Grand débat national : des maux et débat

Après l'heure de l'écoute, vient celle des décisions pour Emmanuel Macron
Après l'heure de l'écoute, vient celle des décisions pour Emmanuel Macron ©Maxppp - Frédéric Speich
Après l'heure de l'écoute, vient celle des décisions pour Emmanuel Macron ©Maxppp - Frédéric Speich
Après l'heure de l'écoute, vient celle des décisions pour Emmanuel Macron ©Maxppp - Frédéric Speich
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Lancée par le président de la République le 15 janvier 2019 en réponse à la crise des "gilets jaunes", la première phase du grand débat national touche à sa fin. Pendant deux mois, les Français ont été invités proposer leurs solutions pour l'avenir. Qu'en restera-t-il ?

Avec
  • Jean Garrigues historien, président du comité d'histoire parlementaire, membre de la commission "Les lumières à l'ère numérique"

Emmanuel Macron y a vu une réponse au mouvement inédit des "gilets jaunes" : après dix jours de crise, le président de la République a dit vouloir organiser une "grande concertation" qui deviendra le "grand débat". Ce grand débat national est ensuite lancé par le chef de l'Etat dans une lettre aux Français dans laquelle il encadre la consultation autour d'une trentaine de questions articulées autour de quatre thèmes : la démocratie et la citoyenneté, la transition écologique, la fiscalité, ainsi que l'organisation de l'Etat. 

A mouvement social inédit, inédit par ses formes, ses modes d'expression, son temps, il fallait répondre par l'invention d'un processus

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"Je ne vois pas très bien comment on aurait pu faire rentrer ce caractère inédit dans des formes déjà existantes insiste le politologue et garant du grand débat Pascal Perrineau. Alors certainement, il y a une dimension de bricolage. Mais peu à peu, ce bricolage s'est institutionnalisé, des moyens ont été dégagés (...) donc on a inventé tout cela. Il peut y avoir des accidents, des limites au processus. Et nous, on est là, penchés sur le berceau de ce nouveau-né qu'est le grand débat national, pour faire en sorte que cela se passe le mieux possible, ou le moins mal possible si on n'est pas trop ambitieux".

Le politologue Pascal Perrineau est l'un des cinq garants du grand débat national
Le politologue Pascal Perrineau est l'un des cinq garants du grand débat national
© Radio France - Rosalie Lafarge

Deux ministres et cinq garants aux commandes

Pour piloter l'animation du débat, deux ministres ont été désignés par le Premier ministre. Sébastien Lecornu et Emmanuelle Wargon "se chargeront de faire vivre le débat, en suivre l'évolution et d'organiser la mobilisation de tous pour faire de ce grand débat un succès démocratique", selon Matignon. Edouard Philippe a défendu ces nominations, qui ont suscité des inquiétudes sur une possible reprise en main de l'exécutif sur le débat, après la fin de mission de la Commission nationale du débat public et de sa présidente Chantal Jouanno.

Le gouvernement et les présidents des Assemblées ont également désigné cinq "garants" pour encadrer la concertation : l'ancien patron de la RATP et de la Poste, Jean-Paul Bailly, l'actuelle présidente de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil), Isabelle Falque-Pierrotin, le politologue Pascal Perrineau, Guy Canivet, ancien membre du Conseil constitutionnel et Nadia Bellaoui, secrétaire générale de la Ligue de l'enseignement.

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4 min

Un débat incarné par son initiateur : Emmanuel Macron

Nul doute que, dans ce qu'on retiendra de ces deux mois de grand débat, il y aura les interventions marathons d'Emmanuel Macron. Le président s'est lancé dans l'arène le 15 janvier, à Grand Bourgtheroulde dans l'Eure où il a échangé pendant plus de 6h30 avec 600 maires normands. L'exercice a été répété plusieurs fois, puis renouvelé auprès des jeunes, en banlieue, autour du thème de la transition écologique...

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Les maires en première ligne

Rapidement, le Président a appelé les maires à être des "facilitateurs" des réunions au niveau local. Et certains ont eu l'impression de se voir "refiler la patate chaude". Michel Blondeau, maire de Déols dans l'Indre et président de l' association des maires de l'Indre, en fait partie. 

Ce n'est pas à nous d'organiser les débats

"Ce n'est pas à nous d'animer les débats, de faire le boulot. Aider à ce que les attentes de nos habitants remontent dans le cadre de ce débat oui, s'il faut une salle je donne une salle. Mais ce n'est pas dans mes fonctions, dans mes missions, de débattre de décisions nationales" explique Michel Blondeau, "on va être en première ligne pour prendre des coups". 

