"Nicomède" de Pierre Corneille

Gravure représentant le dramaturge et poète français Pierre Corneille
Gravure représentant le dramaturge et poète français Pierre Corneille ©Getty - API
Gravure représentant le dramaturge et poète français Pierre Corneille ©Getty - API
Gravure représentant le dramaturge et poète français Pierre Corneille ©Getty - API
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Une histoire de famille qui s’implique constamment avec la Grande Histoire, celle de Rome vue depuis la Bithynie, et où se déploie dans toutes ses dimensions un conflit général entre l’Empire romain et l’un de ces pays qui veut résister à sa toute-puissance.

Le prince Nicomède, victorieux à la guerre, est revenu à la Cour de Bythinie sans l’accord de son père, le Roi Prusias. C’est un risque qu’il a pris pour revoir la Princesse Laodice qu’il aime, la fille du Roi d’Arménie, en exil chez Prusias. Nicomède se sait en outre haï de sa belle-mère la Reine Arsinoé, seconde femme de Prusias, qui lui a envoyé l’armée des sbires pour le compromettre et le perdre, et qui soutient contre lui le fils qu’elle a eu de Prusias, Attale. Ce dernier a fait ses études morales et politiques à Rome, et sa mère veut le voir monter sur le trône de son père, et épouser Laodice, dont il est aussi amoureux, avec le soutien des Romains, et notamment celui de l’ambassadeur des Romains Flaminius, qui s’éternise à la Cour de Prusias et entend bien se mêler de la politique locale. Tel est le nœud de cette tragédie, qui met donc aux prises le prince Nicomède, héros dont les victoires ont établi et affermi le trône de son père, qui a pour idéal politique celui de la liberté et de l’indépendance des souverains légitimes, et pour modèle Hannibal, l’ennemi de Rome, avec le parti pro-romain, représenté par Prusias, la Reine Arsinoé, son demi-frère Attale, et bien entendu, l’Ambassadeur de Rome. L’opposition des deux partis est accusée du fait qu’Hannibal, qui s’était réfugié en Bithynie, a été livré par la Reine à la vindicte des Romains, et s’est empoisonné pour leur échapper. L’intrigue de ce drame plein de surprises et de retournements, de complots et de séditions, se dénouera de façon heureuse par la déconfiture des collaborateurs de Rome, le triomphe du Prince généreux qui sera délivré des Romains grâce au soutien de son frère Attale, le partage de la Bithynie et des royaumes, conquis ou à conquérir, entre les deux frères, et l’union de Nicomède avec Laodice.

Nicomède est, Corneille le dit lui-même, sa vingt et unième pièce. Elle date de 1651. Elle fut jouée sans doute à l’Hôtel de Bourgogne en février de cette même année. Corneille confie : « Je ne veux point dissimuler que cette pièce est une de celles pour qui j’ai le plus d’amitié ».
Sous la direction de Brigitte Jaques Wajeman  Réalisation : Jean Couturier

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Avec : Bertrand Suarez-Pazos (Nicomède), **Sophie Daull (**Arsinoé), Pierre-Stéfan Montagnier (Prusias), Raphaèle Bouchard (Laodice), Thibault Perrenoud (Attale), Pascal Bekkar (Flaminius), Marc Siemiatycki (Araspe), Agnès Proust (Cléone)
Musique originale Marc-Olivier Dupin
Bruitages : Sophie Bissantz
Prise de son, montage, mixage : Serge Ristitch, Laure Jung-Lancrey
Assistante à la réalisation : Anne-Laure Chanel

En 2008 Brigitte Jaques–Wajeman et la Cie Pandora Regnault ont présenté Nicomède de Corneille au Théâtre de la Tempête, à la Comédie de Reims puis en tournée. En mars 2009, accompagnée du réalisateur Jean Couturier, Brigitte Jaques-Wajeman a enregistré la pièce dans un studio de Radio France, avec la même distribution que lors de sa création au théâtre. Dans le cadre de l’émission Théâtre et Cie, ont déjà été enregistrées et diffusées plusieurs pièces de Corneille qu’elle a mises en scène : La place Royale en 2006, Suréna en 2007 et Sophonisbe en 2014. Le spectacle, co-production de la Comédie de Reims et de la Compagnie Pandora, a obtenu le soutien de la DRAC Ile-de-France et de la direction des affaires culturelles de la Ville de Paris. Avec la participation artistique du Jeune Théâtre National.

