Maîtres anciens publié en 1985 est l’avant-dernier roman de Thomas Bernhard. Il se déroule entièrement dans une salle du musée d’Art Ancien à Vienne. Trois personnages sont là. Atzbache, le narrateur, a rendez-vous avec le vieux Reger, critique musical.
Note d’intention de Nicolas Bouchaud (extraits)
Atzbacher – le narrateur – a rendez-vous avec le vieux Reger, critique musical que depuis trente ans le gardien du musée, Irrsigler, laisse s’asseoir sur sa "banquette réservée "dans la salle Bordone en face du tableau du Tintoret : "L’homme à la barbe blanche". Atzbacher arrive un peu en avance pour observer son ami Reger, récemment devenu veuf. Nous n’apprendrons qu’à la toute fin la raison qui a conduit Reger à donner rendez-vous à Atzbacher. Dans ce laps de temps contenu entre l’arrivée d’Atzbacher au musée et l’explication finale du rendez-vous par Reger, l’écriture de Bernhard ouvre un espace de parole. Dans ce présent en suspens, naissent par la voix des personnages des spéculations, des réflexions sur l’art, l’état catholique, la saleté des toilettes viennoises, le deuil, les guides de musée ou encore sur l’industrie musicale « véritable massacreur de l’humanité »… (La liste n’est pas exhaustive). En grand satiriste, Bernhard, plus encore que dans ces autres romans, pousse à bout sa machine obsessionnelle et éruptive. Reger ne ménage personne et s’en donne à cœur joie. C’est un joyeux massacre dont les victimes principales sont Stifter, Heidegger, Bruckner, Beethoven, Véronèse ou Klimt c’est à dire une partie du patrimoine culturel européen.
"J’ai besoin d’un auditeur, d’une victime en quelque sorte pour ma logorrhée musicologique" dit Reger. […]
L’écriture de Bernhard, par la puissance de son adresse, prend à parti le lecteur, convoque le spectateur, s’énonce à partir d’une scène imaginaire. Cela m’apparaît encore plus fortement dans ses romans que dans son théâtre. C’est une écriture physique où il arrive que le rythme d’une phrase transmette le message le plus important, on est sans arrêt en mouvement dans une fluctuation incessante entre le sublime et le grotesque de nos vies. Comme son sous-titre l’indique, Maitres anciens est « une comédie ». Chez Bernhard le rire est une vertu qui me ramène sensiblement au lien qui unit la littérature à l’air que nous respirons, au dehors, à l’oxygène. Le rire arrive comme un précipité chimique, par un effet d’implosion. Chaque phrase vient en surplus de la précédente jusqu’à la faire déborder, jusqu’à faire imploser le texte. J’y vois une forme de dépense prodigieuse du souffle et de la langue. Un « trop » de la parole. Une dépense. Une parole qu’on pourrait dire hors d’usage. […]
On se tromperait, je crois, à ne voir dans Maitres anciens qu’une diatribe roborative contre l’art ou l’état autrichien. Au fil de cette digression infinie où le texte passe d’un sujet à l’autre, on entend les voix des personnages dévoiler des pans de leurs vies. À ces biographies fictives, Bernhard ajoute quelques moments de la sienne. Maitres anciens est un texte très peuplé, hanté par les voix des vivants et des morts. Je crois que comme Paul Celan, Bernhard n’oublie jamais de regarder la direction ultime de nos paroles. Peu à peu la satire fait place à un roman familial dans lequel s’intercalent quelques pages arrachées d’un journal de deuil. L’évocation grandissante par Reger de la mort de sa femme fait directement écho à la disparition de la compagne de Bernhard : « une ouvreuse d’horizons » comme il le dit lui-même dans un entretien. Dans tous ses romans Bernhard parle de la famille, à chaque fois qu’il veut la détruire, elle ressurgit en lui. Ces "Maitres anciens "ne sont donc pas seulement les grands artistes et philosophes de notre patrimoine culturel, ce sont aussi ceux de notre propre descendance, de notre patrimoine familial. Reger, au beau milieu de la salle du musée, clame sa haine des artistes et de la famille et en même temps l’impossibilité de vivre sans eux. Cette apparente contradiction n’est pas une aporie. C’est une tension entre deux énoncés contraires qui allume la mèche. Ce que Bernhard interroge avec l’énergie d’un combattant c’est la notion d’héritage. Et le défi qu’il nous lance c’est de chercher une issue pour sortir du chemin tracé et balisé de notre histoire officielle.
C’est autour de ces mots d’« héritage » et de « transmission » que nous chercherons une expérience, un geste singulier à partager avec les spectateurs. […]Publicité
Nicolas Bouchaud _(_Mars 2017).