Michel Blondeau, maire de Déols dans l'Indre et président de l'association des maires de l'Indre refuse de "prendre les coups" à la place de l'exécutif
Michel Blondeau, maire de Déols dans l'Indre et président de l'association des maires de l'Indre refuse de "prendre les coups" à la place de l'exécutif
© Radio France - Rosalie Lafarge

Pour que toutes les paroles soient entendues, celles des élus comme celle des habitants, celle des grandes métropoles comme celle des petites communes, les garants veillent au grain. Et même s'ils ont été nommés par le gouvernement et les présidents des Assemblées, ils travaillent en toute indépendance souligne Pascal Perrineau. 

"Il me semble, mais je ne suis pas le mieux placé pour observer cela, qu'il y a dans notre mode de fonctionnement quotidien pas mal de cohésion, mais également le souci quelle que soit l'autorité qui nous a nommé d'avoir une indépendance en particulier par rapport à la puissance publique qui a en charge l'organisation de ce grand débat. Et puis il ne faut pas oublier qu'il ne suffit pas d'observer le mouvement d'en haut, avec les ministres, l'administration, les experts... Il faut aussi l'observer d'en bas. Donc toute une partie de notre emploi du temps consiste à aller dans les réunions d’intérêt local" poursuit le politologue.

Plus de 10 000 réunions locales organisées

A Erquy, dans les Côtes-d'Armor, Yves Tombette et trois amis ont décidé d'organiser quatre débats : un par thème. Même s'il est animateur local de La République En marche, cet ancien agent général d'assurance à la retraite depuis trois ans jure de laisser sa casquette politique au vestiaire pour les débats car il n'est "pas là pour convaincre, simplement pour faire en sorte que les gens puissent débattre". 

Il a choisi de suivre les règles proposées sur le site du grand débat et d'organiser des discussions par atelier. Les gens seront placés par table, et chaque table va débattre pendant une heure avant de remettre ses propositions à l'ensemble. C'est, dit-il, la "seule façon pour qu'il y ait un débat parce qu'au moins là tout le monde a la parole". 

Le débat autour de la fiscalité et des finances publiques a rassemblé une bonne vingtaine de personnes à Erquy
Le débat autour de la fiscalité et des finances publiques a rassemblé une bonne vingtaine de personnes à Erquy
© Radio France - Rosalie Lafarge

La voix du silence

"Nous cherchons à garantir le pluralisme. Il ne faut pas que ce débat soit pris en main par telle ou telle tendance, tel ou tel lobby, telle ou telle formation politique et au fond par quoi, par des professionnels de la parole" explique d'emblée Pascal Perrineau. 

Parmi les grands principes auxquels veillent les garants, il y a aussi celui de l'inclusion. "Il faut essayer d'inclure dans le débat des catégories de population qui parlent peu. D'abord, les gens qu'on a l'habitude d'appeler les gens d'en bas, qui sont aux marges de la société, qui maîtrisent assez mal les mots. Un soir à Beauvais, des handicapés mentaux ont pris la parole. Et il se disait, dans ce verbe extrêmement brut, énormément de choses. Ces gens là, d'habitude, ne sont pas là" poursuit le politologue. 

"Il y a beaucoup de citoyens qui prennent la parole pour la première fois, c'est le trésor de ce grand débat", Pascal Perrineau

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Deux angles morts identifiés : les jeunes et les banlieues

D'après Pascal Perrineau, les jeunes sont présents dans le grand débat national, mais "pas au prorata du poids qu'ils pèsent dans la population totale". Le collège des garants a donc demandé au gouvernement d'entreprendre des actions de communication pour les insérer dans le processus. 

Cela a donné lieu à plusieurs initiatives étonnantes, comme la présence d'une dizaine de ministres sur la plateforme de jeux vidéos Twitch ou encore celle de la secrétaire d'Etat chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa dans l'émission de Cyril Hanouna. Plus d'un million de téléspectateurs ont suivi ce 'Balance ton poste', un record. 

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Méfiance et défiance à Gennevilliers

Les banlieues ont également été identifiées comme l'un des angles morts du débat. Pourtant, certains ont bien tenté de faire des choses. Comme ce soir de février à Gennevilliers où Hassan Ben M'Barek, président du collectif Banlieues Respect a convié les jeunes du quartier à débattre. Une réunion déclarée sur le site du grand débat.

"Ce soir, c'est le premier débat que l'on organise, et force est de constater que pour un débat en banlieue avec des gens de banlieue, on n'a pas de ministre ni de député En Marche, regrette l'organisateur. Alors je m'interroge, parce que ce débat, c'est eux qui l'ont lancé, ce n'est pas nous. Est-ce le fait qu'on soit de banlieue qui pose problème ? (...) c'est une erreur stratégique. Il y a une forme de mépris".  

