Les réfugiés climatiques du Somaliland

Le camp de réfugiés climatiques d'Ainobo, où vivent plusieurs centaines de familles, dans le centre du Somaliland.
Le camp de réfugiés climatiques d'Ainobo, où vivent plusieurs centaines de familles, dans le centre du Somaliland. ©Radio France - Nathanaël Charbonnier
Le camp de réfugiés climatiques d'Ainobo, où vivent plusieurs centaines de familles, dans le centre du Somaliland. ©Radio France - Nathanaël Charbonnier
Le camp de réfugiés climatiques d'Ainobo, où vivent plusieurs centaines de familles, dans le centre du Somaliland. ©Radio France - Nathanaël Charbonnier
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C'est un pays un peu oublié dans la corne de l'Afrique. Il répond au nom de Somaliland. Une bande de terre aride qui subit le changement climatique. Ses habitants doivent vivre et combattre de nombreux fléaux. Certains sont obligés de vivre dans des camps de réfugiés gérés par l'ONG Care.

Avec
  • François Gemenne Spécialiste de la gouvernance du climat et des migrations, directeur de l’Observatoire Hugo à l’université de Liège, enseignant à Sciences-Po et à la Sorbonne
  • Philippe Lévêque Directeur général de Care France

Le Somaliland, ou plus exactement la République du Somaliland est une ancienne colonie britannique qui se trouve tout à l'Est, dans la Corne de l'Afrique.

Pour aller au Somaliland, il faut évidemment prendre l’avion et faire escale en Éthiopie pendant quelques heures. De là, vous embarquez à bord d’un autre avion, plus petit, à hélices, en direction de Hargeisa. C'est la capitale du Somaliland.

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Le Somaliland, un État discuté dans la corne de l'Afrique.
Le Somaliland, un État discuté dans la corne de l'Afrique.
© Radio France - CR

Hargeisa, une capitale de près d'un million d'habitants. La ville n’est pas très belle. Elle est assez étendue. Une succession de rues défoncées où les voitures ont du mal à se croiser.

Les voitures, parlons-en : volant à droite, volant à gauche,  on sent que les règles de circulation sont à géométrie variable. D’ailleurs, il n’y a qu’une seule route qui traverse tout le pays et qui permet d'aller à l'Ouest jusqu'en Éthiopie ou Djibouti et qui à l'Est rejoint la Somalie, et notamment Mogadiscio, à plus de 1 000 kilomètres.

La seule route digne de ce nom à traverser le Somaliland.
La seule route digne de ce nom à traverser le Somaliland.
© Radio France - Nathanaël Charbonnier

Mais revenons à ce petit État de 3,5 millions d'habitants, grand comme un tiers de la France et qui vit depuis de nombreuses années maintenant totalement oublié de tous. Nous avons rendez-vous ce jour-là avec le responsable local de l'ONG Care, qui intervient dans tout le pays. Il s'appelle Dahir et nous explique que le Somaliland a déclaré son indépendance en 1991 mais que personne n'accepte de le reconnaître au niveau international :

Nous avons notre propre monnaie. Nous avons nos propres passeports. Nous avons notre propre police et toutes les institutions gouvernementales nécessaires et nous organisons des élections. Nous avons notre Président.

Quelque 1 500 réfugiés climatiques vivent dans le camp d'Ainobo.
Quelque 1 500 réfugiés climatiques vivent dans le camp d'Ainobo.
© Radio France - Nathanaël Charbonnier

Direction Caynabo. Le voyage se fait en voiture. Il faut rouler plus de six heures en direction de l'est du pays. La route passe par la ville de Berbera, le long du golfe d'Aden. Au loin, de l'autre côté de la mer, on aperçoit le Yémen. Puis direction le sud, une fois les montagnes passées, le paysage devient plus désertique.

Une interminable étendue plate où se succèdent de petits villages ainsi que de nombreux contrôles de sécurité. Il est d'ailleurs impossible de pénétrer dans cette région sans être accompagné par une voiture de policiers qui permet de passer un à un les barrages.

1 500 personnes vivent dans le camp de réfugiés d'Ainobo

C'est alors qu'apparaît le camp d'Ainobo. Le camp est sommaire et semble perdu au milieu de rien. Des puits, des cabanes fabriquées avec des morceaux de bois et recouvertes de tissus en guise de murs. Une école où se succèdent trois classes. Une petite clinique de fortune.

Le camp a ouvert en 2017 et, depuis, il n'a cessé de grandir. C'est ici que vivent plus de 1 500 personnes sur différents sites. Certains sont là pour fuir la famine, d'autres sont là à cause des invasions de criquets qui saccagent les champs, d'autres encore sont arrivés pour y trouver un refuge loin des conflits locaux et des clans.