Nicolas Bouchaud est au micro de Blandine Masson, il nous explique comment il a adapté le roman de Thomas Bernhard Maîtres anciens
Entretien Nicolas Bouchaud et Blandine Masson
10 min
Réalisation Pascal Deux Un projet de et avec Nicolas Bouchaud
Mise en scène Éric Didry Traduction française par Gilberte Lambrichs, publiée aux éditions GallimardAdaptation Véronique Timsit, Nicolas Bouchaud, Éric Didry Collaboration artistique Véronique Timsit Enregistré au Théâtre de la Bastille à Paris les 9 et 10 mars 2021
Le spectacle a été créé au Quai Centre Dramatique National Angers Pays de la Loire le 7 novembre 2017 et devait être joué en mars 2021 au Théâtre de la Bastille à Paris
Equipe de réalisation : Benjamin Perru, Antoine Viossat
Assistante à la réalisation Alexandra Garcia Vila Conseillère littéraire Caroline Ouazana
Biographie de Nicolas Bouchaud Comédien depuis 1991, il travaille d’abord sous les directions d’Étienne Pommeret, Philippe Honoré... puis rencontre Didier-Georges Gabily qui l’engage pour les représentations de Des cercueils de zinc. Suivent Enfonçures, Gibiers du temps, Dom Juan / Chimères et autres bestioles. Il joue également avec Yann Joël Collin dans Homme pour homme et L’Enfant d’éléphant de Bertolt Brecht, Henri IV (1e et 2e parties) de Shakespeare ; Claudine Hunault Trois nôs Irlandais de W.B. Yeats ; Hubert Colas, Dans la jungle des villes de Bertolt Brecht ; Bernard Sobel, L’Otage de Paul Claudel ; Rodrigo Garcia, Roi Lear, Borges + Goya ; Théâtre Dromesko : l’Utopie fatigue les escargots ; Christophe Perton : le Belvédère d’Odön von Horvàth... Jean-François Sivadier l’a dirigé dans : L’impromptu Noli me tangere, La Folle journée ou Le Mariage de Figaro de Beaumarchais, La Vie de Galilée de Bertolt Brecht, Italienne scène et orchestre, La Mort de Danton de Georg Büchner, Le Roi Lear de Shakespeare (Avignon Cour d’honneur), La Dame de chez Maxim de Georges Feydeau créée au TNB en 2009, Noli me tangere de Jean-François Sivadier, création au TNB en 2011 et en 2013, Le Misanthrope (Prix du Syndicat de la Critique). En 2012, il joue dans Projet Luciole, mise en scène de Nicolas Truong, au Festival d’Avignon dans le cadre de « sujet à vif ». Il joue et co-met en scène Partage de Midi de Paul Claudel, en compagnie de Gaël Baron, Valérie Dréville, Jean-François Sivadier, Charlotte Clamens à la Carrière de Boulbon pour le Festival d’Avignon en 2008. Il joue en 2011 au Festival d’Avignon, Mademoiselle Julie de Strindberg mise en scène Frédéric Fisbach avec Juliette Binoche, spectacle filmé par Nicolas Klotz. Il adapte et joue La Loi du marcheur (entretien avec Serge Daney) mise en scène d’Éric Didry en 2010 au Théâtre du Rond-Point et en tournée ; il met en scène Deux Labiche de moins pour le Festival d’Automne en octobre 2012. Au cinéma, il a tourné pour Jacques Rivette Ne touchez pas à la hache, pour Edouard Niermans, La Marquise des ombres, Pierre Salvadori Dans la cour, Jean Denizot La Belle vie, Mario Fanfani Les Nuits d’été... En 2103, dans une mise en scène d’Éric Didry il joue dans Un métier idéal (Festival d’Automne – Théâtre du Rond-Point). 2014/2015, il reprend La vie de Galilée dans la mise en scène de Jean-François Sivadier. En 2015, il adapte et joue Le Méridien d’après le livre de Paul Celan, mise en scène Éric Didry. En 2017, il adapte Maîtres anciens (comédie) de Thomas Bernhard, mise en scène Éric Didry. Il est depuis 2015 artiste associé au Théâtre national de Strasbourg dirigé par Stanislas Nordey
Biographie de Éric Didry
Éric Didry se forme auprès de Claude Régy, comme assistant à la mise en scène et comme lecteur pour les Ateliers Contemporains. Il travaille également comme collaborateur artistique de Pascal Rambert. À partir de 1993, il devient créateur de ses propres spectacles : Boltanski / Interview (1993) d’après Le bon plaisir de Christian Boltanski par Jean Daive, Récits / Reconstitutions, spectacle de récits d’expériences personnelles (1998), Non ora, non qui d’Erri de Luca (2002), Compositions, nouveau spectacle de récits (2009). En 2010, il met en scène La Loi du marcheur (entretien avec Serge Daney) avec Nicolas Bouchaud. Il crée en 2012 Qui-Vive, spectacle conçu avec le magicien Thierry Collet. En 2013, toujours avec Nicolas Bouchaud, il met en scène Un métier idéal adapté du livre de John Berger. En octobre 2015, à nouveau avec Nicolas Bouchaud, il créé Le Méridien d’après Paul Celan. En janvier 2017, il met en scène Dans la peau d’un magicien, spectacle conçu avec Thierry Collet. En novembre 2017, il met en scène Maîtres anciens (comédie) de Thomas Bernhard, un projet de et avec Nicolas Bouchaud. Il collabore avec d’autres artistes comme les chorégraphes Sylvain Prunenec et Loïc Touzé, le créateur son Manuel Coursin. La pédagogie tient une place importante dans son activité. Il intervient régulièrement à l’École du Théâtre National de Bretagne dont il est membre du conseil pédagogique. Depuis de nombreuses années, il anime régulièrement en France et à l’étranger, des ateliers de récits où il réunit acteurs et danseurs.
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