menace constante d'un drame qui est à l'origine de son enquête : "Dans ce lieu qui est saturé de discours, d'images, le point de départ est de décaler le regard, et de justement m'intéresser aux personnes qui vont par exemple tenir une épicerie, cultiver une parcelle et être employées municipaux dans la mairie. Des personnes qui habitent au centre de ce lieu et qui tâchent justement de survivre dans cet état d'incertitude".

Face aux violences et à la mort : comment s'adapter ? 

A Badiraguato, commune rurale du Mexique et terrain d'enquête d'Adèle Blazquez, la mort frappe régulièrement, si souvent que ses habitant.es ont l'habitude, en se réveillant, d'entendre cette formule lapidaire : "amaneció un muerto" soit "l'aube s'est levée sur la mort". L'anthropologue a d'ailleurs choisi d'en faire le titre de son ouvrage, notamment parce qu'elle est révélatrice d'une euphémisation de la mort par celles et ceux qui vivent avec quotidiennement : "Elle a la particularité d'enlever toute action, de juste poser le constat : le jour s'est levé, et en fait, il y a un mort dans le village."

Comment les sociétés, les individus, s'organisent face à cette violence sourde et soudaine ? Comment se réajustent les relations familiales et sociales ? Dans le cas de la République démocratique du Congo, Michel Naepels note qu'une importante partie de la population doit se déplacer à cause des conflits. Ainsi, une grande instabilité marque la vie des individus : "les espaces de socialisation qui nous paraissent et qui paraissaient à l'anthropologie en particulier, comme les plus stables, les plus typiques de ces sociétés, existent bien, mais laissent une marge de désaffiliation et de réaffiliation permanente qui est démultipliée par la violence."

Pour aller plus loin :

Extraits musicaux 

  • Le choix d'Adèle Blazquez : Los Tigres Del Norte - El Avion De La Muerte
  • Le choix de Michel Naepels : Patti Smith - Helpless
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