Alors que l'actualité a été marquée par de nombreux faits de violence chez les jeunes ces dernières semaines, Etre et savoir s'interroge : que traduit cette violence, est-elle exponentielle, accentuée par le confinement ? Et surtout, comment la prévenir, quelle place pour l'éducation ?
- Véronique Le Goaziou Sociologue et ethnologue
- Marie-Rose Moro Psychiatre pour enfants et adolescents, psychanalyste, directrice de la maison de Solenn et professeure à l'université Paris-Descartes
- Nora Tirane Fraisse fondatrice de l'association 'Marion la main tendue'
Différents faits divers très violents ont marqué l’actualité récente : le passage à tabac du Yurih, 15 ans, à Paris en janvier. Deux rixes entre bandes qui ont abouti aux morts de Lilibelle, 14 ans, poignardée à Saint-Chéron, et de Toumani, 14 ans, poignardé à Boussy-Saint-Antoine, également dans l’Essonne, en février. Le meurtre d’Aymen, 15 ans, tué par balles à Bondy et enfin l’assassinat de la jeune Alisha, 14 ans, par deux élèves de sa classe en mars à Aubervilliers. Des violences adolescentes et des morts qui nous bouleversent et nous troublent, ce ne sont pas là des formules.
Nous allons essayer de comprendre ce soir de quoi ces violences, entre bandes, entre pairs, sont l’expression. Si la violence juvénile relève d’une anomie qui traverse les époques ou si elle est spécifique à la nôtre. Mais même… Si les bagarres, le harcèlement ne sont pas inédits, il n’en reste pas moins que ces évènements nous disent quelque chose de la société et qu’ils engagent des réponses éducatives maintenant. Dès lors, comment adapter la prévention à l’heure où les relations se nouent à la fois dans les versants physiques et numériques des mondes adolescents, et dans le contexte si spécifique de la pandémie de Covid 19 ?
Nous en parlons avec nos invitées, la sociologue et ethnologue Véronique le Goaziou, chercheuse associée au LAMES (MMSH-CNRS) à Aix-en-Provence, autrice notamment de Les jeunes, la sexualité et la violence (Fabert, 2020) ; la psychiatre pour enfants et adolescents et psychanalyste Marie-Rose Moro, directrice de La maison de Solenn et professeure à l'Université de Paris, auteure de Quand ça va, quand ça va pas : leur(s) famille(s) expliquée(s) aux enfants et aux parents (Glénat, 07/04/21), et Nora Fraisse, fondatrice, directrice générale et porte-parole de l’association Marion Fraise La main tendue et autrice de Marion, 13 ans pour toujours (Calmann-Lévy, 2015).
Vous entendrez également dans l'émission les voix du sociologue David Le Breton, professeur de sociologie et d’anthropologie à l'université de Strasbourg et membre du laboratoire DynamE (Dynamiques Européennes, CNRS - Université de Strasbourg), auteur notamment de Conduites à risque. Des jeux de mort au jeu de vivre (PUF, 2013), et de Jasmine Rilos, chef de service prévention spécialisée à Grigny pour l’association OSER.
Une problématique ancienne
Ces rivalités entre groupes sont anciennes en réalité, les gestes et les motifs de ces comportements n’ont guère changés, explique Véronique Le Goaziou.
Cela nous bouleverse car notre rapport à la violence à changé avec le temps et nous avons plus de mal à mettre des dérivatifs à ces passages à l’acte. Véronique Le Goaziou
On retrouve toujours les mêmes motifs, des histoires amoureuses, d’honneur, de respect, l'esprit de vengeance, quelque chose de l’ordre du rite initiatique et de la constitution de la virilité. Véronique Le Goaziou
Construction de soi et de l’autre
Il y a une difficulté pour ces jeunes dans l’articulation entre l’individuel et le social, dans la construction du rapport à soi et aux autres, analyse Marie-Rose Moro.
Ce qui me frappe c’est l’impulsivité et le manque d’empathie, il y a un déficit de la relation à l’autre qui ne peut se faire que dans la vengeance ou sur le mode de l’effraction. Marie-Rose Moro
La période de l’adolescence est une période de grand conformisme et de grand contrôle social dans le groupe. Véronique Le Goaziou
Il faut bien comprendre que les auteurs et les victimes sont interchangeables dans ces rivalités et ces affrontements. Véronique Le Goaziou
Un sujet politique
Le harcèlement c’est une affaire de société, une affaire politique, de santé et de sécurité publique qui nous concerne tous, rappelle Nora Fraisse.
