Le chlordécone est responsable d'une pollution des sols et des eaux qui va empoisonner la Martinique et la Guadeloupe pendant six à sept siècles. Et pourtant, dans l'Hexagone, ce scandale sanitaire est peu connu.
- Luc Multigner épidémiologiste, directeur de recherches à l'Inserm au sein de l'Institut de recherche en santé, environnement et social
Le chlordécone est un insecticide utilisé très largement contre le charançon entre 1972 et 1993 sur les plantations de bananes, fleurons de l'économie des Antilles françaises. Il avait pourtant été interdit un peu partout dans le monde, dès les années 70 aux États-Unis. Un tiers de la surface agricole guadeloupéenne est empoisonné au chlordécone. Plus de 90% des Antillais en sont imprégnés avec des conséquences sur leur santé. Le cancer de la prostate est en Guadeloupe le premier cancer en fréquence, loin devant les autres cancers : 500 nouveaux cas chaque année. En Martinique également, soit deux fois plus de cas que dans l'Hexagone et surtout deux fois plus mortels.
Si la question de la responsabilité doit encore être tranchée par la justice, les Antillais doivent vivre avec cette épée de Damoclès au quotidien.
Une cartographie par l'analyse des jardins
En Guadeloupe où la population aime à cultiver son lopin de terre, l'association JAFA (Jardins Familiaux), en lien avec l'agence régionale de santé, effectue gratuitement des analyses des sols pollués au chlordécone et conseille les habitants.
Déjà 4 000 jardins ont été analysés, ce qui permet de mieux cartographier la pollution au chlordécone. Surtout d'amener la population à appréhender autrement cette pollution invisible. C'est le travail de Frédéric Bourseau, agriculteur, animateur pour JAFA :
Toutes les personnes qui ont un jardin, ou comptent en faire un peuvent faire appel à nos services pour avoir l'information du niveau de pollution de leurs sols. Cela permet ensuite de mettre en place des leviers qui par la suite les protègent.
Toute l'économie locale déstabilisée
La pollution engendrée par le chlordécone n'a pas seulement déstabilisé toute la culture guadeloupéenne, celle des jardins familiaux, de la petite pêche artisanale, celle des moyens de subsistance et des circuits informels comme les vendeurs en bord de route. Elle déstabilise toute l'économie locale de l'île. Celle de la pêche. Interdiction de pêcher dans les rivières. Le chlordécone empoisonne aussi la mer et la vie des 1 200 pêcheurs professionnels de Guadeloupe. La pêche est réglementée avec des interdictions partielles ou totales de pêche. Certaines espèces de poissons sont interdites à la consommation. Des bouées matérialisent les zones.
Patrick Royan, l'ex président du comité de pêche de Guadeloupe , est sceptique sur ces interdictions mises en place en 2009 :
La question que tout se pose c'est : "qu'est-ce qui empêche un poisson de passer de part et d'autre de la bouée ?". Plutôt qu'un système d'interdiction , je pense qu'il faut plus communiquer avec la population sur la quantité de poissons qu'elle peut consommer sans se mettre en danger. Il ne faut pas que cette interdiction nous reste sous la gorge.
Sarra Gaspard, chercheuse au laboratoire Covachim et professeure à l’Université des Antilles explique son travail de dépollution des sols chargés en chlordécone :
Dans mes recherches, je travaille avec des matériaux synthétisés à partir de biomasse qui sont des charbons actifs. Il s'agit de fixer les molécules dans l'eau et de les séquestrer à l'intérieur des sols grâce au charbon. Ils ont une capacité à fixer une très grande quantité de polluants. Nos travaux montrent que l'on peut rajouter du biochar de sargasses (algues brunes et véritable nuisance pour la Guadeloupe) pour séquestrer la molécule de chlordécone dans les sols.
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