Défense et illustration d’un projet par Brigitte Jaques-Wajeman

Dans cette mise en scène, le Nicomède de Corneille met cartes sur table. Au milieu, une immense table, autour de laquelle les acteurs s’activent. La tragédie se déploie ainsi en toute clarté, les enjeux sont particulièrement lisibles, les personnages ne peuvent dissimuler longtemps leurs secrets, ils prennent sans cesse à témoin les spectateurs des difficultés dans lesquelles ils sont pris. On a presque envie, sinon d’intervenir, du moins de donner son avis, dans cette histoire de famille qui s’implique constamment avec la Grande Histoire, celle de Rome vue depuis la Bithynie, qui se trouve au sud de la Mer Noire, au nord de l’actuelle Turquie, et où se déploie alors dans toutes ses dimensions un conflit général entre l’Empire romain et l’un de ces pays qui veut résister à sa toute-puissance, et qui y parvient. Cela se situe après la seconde Guerre Punique, après la ruine de Carthage, et la mort d’Hannibal (187 av. J.-C.), au cours du second siècle av. J.-C. La preuve est faite que cette scénographie (l’espace du jeu), cette dramaturgie (le temps de l’action) peuvent se prêter sans le moindre problème à l’esthétique dite, on ne sait pourquoi, « classique », c’est-à-dire – entendez-le bien – à l’un des styles de théâtre les plus libres et les plus ouverts qui soient.  Ce qu’on en dit de sottises à propos de ce théâtre ! Comme il a ses rigueurs internes, comme il ressemble à un bel organisme vivant prêt à se développer sous vos yeux, vous pouvez le transplanter selon bien plus de formes  ou de formules que le drame moderne, la pièce psychologique, la comédie bourgeoise, la pièce didactique. En outre, cette pièce-ci les contient tous. Corneille, qui, à chaque nouvelle pièce qu’il écrit, s’invente un univers nouveau et se risque à des audaces nouvelles dans la composition –  on l’a déjà à bon droit comparé à Picasso ! – se vante dans ce Nicomède, qui est une de ses pièces préférées, de rompre avec un certain style de tragédie dont la fameuse crainte et la célèbre pitié seraient censées être les moteurs. La crainte et la pitié, il les cite dans la pièce pour les tourner en dérision, parce qu’autre chose l’intéresse visiblement : entrer dans les calculs machiavéliques, irresponsables, grotesques, immondes ou dérisoires, de personnages patibulaires à qui le pouvoir est échu, et que doivent supporter les jeunes héros qui se font une idée plus généreuse de la politique, et qu’il souhaite qu’on admire. Je connais peu de pièces aussi génialement politiques que celle-là ; chaque acte, presque chaque scène apporte son lot nouveau de conflits d’intérêts et de contradictions, jusqu’à un complot de bas étage mené par des sbires sans foi ni loi au service d’une Reine monstrueuse. Or, dans cette espèce d’étrange pièce encore intitulée tragédie, et qui relève plutôt d’un authentique théâtre épique, l’actuelle organisation de l’espace (j’entends : au Théâtre de la Tempête), le réalisme des gestes et des objets, au milieu de cette Cour dont il semble au spectateur qu’il soit l’invité anonyme, l’enjeu mortel du pouvoir, qui conduit pour finir à une émeute et à une révolution, ressort d’autant mieux que l’aspect comique, fort présent dans un grand nombre de tragédies de Corneille, se fait ici constamment jour. Les habitués de Corneille le savent, puisque des vers comme « Ah ! ne me brouillez pas avec la République ! » sont assez connus. Mais on hésite en général à aller jusqu’où Corneille ose aller, lui qui s’est déjà fait la main, à ses débuts, sur autant de comédies aussi réussies, encombré que l’on est encore par ce qu’on attribue au classicisme français, au Siècle de Louis XIV, à cette peur du ridicule que Voltaire a inculquée à un certain goût français, et, sans doute aussi, à un certaine idée molle et modérée qu’on se fait de la France. Il faut rire à Corneille, comme à Molière, et y être ému comme à Racine, parce que tous deux lui doivent tant ! Il faut enfin prendre toute la mesure d’un théâtre aussi grand que les plus grands, et que seuls les préjugés de ceux qui voient dans leurs années scolaires la source de leurs malheurs rapetissent à leur aune. Et enfin, le vers. Ah, le vers ! Avec de bons principes, objectifs et non improvisés au gré capricieux des ignorants, les acteurs parviennent à les dire avec rigueur et en toute aisance, d’accord sur les règles, comme en musique, de façon à passer, aussitôt les réflexes acquis, à ce qui intéressait seulement Corneille : comment rendre le théâtre aussi complexe que le monde, aussi vibrant que la vie, aussi  puissant que les passions, aussi naturel que le grand art. Brigitte Jaques-Wajeman

Formée dans les classes d’Antoine Vitez, elle travaille en tant que comédienne dans plusieurs de ses spectacles de 1969 à 1974. Elle se consacre ensuite à la mise en scène et crée la Compagnie Pandora avec François Regnault qui devient le Théâtre de la Commune-Pandora au Centre dramatique national d’Aubervilliers qu’elle dirige de 1991 à 1997. Elle enseigne l’art dramatique à l’école de la rue Blanche (l’ENSATT) de 1980 à 1987. De 2003 à 2015, elle est chargée des Options Théâtre du Lycée Claude Monet à Paris, avec lesquels elle monte une dizaine de spectacles. De 2006 à 2011, elle enseigne à l’Ecole Normale Supérieure de la rue d’Ulm. Puisant dans les répertoires classiques et modernes, elle a mis en scène plus d’une trentaine de pièces comme L’Imposture d’après Bernanos, Elvire Jouvet 40 – leçons de Jouvet sur l’Elvire du Dom Juan - en 1986, Partage de midi de Claudel, La Nuit de l’iguane de Tennessee Williams, Ruy Blas de Victor Hugo, Britannicus de Racine, Angels in America de Tony Kushner, Dom Juan, Tartuffe de Molière… Ces pièces ont été présentées lors de festivals et dans de nombreux théâtres, en France et à l’étranger (Comédie-Française, Chaillot, Odéon, Athénée, Théâtre de la Ville…). Ayant le souci de la langue et, particulièrement, de la langue versifiée, Brigitte Jaques-Wajeman s’emploie à révéler la dimension charnelle, sensuelle, des mots. Pierre Corneille étant son auteur de prédilection, elle monte neuf de ses textes, dont Polyeucte, dernier en date. En 2020, elle a monté Phèdre de Racine au Théâtre des Abbesses.