Il n’y a pas une violence des filles et des garçons, le cyber-harcèlement est un phénomène qui nous touche tous, ce qui change ce sont les conditions d’exercice de cette violence. Nora Fraisse
Ce n’est pas qu’une histoire de gamins, c’est une histoire d’éducation et nous sommes tous educateurs. Nora Fraisse
Nuance et sens moral
Selon Marie-Rose Moro, ce qui manque à ces jeunes c’est de la complexité, de la nuance et de la bienveillance.
La sociabilité adolescente nourrie par les cultures de rue est traversée d’embrouilles, de conflits, de réconciliations, et d’une vision morale sommaire du monde. David Le Breton
Il y a un basculement des codes de l’honneur a partir des années 70 ou 80, ces affrontements ne provoquent aucune culpabilité, il y a une sorte de neutralisation morale de ces comportements. David Le Breton
Dans ces affrontements entre bandes, on est dans une surrenchère virile. Pour le garçon le risque pour le sentiment d’identité est beaucoup plus important que le risque pour sa vie. David Le Breton
Le sens moral ou l’empathie ne tombent pas des arbres, cela doit se construire justement à l’adolescence mais ces jeunes n’ont pas la capacité de les construire eux-mêmes, ce qui pose la question des adultes. Véronique Le Goaziou
L’importance de l’école
On ne peut pas parler des enfants et des adolescents sans les rencontrer, Il faut aller dans les écoles, c’est là que tout se joue, rappelle Nora Fraisse.
L’école c’est le lieu de la socialisation mais c’est aussi le lieu des amours déçus et des ratés quand cela ne fonctionne pas. Marie-Rose Moro
Souvent ces violences se passent devant l’établissement scolaire, ça dit quelque chose du sentiment d’exclusion, l’école c’est le premier réseau social. Nora Fraisse
Le manque de moyens
Tous s'accordent à dire que les dispositifs sans moyens ne peuvent fonctionner.
Ces motivations ne sont jamais gratuites, il y a toujours des raisons à violenter ou à tuer. Ces jeunes manquent d’adultes référents qui vont aller porter une autre vision du monde et introduire une médiation, mais on a très peu de professionnels sur le terrain. Véronique Le Goaziou
En pédopsychiatrie on a surtout besoin de soignants, de personnes bien formées, nous manquons cruellement de personnel, d’où le fait que les consultations augmentent aux urgences. Marie-Rose Moro
Le rôles des réseaux sociaux
Les réseaux sociaux sont des amplificateurs mais ce sont les mêmes motifs qui existent, ils ne créent pas l’hyperviolence ils l’amplifient, analyse David Le Breton.
Avec la crise les jeunes se trouvent moins sur l’espace public et plus sur les réseaux sociaux, on observe un déplacement du lieu. Jasmine Rilos
Il y a toujours des allers-retours entre le réel et le virtuel dans les violences qui n’est pas évident à jauger et à accompagner. Jasmine Rilos
Le cyber-harcèlement n’est qu’un lieu supplémentaire, ce n’est pas sur l’internet qu’il faut agir c’est sur les compétences psycho-sociales. Nora Fraisse
On parle toujours des dangers d’internet mais le danger c’est celui d’un mésugage. Nora Fraisse
Lien vers le rapport de Marie Choquet, Christine Hassler et Delphine Morin sur le site de l'INSERM (2017) : Violences des collégiens et lycéens : constats et évolutions.
Retrouvez l'enquête de Zineb Dryef dans Le Monde du 05/03/21 : Les gamines à la dérive de Barbès.
Lien vers l'article de Stéphanie Marteau dans Le Monde du 05/02/21 : Derrière la violente agression de Yuriy à Paris, des bandes de quartier, violentes et ultraconnectées.
Lien vers le baromètre de l'IFOP (mars 2021) : Harcèlement entre pairs en milieu scolaire, quelle est l'ampleur de ce phénomène ?
Lien vers l'article de Denis Cosnard dans Le Monde du 05/02/21 : A Paris, la crise sanitaire a freiné la délinquance.
Retrouvez l'entretien avec la sociologue Laurence Allard dans le Figaro du 12/03/21 : Violence des jeunes : «Sous l’apparence de la culture “LOL”, ils se disent qu’ils peuvent tuer».
Lien vers l'article de Courrier International du 20/03/21 : Vue d'Allemagne. La pandémie, facteur aggravant des violences entre jeunes en France.
Illustrations sonores
- Maëlle, L'effet de masse (2019)
- José Gonzalez, El invento (2021)
L'équipe
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