

L'Organisation internationale du travail a 100 ans. Créée pour faire avancer la justice sociale, elle n'a pas rempli toutes ses promesses. En quoi est-elle encore utile? Comment pourrait-elle l'être davantage? Que faudrait-il pour que l'humain soit remis au cœur de l'économie ? Reportage à Genève
- Marieke Louis maîtresse de conférence à Science Po, spécialiste des organisations internationales et du syndicalisme ouvrier et patronal
- Cyril Cosme directeur du bureau de l'Organisation Internationale du Travail (OIT) pour la France
L'Organisation Internationale du Travail a été créée au sortir de la première guerre mondiale, lors du traité de Versailles. C'est la seule organisation dépendant de l'ONU qui n'est pas constituée que par les gouvernements, mais aussi par des représentants des travailleurs et des employeurs. C'est une organisation tri-partite. Son préambule dit ceci ( Version intégrale ici)
Attendu qu'une paix universelle et durable ne peut être fondée que sur la base de la justice sociale (...)
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Attendu que la non-adoption par une nation quelconque d'un régime de travail réellement humain fait obstacle aux efforts des autres nations désireuses d'améliorer le sort des travailleurs dans leurs propres pays;
Les Hautes Parties Contractantes, mues par des sentiments de justice et d'humanité aussi bien que par le désir d'assurer une paix mondiale durable, et en vue d'atteindre les buts énoncés dans ce préambule, approuvent la présente Constitution de l'Organisation Internationale du Travail.


L'objectif de l'Organisation Internationale du Travail était donc explicitement d'éviter le dumping social.
Dans "Justice Sociale et Paix Universelle", le premier directeur de l'OIT (1920-1932), Albert Thomas, un socialiste Français, utilise déjà le mot dumping ! Pour autant, l'injustice sociale n'est pas directement responsable de la guerre, explique Albert Thomas.
Une nation de haut progrès social se sentant menacée dans son existence par les basses conditions de travail de ses voisins, n'a jamais proclamé la croisade pour imposer de meilleures conditions de travail à d'autres classes ouvrières durement exploitées (....). Il est des gouvernements qui cherchent dans la guerre la diversion aux dangers qui, intérieurement, les menacent. Mais la démocratie politique, qui doit être la sauvegarde des peuples contre les entrainements guerriers, n'est pas capable de participer à la gestion des affaires publiques en pleine conscience, en pleine clarté. (...) Si la démocratie est la condition de la paix, la justice sociale est la condition de la démocratie. Albert Thomas, premier directeur du BIT (1920-1932).
Ce texte, écrit en 1924, n'a rien perdu de son actualité.
Une conférence annuelle qui ne fait pas le buzz
Chaque année, l'Organisation Internationale du Travail réunit pendant 15 jours les délégués de ces 187 pays pour discuter des orientations pour l'année à venir, et adopter, le cas échéant, de nouvelles conventions.
Le Bureau international du travail (le BIT) ce sont les fonctionnaires qui travaillent pour que l'OIT puisse fonctionner. Ils sont 2700 fonctionnaires internationaux. Ils travaillent à Genève pour la moitié d'entre eux, les autres sont sur le terrain dans les pays.
Quelques jours avant la conférence, se tient aussi une commission sur les libertés syndicales. Reportage ci-dessous.
Les 6000 délégués qui viennent à la conférence (ils sont par pays 4 représentants des gouvernements, 2 des employeurs et 2 des travailleurs participent à de très nombreuses commissions).
L'une détermine le budget, une autre examine l'applications des normes et conventions dans les pays de l'OIT et 24 pays sont convoqués pour non respect préoccupant des conventions fondamentales ( ici la liste des pays et les raisons), c'est la seule commission publique qu'en tant que média on peut suivre. Cette année, il y avait aussi une commission sur la déclaration du centenaire et sur la création d'une nouvelle convention, la 190ème sur la violence et le harcèlement au travail (qui a été adopté).
Les 100 ans, une occasion manquée ?
Le multilatéralisme a du plomb dans l'aile, l'OMC est en panne, le libre échange de plus en plus contesté, y compris par leur plus grand partisan, les Etats Unis, les démocraties vacillent sous la pression des extrèmes, l'Organisation Internationale du Travail aurait pu utiliser les célébrations de son centenaire pour faire des propositions ambitieuses.