Aussitôt sur place et descendu de voiture, une jeune femme s'approche. Elle s'appelle Amran. Elle travaille pour l'ONG Care, et c'est elle qui va nous faire visiter le camp.

Dans le camp d'Ainobo, les femmes viennent avec leurs enfants recevoir soins et médicaments.
Dans le camp d'Ainobo, les femmes viennent avec leurs enfants recevoir soins et médicaments.
© Radio France - Nathanaël Charbonnier

Nous sommes dans la salle d’attente de la clinique. Rhama est enceinte et c’est pour cela qu’elle est ici. Elle est venue chercher des soins et de l'aide alimentaire car elle souffre de malnutrition. Son poids est bien inférieur à ce qu’il devrait être. Elle vit ici dans le camp depuis maintenant cinq ans. Elle est arrivée là avec sa famille en 2017. 

Notre survie dépendait uniquement de l’élevage, et nous avons tout perdu. Nous ne pouvions plus nous en sortir. Nous ne pouvions plus rester dans la campagne alors que nous n’avions plus de réserves. Vous savez, le climat a changé profondément ici parce qu’avant on avait l’habitude d’avoir beaucoup de pluie, beaucoup d’eau. Et maintenant, il ne pleut plus et tout est sec.

Rhama explique alors qu'il n'y a plus de saisons. Que depuis un an c’est une période de sécheresse et qu'il n'a pas plu depuis presque douze mois. Elle ajoute que la solution pour un retour à la normale passe par un plus grand respect de l'environnement.

Dans les villages, la corvée d'eau échoit aux femmes et aux enfants.
Dans les villages, la corvée d'eau échoit aux femmes et aux enfants.
© Radio France - Nathanaël Charbonnier

La malnutrition fait partie du quotidien

Manque d'eau, manque de nourriture, telle est la réalité quotidienne de cette région du Somaliland. Si bien, que la pauvreté du camp d'Ainobo est finalement un luxe pour ces populations qui préfèrent attendre là, plutôt que de retourner dans la campagne qui est synonyme de faim.

La faim, Maria, de l'ONG Care, peut en parler car elle y est confrontée tous les jours, et c'est d'ailleurs son travail de lutter contre la malnutrition des femmes, des enfants et des personnes âgées qui vivent dans ce camp. L'infirmière est tous les jours confrontée à la malnutrition. 

Les gens viennent car ils sont malades et ont besoin d’aide. Ils ont toutes sortes de maladies. Ils sont sous alimentés. Ils ont des maux de ventre, ils ont la grippe parfois ou encore des diarrhées à cause de l’eau.

Et Maria de poursuivre en expliquant qu’on peut voir physiquement quand les personnes sont malades ou qu’elles souffrent de malnutrition parce qu’elles développent plein de maladies liées au manque de nourriture. C’est pourquoi il y a un programme qui vient en aide uniquement aux enfants de moins de 5 ans et aux femmes enceintes.  

Une maison de fortune dans le camp de Qoyta, au Somaliland.
Une maison de fortune dans le camp de Qoyta, au Somaliland.
© Radio France - Nathanaël Charbonnier

Quelques centaines de mètres plus loin, nous sommes toujours dans le même village, mais dans un autre camp, plus petit. Les familles ne sont pas les mêmes mais les histoires, elles, se ressemblent. Sécheresse, criquets, faim, insécurité sont les ingrédients qui poussent les éleveurs de toute la région à venir se réfugier dans le camp avec leurs enfants dans l’espoir d’un monde meilleur. 

Abdoudila vit là, avec sa femme et ses sept enfants. Il raconte que les conditions de vie sont difficiles. Mais il ajoute aussitôt qu’il doit vivre ici parce qu'au moins dans le camp, ses enfants peuvent aller à l’école. Et il espère même, que si ils travaillent bien, alors un jour ils partiront pour une plus grande ville.

Au centre du camp de réfugiés d'Ainobo, une école prend en charge les enfants.
Au centre du camp de réfugiés d'Ainobo, une école prend en charge les enfants.
© Radio France - Nathanaël Charbonnier

Pour comprendre les enjeux de ce camp de réfugiés climatiques, il faut savoir que seulement quatre personnes de l'ONG Care y travaillent quotidiennement, auxquelles on peut ajouter les enseignants et divers intervenants comme les médecins ou infirmières détachés par le gouvernement du Somaliland, soit une dizaine de personnes.

