Prisons et bracelets électroniques : punir par l'espace

La maison d'arrêt de Fleury-Mérogis.
La maison d'arrêt de Fleury-Mérogis. ©AFP - Ludovic MARIN
La maison d'arrêt de Fleury-Mérogis. ©AFP - Ludovic MARIN
La maison d'arrêt de Fleury-Mérogis. ©AFP - Ludovic MARIN
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La prison et le bracelet électronique sont surtout des peines géographiques. Elles séparent les individus, compartimentent le quotidien, bouleversent le rapport à l'espace. Comment se déplace-t-on et s'organise-t-on dans ces lieux cloisonnés ?

Avec
  • Dominique Simonnot Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté (CGLPL)
  • Olivier Milhaud Maître de conférences en géographie, Université Paris Sorbonne

Pour fil rouge de cette nouvelle émission, un objet géographique au carré : la prison. Au carré, parce que la prison est un espace, qui punit par l’espace. Parce que l’incarcération est une peine géographique à part entière, qui vise l’éloignement de la Cité de criminels et de délinquants (condamnés ou présumés), qui entend isoler ces populations dans un espace clos, qui cherche à séparer, trier, organiser leur mobilité.

Les prisons, leur architecture, leur agencement, leur fonctionnement… sont d’abord des questions spatiales. Et il en est de même des mesures alternatives à la prison, des mesures dites en milieu ouvert, qui portent toujours en elles, en leur cœur, la contrainte spatiale. A ce titre, le placement sous surveillance électronique, communément appelé bracelet électronique, en est une illustration édifiante.

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Entrons dans ces milieux, parfois fermés, parfois mi-clos, et tentons de mieux comprendre ce que veut dire : « punir par l’espace ».

Pour en parler, Quentin Lafay reçoit les géographes Franck Ollivon et Olivier Milhaud, et la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, Dominique Simonnot.

Prisons et bracelets électroniques, des peines géographiques

Olivier Milhaud a consacré sa thèse à la géographie des prisons françaises. Il y définit la prison comme une "peine géographique", car la prison est avant tout une contrainte spatiale : "Par rapport à l'espace de la société, c'est un espace très différent. Et surtout, c'est un espace que vous ne choisissez pas (…) c'est vraiment tout un dispositif géographique où on vous retire de chez vous et on va vous mettre dans un espace qui est extraordinaire par quantité d'aspects".

Les alternatives à la prison comme le bracelet électronique relèvent également d'une peine spatiale. Si les condamnés évoluent en "milieu ouvert", l'espace est également compartimenté et surveillé. Pour Franck Ollivon, "On retrouve cette même logique de découpe de l'espace. Simplement, cette découpe ne se fait plus par l'architecture, elle ne se fait plus par la matérialité d'un mur ou d'un fil barbelé. Elle se fait simplement par le traçage, la cartographie d'espaces qui vont être interdits, au contraire d'autres qui vont être autorisés, voire dont la fréquentation va être rendue obligatoire".

Dominique Simonnot, actuelle contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, alerte sur les conditions d'incarcération en France. Elle note la méconnaissance de ces lieux par celles et ceux qui décident d'y envoyer les condamnés : "Je m'étonne que les magistrats n'aient pas cette appétence d'aller voir, d'aller voir là où ils envoient des gens géographiquement. Et ça, c'est quand même pas banal comme fonctionnement, même philosophique, même éthique, moral".

L'invitée de la fin

Véronique Sousset, directrice de l'établissement pénitentiaire de Rennes, a rejoint la discussion en fin d'émission afin de présenter son livre Fragments de prison à paraître le 10 mars aux éditions Le Cherche midi.

Elle explique ainsi ses motivations à écrire sur les prisons : "La prison, on l'a vu, c'est un lieu qui attire autant qu'il suscite d'interrogations, d'idées préconçues lestées de significations, d'avis contrastés. Et écrire, pour moi, c'était donner à voir autrement en ouvrant une fenêtre dans les murs de la prison et pour permettre aussi aux lecteurs d'en apprendre, de pousser la porte et de venir à la rencontre de celles et ceux qui qui vivent, on l'a dit, et ceux qui exercent aussi".

Plus d'informations sur son ouvrage ici.

Pour aller plus loin :

Extraits sonores :

  • "Cahier de doléances", Les Pieds sur terre, France Culture (22/03/12)
  • Patrick Balkany sur le renvoi de sa femme en prison, BFMTV (03/02/22)
  • Chanson : Diego libre dans sa tête, Michel Berger (1983)
  • La Liberté, documentaire sur la prison ouverte de Casabianda en Corse, Guillaume Massart (2019)

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