Tout un programme de festivités a été prévu. A Paris, un colloque aura lieu les 26-27 et 28 juin : Justice Sociale et travail décent : 100 d'action de l'OIT. Pour l'occasion, lors de la conférence internationale de juin, 40 chefs d'Etats se sont déplacés à Genève pour faire des discours (alors que généralement ils se comptent sur les doigts d'une main), mais la déclaration du centenaire ne comporte pas de réelles innovations. Pourtant, à la tribune du Palais des Nations, beaucoup de discours ont mis en garde contre le statu quo. Ici un lien vers les différents intervenants de "haut niveau" à cette conférence.
L'OIT est cet endroit où à chaque fois la conscience a su se réveiller quand le chaos était là. Et je pense que le chaos est là. Emmanuel Macron, à l'OIT le 11 juin 2018.
Emmanuel Macron a fait un discours de 45 minutes dans lequel il s'est engagé à tout faire pour qu'il y ait plus de social dans la mondialisation.
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Compte rendu du discours d'Emmanuel Macron le 11 juin 2018.
E Macron à l'OIT : Le chaos est là...
2 min
Plus de social dans la mondialisation, c'est possible si...
Pour préparer son centenaire, l'OIT a constitué une commission sur l'avenir du travail à laquelle participait notamment Alain Supiot. Juriste, titulaire de la chaire État social et mondialisation : analyse juridique des solidarités.
Lors des discussions qui ont abouti à un rapport sur l'avenir du travail (voir chronique ci-dessus), il a proposé que l'OIT mette en discussion une déclaration des responsabilités. A sa grande déception, ces idées n'ont pas été retenues.
Alan Supiot : La seule question qui vaille c'est : quel monde voulons nous ?
3 min
Si l'OIT avait proposé cette déclaration des responsabilités, ça remet toutes ces organisations autour de questions communes. On réenclenche une dynamique positive où il s'agit de se poser une question, qui est la première qu'il faut toujours se poser : quel monde voulons nous pour nous même et nos enfants ? Et à partir de là, quels moyens institutionnels utilise-t-on pour le construire ? Or cette question n'est pas posée, elle est mise de côté. Il me semble que c'était dans les missions de l'OIT de la prendre en charge. Alain Supiot.
Et les multinationales ?
C'est un sujet ancien pour l'OIT. Dès 1976, l'OIT a adopté une Déclaration de principes sur les entreprises multinationales (amendées en 2000, 2006, 2017)
Quelques extraits :
Les entreprises, y compris les entreprises multinationales, devraient faire preuve de diligence raisonnable afin d’identifier, de prévenir et d’atténuer les incidences négatives, réelles ou potentielles, de leurs activités sur les droits de l’homme, ainsi que de rendre compte de la manière dont elles remédient à celles qui ont trait aux droits de l’homme internationalement reconnus, à savoir, au minimum, ceux figurant dans la Charte internationale des droits de l’homme et les principes concernant les droits fondamentaux énoncés dans la Déclaration de l’OIT relative aux principes et droits fondamentaux au travail.
Les entreprises multinationales devraient tenir pleinement compte des objectifs de politique générale que se sont fixés les pays où elles opèrent. Leurs activités devraient être conformes à la législation nationale et s’harmoniser avec les priorités du développement ainsi qu’avec les structures et les objectifs sociaux du pays où elles s’exercent.
Les procédures de licenciements arbitraires devraient être évitées.
Cela fait beaucoup de conditionnels... Pourquoi ces formulations au conditionnel ? Quels arbitrages et consensus en sont l'origine ? Je vous invite à écouter le Grand Reportage, c'est une question que nous posons à nos invités. Alain Supiot avait aussi proposé, lors des discussions sur la commission sur l'avenir du travail, que l'OIT se dote d'un tribunal comme le prévoit l'article 37 de sa constitution.
Alain Supiot : L'OIT pourrait avoir un tribunal comme l'OMC
3 min
Pourquoi l'OIT n'intéresse pas grand monde ?
Il y a très peu de couverture médiatique de l'OIT, ou de la conférence internationale du travail. Pourquoi ?
D'une façon générale, c'est la question du travail qui apparait ringarde aux yeux de beaucoup... par pure bêtise. Par absence de compréhension que c'est l'un des éléments fondamentaux de l'être humain d'avoir des images dans la tête de ce qu'il pourrait faire advenir dans le monde (..) Aujourd'hui le grand fantasme c'est que les êtres humains seraient des ordinateurs réactifs qu'on pourrait piloter par objectif avec force quantificateur de performance (...) les êtres humains sont un peu de trop dans cette vision. Ils n'ont pas vraiment de place avec leurs questions, leurs émotions. Alain Supiot.
Alain Supiot : les hommes sont vus comme des ordinateurs que l'on peut piloter par objectifs
2 min
Marie Viennot
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