Somalie : l’impossible adaptation au réchauffement climatique

Camp de Khayrdoon en Somalie. Octobre 2022.
Camp de Khayrdoon en Somalie. Octobre 2022. ©Radio France - Véronique Rebeyrotte
Camp de Khayrdoon en Somalie. Octobre 2022. ©Radio France - Véronique Rebeyrotte
Camp de Khayrdoon en Somalie. Octobre 2022. ©Radio France - Véronique Rebeyrotte
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Revendication des pays les plus affectés par le dérèglement climatique, la question du financement des "Pertes et dommages" sera abordée lors de la COP27 en Égypte. Qui doit payer pour ces "dégâts irréversibles" ? Illustration en Somalie, victimes de quatre années consécutives de sécheresse.

Avec
  • Fanny Petitbon coordinatrice du travail de plaidoyer de CARE France
  • Sébastien Treyer Directeur général de l'Iddri, Institut du développement durable et des relations internationales, think tank indépendant de recherche sur les politiques, qui oeuvre à placer le développement durable au cœur des relations internationales

Canicule, ouragans, inondations, et leur cortège de morts et de destructions… Au fil des catastrophes, la facture du réchauffement climatique s’alourdit mais la solidarité financière, elle, ne suit pas. Les pays les plus exposés sont pourtant souvent les plus vulnérables. Tandis que les émissions de gaz à effet de serre sont surtout imputables aux pays riches,

En 2009 : les pays du Nord avaient pris l’engagement de débloquer 100 milliards de dollars par an pour aider les pays du sud à réduire leurs émissions, et à s’adapter au changement climatique. Mais en 2022, la contribution a plafonné à 83,3 milliards. Face au non-respect des promesses, les pays impactés demandent des comptes, et réclament aussi des compensations pour les dégâts irréversibles qu’ils ont déjà subis.

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Ce sujet des "pertes et dommages" est pour la première fois à l’agenda de la Conférence sur le Climat.
Une COP qui se tient à Charm el Cheikh, en Egypte… L’occasion de mettre les projecteurs sur le continent africain, responsable de moins de 4 % des émissions de gaz effets de serre, mais confronté notamment à des épisodes de sécheresse de plus en plus intenses et rapprochés.

En Somalie, éleveurs et agriculteurs n’ont plus le temps de se remettre d’une catastrophe avant que ne survienne la suivante. Depuis janvier 2021, 1,4 million de personnes ont quitté leur foyer, en quête d'eau et de nourriture…

45 % des chèvres et 10 % des dromadaires sont morts et le pays est menacé par la famine.

Ils vivent dans des camps de déplacés.

Somalie: camp de Khayrdoon près de la ville de Galkayo dans le Puntland.
Somalie: camp de Khayrdoon près de la ville de Galkayo dans le Puntland.
© Radio France - Véronique Rebeyrotte

Témoignages dans le Camp de Khayrdoon près de la ville de Galkayo en Somalie :

  • Farah 52 ans : "je vivais à 40 km d’ici, de la ville de Galkayo, avec ma famille, mes enfants et mon mari.
    Nous sommes des nomades et nous vivons de l’élevage. Nous avions des chèvres, des moutons et des dromadaires aussi. On a perdu tout notre bétail, toutes nos bêtes sont mortes au fil des années de sécheresse, de soif. Nous sommes dans ce camp depuis un an.
    Il n’y a plus de pluie, plus d’herbe car il n’y a plus d’eau. Les réservoirs sont vides. Nos bêtes sont devenues de plus en plus maigres et elles sont mortes progressivement. Et il n’y avait plus rien à manger pour nous non plus car la viande et le lait proviennent de nos bêtes"
    .

La visite se poursuit avec le chef de camp Abdul Mohammed, sa canne à la main au milieu d’abris à perte de vue posés sur la terre ocre du bush somalien.

  • Abdul Mohammed, "C’est la 4e sécheresse d’affilée dans la corne de l’Afrique. Comme éleveurs, nous n’avons pas d’autre choix que de quitter nos terres. Avant, nous étions autonomes, nous vivions bien. Nous ne sommes pas contents d’être ici. Être des assistés ne nous rend pas fiers. Mais c’est terminé, notre vie d’éleveurs, de nomades. On doit tourner la page".
Hassan Jama le maire de Galkayo-nord.
Hassan Jama le maire de Galkayo-nord.
© Radio France - Véronique Rebeyrotte

Un homme s’est donné pour mission d’améliorer la vie des milliers de déracinés qui survivent dans 43 camps autour de sa ville de naissance, Galkayo. Une ville coupée en 2, héritage de conflits. Hassan Jama, 50 ans, en administre la partie nord, depuis quelques mois seulement. Cet ancien journaliste est rentré récemment de Suède où il a vécu en exil pendant 15 ans. Journaliste radio, il a fait par le passé l’objet de trois tentatives d’assassinat en Somalie, cible des chabab, mouvement islamiste hostile à l’intervention des occidentaux en Somalie même pour des raisons humanitaires.

Hassan Jama reçoit dans son bureau sans fenêtres à la mairie de Galkayo, gardé par plusieurs hommes armés. Il est déterminé à aider les milliers de déplacés qui affluent dans sa ville.

C’est une situation compliquée : vous accueillez énormément de déplacés ?

"Oui. Ils sont répartis en deux groupes. Ceux qui fuient les conflits et ceux qui fuient la sécheresse, la désertification. C’est le groupe le plus important désormais. Cela fait environ 60 000 déplacés qui sont répartis dans 43 camps autour de la ville de Galtayo. Ils vous ont raconté comment ils avaient perdu leurs bétails. Ce sont 3 millions d’animaux qui sont morts à cause du manque d’eau. Et si vos bêtes meurent, vous mourrez avec. Ces gens aspirent à une nouvelle vie et on doit les aider".

