Innée ou acquise, vilain défaut ou raison de vivre, la curiosité des enfants peut-elle se cultiver, pour apprendre à l'école... et après.
- Catherine L'Ecuyer Docteure en sciences de l’éducation et psychologie, conférencière et auteure
- Jean-Pierre Martin Écrivain, essayiste, membre honoraire de l’Institut universitaire de France, et professeur émérite de littérature à l’université Lyon 2
- Denis Kambouchner Professeur émérite à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, historien de la philosophie moderne (XVIIe siècle), spécialiste de Descartes
"La curiosité est un vice qui a été stigmatisé tour à tour par le christianisme, par la philosophie et même par une certaine conception de la science. Curiosité, futilité. Le mot, pourtant me plait ; il évoque le "souci"; il évoque le soin qu'on prend de ce qui existe et pourrait exister ; un sens aiguisé du réel mais qui ne s'immobilise jamais devant lui ; une promptitude à trouver étrange et singulier ce qui nous entoure ; un certain acharnement à nous défaire de nos familiarités et à regarder autrement les mêmes choses ; une ardeur à saisir ce qui se passe ; une désinvolture à l'égard des hiérarchies traditionnelles entre l'important et l'essentiel. Je rêve d'un âge nouveau de la curiosité." Ces quelques mots sont extraits d’un entretien de Michel Foucault qui date de 1980…
Mais la curiosité, même bien aiguisée, est-elle un bon guide pour apprendre? Ne fait-elle pas courir le risque du papillonnage, de la superficialité, de la panique des désirs? Et l’enfant est-il naturellement curieux ou est-ce une vision d’adulte ? Et si cette curiosité existe au départ, comment la cultiver, et maintenir sa flamme chez les tous les enfants, en classe et après? Et même, comment rester curieux à tous les âges ?
Trois auteurs avec nous autour de ce sujet aujourd’hui : Catherine l’Ecuyer, Denis Kambouchner et Jean-Pierre Martin, à qui j’ai emprunté la citation de Michel Foucault. Invités à qui nous demanderons ce qu’il en est de la curiosité à l’heure du numérique – le temps passé sur les internets augmente-t-il ou bride-t-il notre curiosité ?
Avec :
- Jean-Pierre Martin, romancier et essayiste, auteur notamment de La curiosité, une raison de vivre, Autrement, 2019 (lauréat de la bourse Cioran 2019).
La curiosité c'est une attention au monde qui nous entoure, à tout ce qui nous est inconnu, un élan, une vitalité.
Nous avons presque le devoir éthique, vis à vis des enfants, de répondre à toutes les questions qu'ils nous posent.
La curiosité c'est aussi très proche de l'esprit d'enfance, c'est proche de l'esprit critique et de la liberté de penser.
Pour cultiver la curiosité il faut aussi se mettre au diapason d'une nouvelle ère de la curiosité.
Paul Valéry est un grand penseur de la curiosité.
Je n'envisage pas la curiosité seulement d'un point de vue cognitif, mais aussi sur le plan existentiel : tout est une énigme, du cosmos au cageot comme dirait Francis Ponge, Jean-Pierre Martin.
- Catherine L’Ecuyer, docteure en sciences de l’éducation et en psychologie, conférencière et auteure de Cultiver l’émerveillement, Eyrolles, 2019.
L'émerveillement c'est le désir d'apprendre que l'être humain a par nature - c'est aussi ne rien tenir pour acquis. C'est une ouverture active face à la réalité telle qu'elle est, sans filtre, sans jugement.
Un des ennemis de la curiosité c'est la surstimulation, notamment avec le numérique. La surconsommation c'est le contraire de l'émerveillement.
Il est important de faire la différence entre la fascination, qui est plutôt passive, qui capte notre attention et où l'enfant n'a pas les rênes de la situation, et l'émerveillement, qui est une ouverture active face à la réalité.
Les enfants ont une affinité toute particulière avec le mystère, parce que c'est une opportunité infinie de connaître.
Dire que l'école tue la curiosité est un constat sans nuance. L'instruction n'est pas suffisante mais sans contenu, pas d'émerveillement, c'est le néant.
La question c'est, qui peut faire en sorte que l'information soit connaissance pour nos enfants? C'est évidemment le professeur, Catherine L'Ecuyer.
- Denis Kambouchner, philosophe et historien de la philosophie, auteur de Quelque chose dans la tête, Flammarion, 2019.
Le procès de la curiosité est derrière nous, il a longtemps été lié à des motifs religieux. Malgré tout les Lumières l'ont emporté.
Le fait est que l'école, avec ce qu'elle impose de discipline, ne répond pas forcément de façon immédiate et naturelle aux questions que se posent les enfants. Mais tout dépend bien sûr de l'enseignant, et de si celui-ci a conservé sa propre curiosité.
L'enfant ne peut être dans l'émerveillement que s'il comprend le prix des choses, c'est là qu'il y a un déficit.
Tout dans l'éducation est une question de proportions, entre l'approche de contenus relativement normés et l'évocation de beaucoup d'autres choses, mais l'enseignant doit d'une manière générale montrer des horizons, Denis Kambouchner.
Illustrations sonores :
- "Peace and tranquility to earth", Roudoudou (2001).
- "Plus tard", Bigflo et Oli (2018).
- Extrait du film Les malheurs de Sophie, de Jean-Claude Brialy, 1981.
Pour aller plus loin :
La leçon de choses de Sophie Bober :
Avec Sarah Ourahmoune, boxeuse médaillée, auteur de Mes Combats de femme (avril 2019, R. Laffont).
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