Pour fonctionner normalement, Care aurait besoin de 1 million de dollars tous les ans. Mais souvent, l'argent fait défaut. Suivant les années, c'est entre 200 000 ou 300 000 dollars qui manquent et qui rendent la situation encore plus difficile pour les populations qui vivent là.

Le fléau des criquets qui détruisent les récoltes

Le manque d'eau est criant au Somaliland. Il faut creuser près de 300 mètres sous terre pour trouver des ressources.
Le manque d'eau est criant au Somaliland. Il faut creuser près de 300 mètres sous terre pour trouver des ressources.
© Radio France - Nathanaël Charbonnier

À quelques kilomètres des camps de réfugiés, le petit village de Qoyta. Pour y arriver, il faut quitter la grande route goudronnée et rouler pendant une trentaine de minutes à travers champs, sur une sorte de chemin de rocailles pas très confortable.

Qoyta ressemble à ces villages qui paraissent perdus au bout du monde. Les maisons sont simples, entourées de rues de sable et de terre séchée. La pauvreté rôde mais l'important n'est pas là. Pour ces villageois rassemblés dans la salle des fêtes, le problème ne mesure pas plus de 3 à 4 centimètres de long et répond au nom de "criquet". 

Depuis quelques années, les agriculteurs appréhendent les attaques de criquets dans les champs. En l'espace de quelques heures, ils arrivent par milliers et saccagent tout sur leur passage. Des invasions à répétition dont les conséquences sont redoutables aussi bien pour les récoltes que pour les villageois et leurs enfants.

Le chef du village connaît bien le phénomène. Il raconte, entouré des autres agriculteurs présents.

Quand les criquets arrivent. Ils mangent tout. Ils mangent la nourriture des gens et aussi l'herbe que mangent les animaux. C'est comme un nuage qui cache le soleil.

Des invasions contre lesquelles il est difficile d'intervenir. Seule solution pour les éloigner, frapper dans les mains pour faire du bruit. Mais cela ne les chasse que de quelques mètres. Le chef de village insiste sur le fait qu'avant les attaques étaient éloignées des unes des autres. Une fois tous les dix ou quinze ans. Mais que maintenant, c'est tout le temps, plusieurs attaques par an.

À cela s'ajoute le manque d'eau. Il devrait pleuvoir jusqu'à fin décembre, mais vous voyez le ciel est bleu et qu'il ne va pas tomber grand chose. Les récoltes vont en souffrir.

Le ciel bleu n'est pas la règle en cette saison, normalement pluvieuse, au Somaliland.
Le ciel bleu n'est pas la règle en cette saison, normalement pluvieuse, au Somaliland.
© Radio France - Nathanaël Charbonnier

De mauvaises récoltes se traduisent par des rentrées d'argent moins importantes, donc moins de moyens pour l'éducation des enfants. Et ce sont les petites filles qui en font les frais, car quand il faut choisir, ce sont les garçons qui sont privilégiés pour aller à l'école. Les filles, elles, se retrouvent alors avec leurs mères pour les corvées dans les champs.

Changement climatique et changements sociaux

Invasion de criquets, déforestations, pluviométrie dérisoire, cultures fragiles, pauvreté… ce sont quelques unes des raisons qui obligent les populations du Somaliland à fuir leurs terres pour trouver refuge dans les camps de réfugiés climatiques gérés par les ONG et notamment Care dans cette région oubliée. 

Care, qui, avec l'aide dérisoire du gouvernement, tente de venir en aide aux habitants de la région. Les programmes d'aides se suivent comme l'explique le responsable de l'ONG dans la région. 

Abdiraman Ahmed est responsable de l'ONG dans la ville de Buroa. Il rappelle que son action dans la région est basée sur trois programmes principaux. Le premier, destiné aux ruraux et aux femmes, doit les aider à survivre face au changement climatique avec des actions tournées vers l’éducation. Un autre programme cible les enfants. Le troisième – un programme d’urgence – vise à répondre aux besoins créés avec le changement climatique et autres difficultés rencontrées par la société. 

L'avenir du Somaliland passe par la survie de sa ruralité.
L'avenir du Somaliland passe par la survie de sa ruralité.
© Radio France - Nathanaël Charbonnier

Pour lui, le problème principal reste le changement climatique. Il a une incidence sur toute la vie dans la région. Il touche les éleveurs, les agriculteurs mais pas seulement car tout est lié. Si le monde rural est en danger, cela a des conséquences pour les gens des villes. Les fonctionnaires et les bureaucrates vivent grâce aux éleveurs. Ils ont besoin de leur lait  et de leur viande.

Si le monde de l’élevage ne se porte pas bien, alors les gens des villes ne pourront pas bien vivre non plus.

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