Dis-moi où tu vis, je te dirai ce que tu votes ?

Géographie à la carte est consacrée ce soir à la géographie électorale. Et plus encore, aux cartes : à ce qu’elles montrent de la France qui vote comme de celle qui refuse de voter, à ce qu’elles révèlent de la réalité de notre pays et de ses disparités, à ce qu’elles dissimulent, aussi, aux biais et aux blancs qu’elles laissent dans la compréhension du vote, de ses déterminants, de ses projections. Alors qu’en France, l'élection présidentielle arrive à grands pas, que la campagne est paraît-il engagée, il nous a paru important de soulever ces questions et d’en débattre. Car ces périodes sont toujours propices à la médiatisation de la géographie. Une opportunité pour la discipline. Mais un risque, aussi, d’être mal comprise !

« Dis-moi où tu vis et je te dirai ce que tu votes ? » . Ce point d'interrogation est fondamental et traversera toute notre émission de ce soir. Pour en parler, nous recevons 3 invité·es : 

• Jean Rivière, maître de conférences en géographie à l'Institut de Géographie et d'Aménagement Régional de l'Université de Nantes (IGARUN)
• Elie Michel, politiste, enseignant chercheur au CEVIPOF, le centre de recherches politiques de Sciences Po
• Delphine Papin, docteure de l'Institut français de géopolitique, responsable du service Infographie et cartographie au Journal Le Monde
• Aurélien Delpirou pour son ouvrage 50 cartes avant d'aller voter, paru aux éditions Autrement le 12 janvier 2022. Un ouvrage co-écrit avec Frédéric Gilli. 

Aux origines de la cartographie électorale

Les géographes commencent à s'intéresser à la spatialité des comportements politiques dès le 20ème siècle. L'un des premiers est André Siegfried, dont la formule est restée célèbre : "Le granit vote à droite, le calcaire vote à gauche". Élie Michel revient sur le travail fondateur de cet auteur, souvent réduit à cette formule lapidaire : "Sa démarche est de combiner des facteurs différents pour expliquer le vote, de considérer des variables explicatives différentes et en cela c'est une approche novatrice dans la géographie électorale et l'analyse du vote".

La carte est un outil précieux pour les chercheurs, qui peu à peu sort du champ universitaire pour être diffusée auprès du grand public. C'est le cas au journal Le Monde, qui comme le souligne Delphine Papin s'est toujours appuyé sur des cartes : "La première Une du journal, il y a déjà une carte, qui n'est pas électorale mais qui est déjà une carte. On a toujours fait des cartes dans le journal Le Monde". Responsable du service infographie du Monde, Delphine Papin a apporté en studio d'anciennes cartes électorales publiées par le journal :

Dans les années 1980, après quelques années où l'on découvre et préfère les sondages, la cartographie électorale connaît un regain d'intérêt. Pour Jean Rivière, cela s'explique par différents facteurs. Tout d'abord, par l'émergence du Front national et avec lui le bouleversement du paysage politique d'alors. Mais aussi par la transformation de la discipline : "La géographie se transforme à cette époque. On a l'émergence d'une géographie sociale qui s'empare du thème des comportements électoraux. Et aussi une géographie quantitative qui va utiliser ces données électorales de plus en plus accessibles."

Dessiner la carte électorale française 

Jean Rivière fait le point sur les représentations habituelles de la géographie électorale française : "La géographie des votes renvoie généralement à un double-clivage : d'une part celui qui renvoie à des configurations régionales (...), d'autre part celui qui renvoie au poids croissant des mondes urbains, avec un clivage entre centre urbain et mondes ruraux". 

Comment représenter les forces émergentes, comment dessiner avec justesse les dynamismes du paysage politique français ? Au service infographie du Monde, la question de cette représentation est cruciale, et prend forme, comme l'explique Delphine Papin, dans le choix des couleurs à attribuer aux différents partis : "En 2002, on décide que le FN est une force émergente, qu'elle ne ressemble pas au reste de la droite donc on ne veut pas la mettre en bleu marine - qui deviendra par la suite un slogan - et donc on choisit un marron qui ne figure pas dans la palette de couleurs qu'on a". 

Les comportements électoraux ne peuvent s'expliquer par des déterminismes géographiques, comme le soulignent les invité·es. La cartographie présente des limites car elle masque des réalités bien plus complexes que celles qui sont représentées. Le cas du vote FN dans le Nord-Pas-de-Calais est à ce titre exemplaire, comme le montre Élie Michel: "Si l'on regarde finement les résultats électoraux du Nord-Pas-de-Calais, vous allez trouver effectivement des communes du bassin minier où au 1er tour de l'élection présidentielle 2017, Marine Le Pen fait plus de 45% des voix, mais vous trouverez aussi des communes voisines dont les caractéristiques économiques et sociales sont très différentes, qui votent dans des proportions radicalement moins importantes pour le FN". 

L'invité de la fin d'émission 

Aurélien Delpirou est co-auteur d'un livre qui vient de paraître aux éditions Autrement : 50 cartes avant d'aller voter. 

En 50 cartes, les auteurs donnent des clés de compréhension pour s'interroger sur les grandes questions qui traversent le débat public français : "Les Français se sont largement appropriés depuis une vingtaine d'années le recours à la carte. Ce sont des objets qui sont très parlants, qui fixent les idées, les images, qui attirent l'attention. On s'est dit que pour rendre la complexité de la situation contemporaine de la France, il n'était pas inutile de recourir à un outil aussi puissant, aussi graphique et y compris esthétique".

Un ouvrage disponible ici. 

Extraits sonores : 

• Extrait des annonces des résultats de l'élection de 1965 : "Les Français se sont prononcés : De Gaulle réélu avec 55 % des suffrages"
• Extrait des résultats en 1995 : "La ceinture rouge de Paris" sur France 3 
• Extrait du documentaire "Retour à Forbach" de Régis Sauder (2017)
• Chanson : Go Up de Cassius feat. Cat Power et Pharrell Williams