Nous on commence à en avoir marre de leurs discours qui ne font rien avancer. Rajouter deux croquettes de 100 euros par mois... faut arrêter, les mecs ils mangent du caviar du matin au soir à l'Elysée

Soirée débat à Gennevilliers dans les Hauts-de-Seine à l'initiative d'Hassan Ben M'Barek

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"Il ne suffit pas de faire des débats, prévient d'emblée Bilel, l'un des jeunes présents ce soir là, il faut que cela aboutisse. Macron, je ne comprends pas sa façon de faire. Dans son entourage, il y a plein de magouilleurs comme Benalla. J'ai l'impression que c'est une dictature moderne. Ils sont mal placés pour nous donner des leçons. Nous on vit la misère (...) et les riches il ne leur retire jamais rien".

Une quinzaine de personnes, principalement des jeunes ont participé à une soirée débat à Gennevilliers dans les Hauts de Seine
Une quinzaine de personnes, principalement des jeunes ont participé à une soirée débat à Gennevilliers dans les Hauts de Seine
© Radio France - Rosalie Lafarge

Plus d'1,5 million de contributions sur le site internet

Autre vecteur d'expression lors de ce grand débat national, le site internet officiel www.granddebat.fr. Depuis le 21 janvier, plus d'un million et demi de contributions ont été déposées et le thème "fiscalité et dépenses publiques" est celui qui suscite le plus d'expression.  

Charge maintenant à l'équipe de Frédéric Micheau, directeur du département opinion à l'institut OpinionWay de traiter cette énorme masse de données.

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Une gigantesque masse de données à analyser

"Pour le traitement des questions fermées c'est très simple, reconnaît Frédéric Micheau, c'est un comptage des occurrences de chacune des réponses que nous transformons ensuite en pourcentage. Ce qui nous pose un peu plus de difficultés, ce sont les verbatim. Ils ont deux sources : les questions ouvertes, et certaines questions fermées qui comportent un item 'autre réponse'. L'engagement du gouvernement et donc d'OpinionWay, c'est de traiter l'ensemble des verbatim". 

"Pour cela, poursuit Frédéric Micheau, nous avons fait appel à un prestataire : la société française Qwam. Elle édite un outil d'analyse textuelle en masse (...) capable de lire l'intégralité des verbatim in extenso, avec une précision qui descend jusqu'à la proposition dans la phrase. Une fois qu'on a repéré l'ensemble des notions, elles sont triées par catégories et sous catégories". Les résultats attendus dès la fin du mois de mars devraient être présentés sous forme d'arborescence. 

C'est un exercice particulier car deux contraintes se cumulent : une contrainte d'ampleur puisque ce sont des millions de verbatim à traiter, et une contrainte de délai car nous devons remettre les résultats avant la fin du mois de mars, c'est très serré

La participation importante sur le site internet impose, là encore, une vigilance. Les garants l'assurent, les réponses dupliquées 10, 20, 40 fois sont repérées et éventuellement écartées. 

Les comptes-rendus des réunions locales, lorsqu'ils sont transmis, sont eux aussi traités automatiquement. La Bibliothèque Nationale de France est chargée de numériser les cahiers citoyens et les courriers.

Après la discussion, la restitution

La première phase du grand débat national se termine. S'ouvre maintenant celle de la restitution et de la synthèse. Les premières conférences régionales emmenées par des citoyens tirés au sort se tiennent les 15 et 16 mars, puis les 22 et 23 mars. Du 1er au 3 avril, des débats sont organisés à l'Assemblée nationale. Le 9 avril, ce sera au Sénat.  

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De tout cela, il va falloir tirer quelque chose. Et c'est sûrement là que ça se corse pour Pascal Perrineau. "Les premières exploitations on les aura fin mars début avril. Il y aura un rendu, on saura quelle est la cartographie des thèmes que les Français ont en tête, comment ils s'articulent entre eux, et quels sont les éléments de proposition. Et ça n'est qu'à ce moment là que le pouvoir (au sens large) pourra envisager le moment des réponses à apporter". 

Ce sera l'heure du retour de la représentation politique. On aura eu pendant deux mois de la démocratie participative, parfois délibérative, mais après ces deux mois d'expression, de libération incroyable de la parole, viendra l'heure du retour de la démocratie représentative, mais informée ! Elle saura ce qui s'est dit dans les racines du territoire national pendant deux mois. Le processus se passe plutôt bien mais ensuite la manière dont les acteurs vont s'en emparer, c'est une autre histoire !

Le Billet politique
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