"C’est le gouvernement qui fournit les terres dans le bush somalien. Elles sont souvent loin des villes. Il y a aussi de riches propriétaires qui donnent des terres. A nous après de fournir des abris et des infrastructures avec l’aide internationale. Ce que je veux faire c’est rassembler les 43 camps dispersés autour de la ville en sept grands camps seulement. Et aider ces familles à redémarrer une nouvelle vie et leur fournir des maisons en dur. Mais cela prend beaucoup de temps et d’argent".

"C’est vrai que pour nous, les dérèglements climatiques sont bien réels. On en voit les tristes conséquences et particulièrement les nomades. On doit les aider à racheter des animaux, se réinstaller. Ils ne vont pas bouger indéfiniment. Il faut apporter des solutions durables maintenant, restaurer des moyens de subsistance. Ils étaient riches et maintenant ils sont devenus pauvres !"

Les femmes et les filles sont les plus impactées par ces sécheresses à répétition

Dans le camp de Jeerdin, l’instituteur fait cours même s’il n’est plus payé. Fatima, qui a vu ses 280 chèvres et moutons mourir en quelques mois, vit dans ce camp avec son mari et ses 14 enfants dont trois filles. Mais une seule va à l’école de Jeerdin. Les autres doivent aider la famille à survivre à la crise climatique.

Fatima au camp de Jeerdin. Elle scolarise seulement 1 de ses 3 filles.
Fatima au camp de Jeerdin. Elle scolarise seulement 1 de ses 3 filles.
© Radio France - Véronique Rebeyrotte

Fatima : "C’est vrai que les filles ne peuvent pas aller à l’école car elles s’occupent du travail à la maison. Avec la sécheresse, il faut être plusieurs pour trouver des ressources, des revenus. Il y a des filles qui trouvent du travail dans les grandes villes, comme domestiques. Elles gagnent de l’argent pour toute la famille La priorité c’est de nous nourrir et donc de travailler. Même les enfants. Souvent les garçons continuent d’aller à l’école. Quelques filles aussi mais moins.
J’aimerais que toutes mes filles étudient. Je trouve ça important. Mais la situation difficile que l’on connaît depuis des années fait que ce n’est pas possible. Il y a quelques familles qui envoient certaines de leurs filles à l’école pendant que les autres restent à la maison".

Umy Dubow est la directrice des programmes de l’ONG CARE en Somalie. Elle a travaillé sur la vulnérabilité des femmes et des filles

" Rien qu’en 2022, sur le million et demi de personnes qui ont quitté leurs terres à cause de la sécheresse, 80 % sont des femmes avec leurs enfants. Elles l’ont fait dans l’espoir de trouver un travail, de la nourriture, de l’eau et de l’herbe pour leurs bêtes. Les zones où sévit le manque d’eau se sont multipliées. Et les capacités de se procurer de l’eau, d’en acheter se sont réduites. C’est à cause de l’augmentation des prix du fioul et de l’essence trop élevés pour pomper de l’eau ou l’acheminer. Et les femmes sont contraintes de faire des distances de plus en plus longues pour trouver de l’eau pour leur usage domestique"

"Les mutilations génitales précoces sont l'une de nos préoccupations majeures. C’est un des effets de la déscolarisation des petites filles. Ca ouvre la voie aux mariages forcés. Les petites filles quittent l’école, les communautés y voient un moyen de récupérer un petit quelque chose, des ressources en échange d’un mariage et ainsi de mieux s’en sortir pendant les périodes de sécheresse. On a un nombre énorme de petites filles déscolarisées et mariées de force à cause de la sécheresse."

Centre de santé du camp de déplacés de Jeerdin.
Centre de santé du camp de déplacés de Jeerdin.
© Radio France - Véronique Rebeyrotte

Le centre de santé, une seule pièce prise d’assaut, sur le camp de déplacé de Jeerdin fait ce qu’il peut pour faire face à l’arrivée d’enfants et de mères souffrant de malnutrition aiguë. Les Nations unies parlent de plus de 700 enfants morts durant les six premiers mois de cette année.

Maryan est l’un des infirmières du centre de santé de Jeerdin : "On fait toute une série d’examens. Une fois par mois. On commence par peser et mesurer l’enfant et on mesure aussi son tour de bras avec un ruban gradué. C’est un moyen efficace d’évaluer la malnutrition. Cet enfant d’un an souffre de malnutrition sévère, son poids est vraiment très faible. Ce petit garçon fait 6,4 kilos. A son âge , il devrait faire au moins 2 ou 3 kilos de plus. On voit environ une vingtaine d’enfants par mois qui souffrent de malnutrition sévère. Il y en a de plus en plus".

L’ONU estime que près de 8 millions de Somaliens souffrent d’insécurité alimentaire, soit la moitié de la population. Les organisations humanitaires sur place avaient pourtant alerté dès décembre 2021 des risques de famine à cause des sécheresses répétées et du déficit pluviométrique. Sans succès. Pourtant la crise climatique en cours ne ressemble à aucune autre des crises traversées dans le passé par la Somalie. Elle ne peut qu'empirer comme l'explique Christophe Hodder, conseiller pour les Nations-Unies pour la sécurité climatiques en Somalie :

"La situation va devenir de pire en pire, les projections disent qu'il y aura encore moins de pluie l'année prochaine en Somalie."

"Les nations Unies sont derrière cet appel pour 'les pertes et dommages'. C'est un message important. La Somalie contribue à 0,03 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. En revanche, c'est un des pays en Afrique, le plus impacté par  changement climatique. Si on n'aide pas la Somalie maintenant, ces déplacés dans les camps deviendront des réfugiés".

Journal de 12h30
20 min