

Toujours en cours d'exploration, les espaces sous-marins restent très mal connus. Comment peut-on mieux observer ces lieux subaquatiques, à 2000 ou 11 000 mètres de profondeur ? Et surtout, que peut apporter la géographie à la connaissance des paysages immergés ?
- Arnaud Gaillot Ingénieur hydrographe spécialisé dans la cartographie des fonds marins. Il travaille dans l’unité de recherche de géosciences marines à l’Ifremer
- Yves Petit-Berghem Géographe de formation et professeur en écologie à l’École nationale supérieure de paysage de Versailles
- Mathilde Vaudon-Marie Journaliste scientifique
Ce soir, retenez votre souffle. Car nous restons sur Terre, mais nous plongeons en direction de fonds méconnus et sombres, riches de vies, de ressources, de fictions, de représentations, de paysages aux formes extraterrestres.
Je veux parler des fonds marins, qui constituent les trois quarts des fonds océaniques. Et qui longtemps sont restés des zones sombres pour la connaissance et l’intérêt humains. Pourquoi ? Parce que ces espaces inspiraient la crainte, la répulsion, la peur, parce que l’on croyait que toute forme d’existence ne pouvait s’y développer.
Jusqu’au milieu du 19ème siècle, où la nécessité de poser des câbles sous-marins pour accompagner et permettre le développement du télégraphe ont imposé de mieux connaître et de mieux appréhender les fonds océaniques.
Ce n’était alors que le début de l’histoire.
Une histoire liée à la géographie physique, aux questionnements nombreux et complexes autour de la notion de paysage, à la découverte progressive de reliefs nouveaux, insoupçonnés, aux enjeux géopolitiques croissants, aux défis environnementaux.
Alors ce soir, descendons plusieurs kilomètres sous la mer. Pour une cartographie de ces espaces inconnus.
Pour en parler, 3 invité·e·s :
- Yves Petit-Berghem, géographe de formation et professeur en écologie à l’École nationale supérieure de paysage de Versailles.
- Arnaud Gaillot, ingénieur hydrographe spécialisé dans la cartographie des fonds marins. Il travaille dans l’unité de recherche de géosciences marines à l’Ifremer.
- Mathilde Vaudon-Marie, journaliste scientifique et réalisatrice de documentaires sur l'environnement, elle vient de publier La mer monde : une odyssée de la recherche océanique aux Editions du Cherche-Midi.
Des découvertes tardives : de l'espace fantasmé à l'espace exploré
Pendant très longtemps, les espaces sous-marins sont restés inexplorés. Effrayants et fantasmés, ces lieux sont devenus des objets d'étude et de connaissance à partir du 19ème, comme le souligne Mathilde Vaudon-Marie : "Au début, les hommes ont utilisé l'océan comme un moyen de déplacement ou un moyen pour se nourrir, voire de loisir. Mais pendant très longtemps, ce n'était qu'un moyen. Ce n'était pas une fin en soi. Et donc, il a fallu effectivement attendre très longtemps, voire même la fin du 19ème, pour commencer à avoir réellement des informations scientifiques et très précises, par exemple, en termes de cartographie sur les fonds."
L'eau représente en effet une barrière majeure : "L'eau par essence stoppe toutes les ondes électromagnétiques, c'est-à-dire qu'on ne capte pas la Wi-Fi, ni le GSM. On ne capte pas toutes les ondes radar et radio sous l'eau. Donc, on ne peut pas utiliser le type de moyens de mesure qui est très utilisé pour cartographier des espaces terrestres pour le faire, par exemple depuis des satellites ou à distance. En tout cas, on ne peut pas le faire pour directement atteindre le fond des océans", comme le souligne Arnaud Gaillot. Cet obstacle technique implique donc de s'immerger dans le milieu à l'aide de bateaux et de sous-marins.
Les fonds marins comme paysages
Des chercheuses et chercheurs de différentes disciplines s'intéressent aux fonds marins. La géographie en fait partie : son approche apporte un éclairage étonnant à la découverte et la compréhension de ces espaces. Yves Petit-Berghem travaille sur la notion de paysage appliquée à celle des lieux subaquatiques, qu'il mobilise dans toutes ses dimensions : "Qui dit paysage dit avant tout jeux du regard et perception visuelle, en sachant qu'on a aussi d'autres sens qui peuvent rentrer en action. Je pense qu'effectivement les fonds marins se prêtent aussi à une appréhension du paysage sonore. Le paysage peut être tactile et les plongeurs peuvent aussi avoir ces sensations lorsqu'ils sont sous la surface des eaux. Ces sens donnent cette matérialité au paysage, mais la difficulté, c'est que le paysage peut aussi renvoyer à une dimension beaucoup plus cachée, immatérielle, qui renvoie d'ailleurs à ce qu'on a dit en introduction sur les représentations sociales et culturelles du paysage qui se sont construites dans le temps."
Pour aller plus loin :
- L’ONU lance sa décennie d’action pour protéger l’océan | ONU DAES | Nations Unies Département des affaires économiques et sociales (2021)
- COP26 à Glasgow : l’océan, grand oublié, Le Monde (04/11/21)
- Pourquoi Emmanuel Macron relance l'exploration des fonds marins (et de ses ressources) - L'Express, L'Express (23/10/21)
- Exploration des fonds marins : l'Ifremer dévoile son nouveau sous-marin, Futura-Sciences (14/02/21)
- Le paysage sous-marin existe-t-il ? De la connaissance à la reconnaissance d’un concept émergent, Géoconfluences (05/12/18)
- Les fonds marins, nouveaux théâtres de guerre, Le Figaro (13/05/21)
Extraits sonores :
- Extrait du livre Vingt mille lieues sous les mers de Jules Verne lu par Jean-François Ricou
- Extrait du documentaire Arte Les mystères du mont La Pérouse (2021)
- Chanson : My Lady Blue, Eric Serra
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