Homophobie : quand les victimes disent stop

Lors d'un rassemblement contre les LGBTphobies place de la République à Paris, le 21 octobre 2018
Lors d'un rassemblement contre les LGBTphobies place de la République à Paris, le 21 octobre 2018 ©Maxppp - Thomas Padilla
Lors d'un rassemblement contre les LGBTphobies place de la République à Paris, le 21 octobre 2018 ©Maxppp - Thomas Padilla
Lors d'un rassemblement contre les LGBTphobies place de la République à Paris, le 21 octobre 2018 ©Maxppp - Thomas Padilla
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Les agressions à caractère homophobe ont une nouvelle fois augmenté en 2018. "Une année noire pour les personnes LGBT" a même lancé le co-président de SOS Homophobie Joël Deumier. Aujourd’hui, les victimes prennent la parole et sont bien décidées à ne plus laisser passer ces actes homophobes.

Avec
  • Flora Bolter Co-directrice de l'Observatoire LGBT+ de la Fondation Jean Jaurès

"2018 a été une année noire pour les personnes LGBT." C’est par ces mots que Joël Deumier, le président de l’association SOS Homophobie a présenté le rapport annuel sur l’homophobie, en début de semaine. 

Quelques chiffres

En 2018, les agressions physiques envers les personnes LGBT+ ont augmenté de 66%, soit 231 agressions dénombrées par l’association SOS Homophobie. Au dernier trimestre 2018, c’est même une agression par jour qui a été recensée. Les actes homophobes sont eux aussi en hausse, de 15%, l’association a recueilli 1 905 témoignages de victimes. 

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Extrait du dernier rapport de l’association SOS Homophobie
Extrait du dernier rapport de l’association SOS Homophobie

Davy, installé à Paris depuis quelques mois, a été pris à partie dans le métro, alors qu’il rentrait de soirée début avril. 

Il m’a demandé si j’étais PD et m’a craché dessus.                                
Davy 

"J’étais avec un ami (…), je l’ai pris dans mes bras, je l’ai embrassé", raconte-t-il à France Culture. Son ami descendu, il se retrouve seul dans la rame avec une autre personne. "Il s’est approché de moi et m’a demandé si je trouvais ça normal. Je me suis interrogé, en me disant ‘de quoi me parle-t-il ?’ Il a continué en me disant ‘mais tu es PD ?’ J’ai répondu oui mais en mettant de la distance car je commençais à avoir peur. Il m’a craché dessus et la chance que j’ai eue, c’est qu’il n’y a pas eu d’agression physique, ça n’a été que du verbal."

Davy a été la cible d'injures homophobes sur Twitter après avoir témoigné de l'agression verbale qu'il a subie dans le métro à Paris
Davy a été la cible d'injures homophobes sur Twitter après avoir témoigné de l'agression verbale qu'il a subie dans le métro à Paris
© Radio France - Fiona Moghaddam

Davy décide ensuite de raconter ce qui lui est arrivé sur Twitter. C’est là que le pire a commencé pour lui, il reçoit des messages extrêmement violents, notamment d’une personne. "‘PD, fiotte, sac à foutre, tu devrais mourir’, ça a été assez violent. Il voulait vraiment me rencontrer pour me tabasser, je ne m’attendais pas à ça en arrivant à Paris", raconte le jeune homme. Une agression via les réseaux sociaux que Davy a trouvée bien plus violente que celle qu’il a subie dans le métro parisien. Il a décidé de déposer plainte en espérant que l’auteur des messages haineux pourra être retrouvé.

Capture d'écran Twitter prise le 15 mai 2019, la réponse à ce tweet a depuis été effacée par le réseau social.
Capture d'écran Twitter prise le 15 mai 2019, la réponse à ce tweet a depuis été effacée par le réseau social.

Les agressions envers les lesbiennes en hausse de 42%

D’après le rapport de SOS Homophobie, 365 agressions envers les lesbiennes ont été répertoriées, soit en moyenne une chaque jour. Malgré les insultes fréquentes auxquelles elle est confrontée dans la rue jusqu’à de violentes agressions, Célia n’a jamais déposé plainte. Il y a plusieurs années, elle s’est rendue dans un commissariat après la diffusion par l’une de ses copines d’une photo d’elle nue sur internet. "J’ai voulu porter plainte et on m’a dit ‘bah ouais mais c’est ça les lesbiennes, vous l’avez cherché’ on ne l’a même pas insinué, on me l’a dit. Donc c’est la police qui me répond ça. Qu’est-ce-que je peux faire si demain je vais dire j’ai été agressée en tant que lesbienne. Ils vont me dire vous l’avez bien cherché, il ne fallait pas se tenir la main dans la rue. On le vit une fois, on n’a pas envie de le vivre une 2e fois", confie la jeune femme.

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D’après l’enquête de l’IFOP LGBTphobies : état des lieux 2019, plus d’une personne LGBT sur cinq dit avoir été victime d’une agression homophobe au cours de sa vie. Seules 27% d’entre elles le signalent au commissariat, elles ne sont que 20% à réellement porter plainte. 

Le discours de haine explose au gré de l’actualité

Sur les trottoirs, des messages contre la PMA pour toutes ont été recouverts de cœurs
Sur les trottoirs, des messages contre la PMA pour toutes ont été recouverts de cœurs
© Radio France - Fiona Moghaddam

La section presse et libertés du parquet de Paris travaille notamment sur les questions de lutte contre les discours de haine. Chaque année, elle est saisie de 40 à 50 signalements pour insultes homophobes. Mais la vice-procureure Aude Duret reconnaît qu’il est bien plus compliqué de retrouver les auteurs d’injures homophobes qui sévissent sur les réseaux sociaux, "faute de réponse à nos réquisitions par les opérateurs". 

