Céleste Albaret, témoin extrêmement précieuse de la vie de Marcel Proust continue de nous transporter aux côtés de l'écrivain. Les anecdotes pleuvent, mais avec elles se pose la question du "dire vrai" et de l'objectivité quand on fait le récit de la vie de quelqu'un d'autre.
Une Grande Traversée produite par Philippe Garbit et réalisée par Clotilde Pivin.
A travers d'extraordinaires enregistrements datant de 1973, Céleste Albaret continue de nous plonger dans l'intimité de Marcel Proust. Celle qui a servi Proust des années durant racontait à Georges Belmont en 1973 les sorties de l'écrivain, les relations qu'il entretenait avec ses amis, mais aussi... ses goûts alimentaires. Céleste ne manque pas de raconter certaines anecdotes mais aussi de critiquer les biographes et notamment un certain auteur anglais, George Painter, qui a écrit l'une des plus célèbres biographies de Marcel Proust en langue anglaise (premier tome paru en 1959 et le second en 1965).
Il est par exemple question du duel de Marcel Proust avec Jean Lorrain, qui avait écrit un article critiquant l'auteur :
Oh, il n'en a pas dit grand-chose. Je lui ai dit "Moi Monsieur, je ne vous vois pas jouer du revolver". Ah ! Quelle idée d'aller se donner comme ça des coups. [...] Tout le monde avait demandé à ce qu'il n'y ait pas le duel. [...] C'était drôle, cet homme qu'on aurait pas cru capable de pouvoir faire ça. Céleste Albaret
Mais également du rythme que la vie avec Proust imposait :
J'avais fait de la nuit le jour, comme Proust, et je trouvais tout normal. Céleste Albaret
Ce troisième épisode de cette Grande Traversée aborde la question du témoignage et du souvenir, parfois difficiles concernant des figures comme celles de Marcel Proust. Qui a raison ? Les biographes qui recueillent des sommes de témoignages et qui tricotent à partir de ce qu'ils pensent comprendre du personnage, ou bien ceux qui l'ont côtoyé personnellement comme madame Albaret ?
Cette dernière avait son opinion à ce sujet. "Il ferait bien d'apprendre la vérité !" peut-on l'entendre dire dans ces entretiens à propos du célèbre biographe anglais de Proust, George Painter. Se pose également la question de la portée du récit biographique : est-il là pour expliquer l’œuvre ? En a-t-il seulement le pouvoir ? Il reste que le témoignage de Céleste est une source inestimable d'anecdotes, de récits très précis pour certains qui permettent d'éclairer la vie de Proust.
Avec Jean-Yves Tadié, qui a publié la biographie de référence de Marcel Proust en 1996 chez Gallimard.
J'ai négligé dans ma jeunesse d'aller voir beaucoup d'amis de Proust qui vivaient encore. Puis Céleste, qui m'intimidait beaucoup à distance. Je regrette naturellement profondément maintenant. Jean-Yves Tadié
On n'avait pas besoin de lui dire beaucoup. On la lançait sur son sujet favori. Dans les souvenirs des témoins on s'aperçoit qu'ils tiennent une sorte de discours bloqué. Ils ont mis au point un numéro une fois pour toute, qui peut être formidable d'ailleurs, et ils le rejouent très volontiers. Céleste était imbattable. Jean-Yves Tadié
C'est l'occasion d'analyser le travail qui a été fait par Georges Belmont dans le cadre de ces entretiens avec Céleste Albaret, notamment sa capacité à ne pas laisser Céleste Albaret mener l'entretien seule et à l'attirer parfois hors des sentiers battus, ce qui a permis à l'ancienne bonne de Proust de se rappeler des souvenirs jusque là oubliés.
Le rôle de Belmont à été remarquable. Il a ensuite su élaguer, couper les répétitions, corriger certaines erreurs. Jean-Yves Tadié
Lorsque sont enregistrés les entretiens, Céleste Albaret est déjà une dame d'un certain âge, à qui la mémoire peut faire défaut.
Il est normal que trente ou quarante ans après, Céleste ne se soit pas exactement souvenue de toutes les dates ou de tous les faits. Elle a en plus un point de vue sur les choses qui la pousse parfois à ne pas parler de certains éléments pourtant fondamentaux de l'existence de Proust. Jean-Yves Tadié
Certains aspects de la vie de Proust sont quant à eux, niés par Céleste Albaret, ce qui pose la question de la subjectivité du récit :
Dans le cadre des amours de Proust, elle nie absolument toute homosexualité chez lui. Et elle ne souhaite pas évoquer la présence de ses partenaires. Jean-Yves Tadié
Jean-Yves Tadié revient alors sur la position parfois difficile du biographe :
Le métier de biographe est dangereux dans le sens ou l'on se compromet soi-même. Je dirais qu'il est finalement douloureux. Évidemment si vous faites la vie d'un personnage totalement euphorique, toujours comblé par le destin, toujours joyeux et qui meurt à 98 ans, vous n'avez pas de raison d'exprimer de souffrance en écrivant. Mais lorsque vous devez vous mettre à la place de quelqu'un qui a eu une vie extrêmement difficile, c'est là que vous éprouvez quelque chose de tout à fait douloureux. Jean-Yves Tadié
Il faut arriver à ne pas se perdre complètement dans son objet et arriver à pénétrer ses intentions, ses désirs, à le comprendre. Jean-Yves Tadié
Je m'étais donné pour règle de ne jamais donner un fait sans signification, d'essayer de toujours trouver un sens sous l'anecdote, sous le défilé de l'apparence des jours, sous l'agenda, sous la correspondance même. Jean-Yves Tadié
Je pense comme Proust que la vie n'explique pas l’œuvre. Jean-Yves Tadié
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