

Les souvenirs des privations de l’Occupation et des enfances paysannes se rejoignaient dans un passé révolu. Les gens avaient tellement la conviction de vivre mieux."
"À la moitié des années cinquante, dans les repas de famille, les adolescents restaient à table, écoutant les propos sans s’y mêler, souriant poliment aux plaisanteries qui ne les faisaient pas rire, aux remarques approbatrices dont ils étaient l’objet sur leur développement physique, aux grivoiseries voilées destinées à les faire rougir, se contentant de répondre aux questions émises précautionneusement sur leurs études, ne se sentant pas encore prêts à entrer de plein droit dans la conversation générale, même si le vin, les liqueurs et les cigarettes blondes autorisées au dessert marquaient le début de leur intronisation dans le cercle des adultes.
Après les commentaires sur les plats en train d’être dégustés, qui appelaient les souvenirs des mêmes mangés en d’autres circonstances, les conseils sur la meilleure façon de les préparer, les convives discutaient de la réalité des soucoupes volantes, du Spoutnik et de qui, des Américains ou des Russes, irait les premiers sur la lune, des cités d’urgence de l’abbé Pierre, de la vie chère. La guerre finissait par revenir sur le tapis. Ils rappelaient l’Exode, les bombardements, les restrictions de l’après-guerre, les zazous, les pantalons de golf. C’était le roman de notre naissance et de notre petite enfance, qu’on écoutait dans une nostalgie indéfinissable, la même qu’on ressentait en récitant avec ferveur Rappelle-toi, Barbara, recopié dans un cahier personnel de poèmes. Mais dans le ton des voix il y avait de l’éloignement. Quelque chose s’en était allé avec des grands-parents décédés qui avaient connu les deux guerres, les enfants qui poussent, la reconstruction achevée des villes, le progrès et les meubles à tempérament. Les souvenirs des privations de l’Occupation et des enfances paysannes se rejoignaient dans un passé révolu. Les gens avaient tellement la conviction de vivre mieux."
Adaptation : Sophie Lemp
Réalisation: Etienne Vallès
Avec Ludmilla Mikael, Marina Moncade, Jacques Gamblin Et les voix de Yolande Folliot, Hervé Colombel, Philippe Beautier, Thomas Sagols.
Prise de son et Mixage: Philippe Carminatti
Assistance technique et Montage : Matthieu Leroux
Assistante à la réalisation: Louise Loubrieu
Les années de Annie Ernaux, est publié aux éditions Gallimard, l’œuvre intégrale est disponible dans la collection Ecoutez Lire aux Editions Gallimard
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