Aude Duret est vice-procureure au parquet de Paris. Elle est notamment en charge des questions relatives à la lutte contre les discours de haine.
Aude Duret est vice-procureure au parquet de Paris. Elle est notamment en charge des questions relatives à la lutte contre les discours de haine.
© Radio France - Fiona Moghaddam

Il y aura par exemple une explosion de discours de haine homophobe sur les réseaux sociaux, au lendemain d’une manifestation telle que la Gay pride ou au lendemain de débats parlementaires sur les droits que l’on peut accorder à la communauté homosexuelle lors de telle ou telle réforme sur l’état des personnes.              
Aude Duret, vice-procureure au parquet de Paris

Joël Deumier, le co-président de l’association SOS Homophobie déplore "le fossé énorme entre le nombre de plaintes déposées par les victimes et l’effectivité de la justice et des décisions rendues par la justice."

Selon lui, sur 28 plaintes déposées, une seule aboutit à une condamnation en justice. "Ce fossé n’est pas normal dans un État de droit qui est censé sanctionner, quand les faits sont constitués, toute insulte, toute agression à caractère LGBTphobe. C’est inacceptable ! Comment dire aux victimes que la République les protège et que leur plainte n’est pas reçue ou pas traitée. Il faut renforcer les moyens humains et matériels pour que la pénalisation de l’homophobie ne soit pas lettre morte", précise-t-il.

Parmi les difficultés, il y a la reconnaissance du caractère homophobe de l’agression."Il faut parfois vraiment batailler", regrette Caroline Mecary, avocate au barreau de Paris. 

Caroline Mecary est avocate au barreau de Paris. Elle a notamment représenté plusieurs personnes victimes d'agression homophobe
Caroline Mecary est avocate au barreau de Paris. Elle a notamment représenté plusieurs personnes victimes d'agression homophobe
© Radio France - Fiona Moghaddam

L’auteur va nier le caractère homophobe de son agression, il n'a pas envie d'être renvoyé à son homophobie. Certains juges désignés pour examiner l'affaire n'ont pas forcément envie d'entendre cette dimension homophobe pour des raisons qui tiennent à ce qu'ils sont. Donc il y a une bataille à mener qui parfois est compliquée pour que le caractère homophobe soit reconnu.          
Caroline Mecary, avocate

L’avocate rappelle que les policiers ont l’obligation d’accepter les plaintes, "ils n’ont pas à être juges des faits" et que le caractère homophobe est une circonstance aggravante, la peine encourue est donc plus lourde que pour les autres agressions. 

Des associations débordées

Terrence Katchadourian est le secrétaire général de Stop Homophobie. Aujourd’hui, l’association apporte son aide aux victimes d’actes homophobes et les accompagne dans de très nombreuses procédures judiciaires. 

Écouter les victimes, les prendre en charge, ç'aurait dû être ça nos actions. Pas devoir réclamer aussi justice ! Il y a quelques temps, j'aurais dit, la sensibilisation et la prévention, le dialogue est super important mais je ne peux plus nier qu'il est nécessaire d'engager les poursuites, d'appeler à la justice.              
Terrence Katchadourian, secrétaire général de Stop Homophobie

Pourtant, la prévention reste indispensable. L’association SOS Homophobie intervient depuis une quinzaine d’années dans des établissements scolaires. Des bénévoles y animent un atelier-débat de deux heures auprès de 20 à 30 000 jeunes chaque année dans toute la France. 

Elisabeth anime ces débats en région parisienne depuis huit mois. "L’idée c’est de les faire parler eux [les élèves, ndlr] et qu’ils s’expriment sur le sujet, sur les stéréotypes et les discriminations en général", détaille Elisabeth. Mais avec certaines classes, il peut être plus compliqué de déconstruire les stéréotypes. "C’est notamment le cas au lycée car les lycéens se censurent eux-mêmes, ils savent ce qu’ils doivent dire ou ne pas dire, explique la bénévole de SOS Homophobie. Le fait de parler, de venir, de poser des définitions, c’est déjà une pierre à l’édifice."

Pour espérer contrer les clichés sur la communauté LGBT+, Denis Parrot, réalisateur du documentaire Coming Out prévoit des projections en milieu scolaire. 

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On ne choisit pas son homosexualité, on ne peut pas changer non plus. Il faut encore l’expliquer.              
Denis Parrot, réalisateur du documentaire Coming Out

Son documentaire est une série de vidéos YouTube où de jeunes personnes annoncent leur homosexualité à leurs proches. Pour son film, le réalisateur a visionné plus de 1 200 vidéos sur YouTube et en a choisi 19. "Il y a deux ans, je suis tombé sur une vidéo d’un jeune Britannique qui appelait sa grand-mère pour lui annoncer qu’il était gay. Cette vidéo m’a énormément ému. Et j’ai vu qu’il y avait un phénomène viral sur internet où des jeunes faisaient leur coming-out auprès de leurs parents. J’ai trouvé qu’il y avait un vrai sujet de société à traiter", raconte-t-il à France Culture. Le réalisateur espère que son film sorti début mai en salle permettra de faire bouger les lignes et avancer les mentalités. 

Première diffusion le  17/05/2019

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