Où il est question des nombreuses analyses psychanalytiques qui ont été faites de son œuvre.
- Michel Zink historien
- Tiphaine Samoyault essayiste, traductrice et critique littéraire, directrice d’études à l’EHESS
- Maialen Berasategui journaliste littéraire
- Isabelle Nières-Chevrel professeur émérite de Littérature générale et comparée
- Geneviève Brisac Normalienne, agrégée de lettres, éditrice et écrivaine
- Marie-Joséphine Strich écrivain, docteur es lettres, professeur de littérature
- Nathalie Froloff professeure en classes préparatoires au lycée Louis le Grand
- Sophie De Mijolla-Mellor Psychanalyste, Professeur émérite à l’Université Paris-Diderot, Présidente de l’Association Internationale Interactions de la psychanalyse A2IP
- Caroline Eliacheff Pédopsychiatre et psychanalyste
- Marie-Pierre Rey Professeure d'histoire russe et soviétique à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
- Marianne Alphant
- Marie Desplechin Journaliste et écrivaine
- Francis Marcoin
- Mazarine Pingeot Ecrivain
Pourquoi tant de fouets ? D’où vient que la comtesse de Ségur décrit régulièrement des scènes de violence sur enfants ? Que signifient ces fantasmes et comment les expliquer ? Nos invités (dont certains sont psychanalystes) se penchent sur les livres de la comtesse de Ségur pour en analyser des passages au regard de la science de Freud.
Sadisme et éducation
Est-elle dénonciatrice de la violence subie lorsqu'elle était enfant en Russie, ou bien est-elle une perverse mettant en scène ses fantasmes de violence. Les deux propositions sont à explorer.
Il y a de nombreuses images terrifiantes dans les livres de la comtesse de Ségur, notamment quand la poupée de cire de Sophie de Réan fond, et que ses yeux tombent à l'intérieur de son visage.
La dénonciation des mauvais traitements de la part des parents existe dans ces textes. La comtesse de Ségur est l'une des premières à avoir dénoncé les conséquences de la maltraitance dans son milieu aristocratique.
Elle met en œuvre des processus qui sont très modernes. On quitte une éducation qui serait dominée par les pères. Le modèle alternatif d'éducation qu'elle propose est celui qui s'est imposé dans les familles françaises aujourd'hui, en dehors du niveau de fortune bien sûr. Francis Marcoin
La comtesse de Ségur montre les effets de l'éducation sur les choix faits par les individus à l'âge adulte. Elle déploie les destins de ses personnages en plusieurs temps, de la plus petite enfance à la jeunesse puis à la maturité. La perspective critique vis-à-vis des punitions violentes infligées aux enfants n'est toutefois pas dénuée d'empreintes morale, aristocratique et religieuse : les rôles sont fondamentalement définis, les bons sont récompensés et les mauvais aussitôt punis. L'autrice n'échappe pas à l'héritage de l'Ancien Régime, omniprésent dans son rapport au monde.
Jouissance
L'aspect psychanalytique est très présent dans la comtesse de Ségur. Jean-Jacques Pauvert
La comtesse de Ségur montre un monde proche de mon éducation religieuse, où le bien et le mal sont très présents. Chantal Thomas
Derrière les scènes de fouet, on pressent vraiment une jouissance. Dans les scènes elles-mêmes mais aussi dans les gravures. On sent qu'autre chose se cache derrière ces scènes, ce que j'appelle jouissance.
Mais comment est-il possible que la comtesse de Ségur décrive si bien ces scènes de violence ?
La comtesse de Ségur grandit dans un climat de violence. Elle sait qu'il existe un lien entre certaines formes de violences physiques et des pratiques sexuelles. Maialen Berasategui
Je pense qu'on se pose la question de son masochisme d'abord et avant tout parce qu'elle est russe et que c'est une figure de l'altérité. Mais aussi du fait de son statut de femme appartenant à la haute aristocratie, elle fait penser au marquis de Sade notamment. Mais je crois qu'en réalité, ces questions traversent tout le XIXe siècle. Maialen Berasategui
La scène de la trappe
Dans cette scène, une femme adulte essaie de soudoyer un notaire, les conséquences de sa faiblesse morale ne tardent pas à s'observer. Elle est punie et vit un châtiment bien particulier : elle se fait fouetter, le corps à moitié prisonnier d'une mystérieuse et étonnante trappe.
Il n'y a pas de raison particulière à cette punition, si ce n'est la raison sadique. Dans cette scène, il y a un dispositif très étrange avec une trappe, où la moitié de son corps se trouve à l'étage d'en dessous. C'est à ce moment que la comtesse de Ségur lui fait dire "qu'elle se sentit fouettée".
Quand j'ai lu cela, je me suis dit que la personne qui travaille chez Hachette n'avait pas pu lire le texte, c'est incroyable d'érotisme sadique.
Ces fantasmes existent dans la psyché de l'enfant, la comtesse de Ségur se contente de les rencontrer et de les laisser apparaître dans ses livres. Je pense qu'elle se souvient de ses propres fantasmes d'enfant car elle a été battue et abusée.
Les corps sensuels
De la simplicité des sensations décrites dans Les Malheurs de Sophie, lorsque les enfants croquent dans des fruits, ou bien découvrent des états de chaleur, de froid, de douceur ou d'aigreur, au caractère trouble de la violence que ces mêmes personnages subissent, le corps est au premier plan des récits de l'autrice.
Il y a une présence du corps jusque dans sa sexualité, ce qui est rarissime dans la littérature jeunesse.
C'est un effet de rapt. C'est ce qu'on attend d'un livre, qu'il nous ravisse. Les adultes sont des ravisseurs dans la comtesse de Ségur. Marianne Alphant
On peut prendre l'exemple du monsieur excentrique dans le Mauvais Génie, qui s'entiche de Julien, un petit valet de ferme qui garde les dindons. Il va vouloir à toute force que l'enfant suive ce monsieur et l'enfant est ravi, dans tous les sens du terme. Aujourd'hui, on trouverait étrange que l'enfant soit approprié de cette manière par un homme. J'irai même jusqu'à dire que dans tous les livres de la comtesse de Ségur, un enfant suit un inconnu. Marianne Alphant
Obscurité
La comtesse de Ségur écrit pour montrer quelque chose qu'il faut arrêter de faire. Elle écrit pour des gens qui peuvent vivre ces situations-là : les enfants, les parents. Maialen Berasategui
Je crois que la pédophilie n'existe pas à son époque, au sens qu'elle n'est pas pensée en tant que telle. Je crois que pour la comtesse de Ségur, c'était très bien qu'un enfant soit pris et détourné par un adulte excentrique.
La comtesse écrit à un moment où la question de ce que vont devenir les enfants de la classe possédante se pose. Qu'est-ce que ça veut dire être un enfant si tous les hommes sont égaux ? Maialen Berasategui
Paternalisme d'Ancien Régime
Les classes sociales sont très marquées. La comtesse de Ségur se moque beaucoup des nouveaux riches, elle se moque de ces aristocrates qui n'en sont pas, qui ne sont que des bourgeois déguisés. Son fils Monseigneur de Ségur lui avait parfois reproché qu'il y ait trop de familiarité entre les domestiques et les aristocrates dans les histoires qu'elle peint, il faut rester à sa place.
La présence du milieu social est très très forte. On n'a pas l'impression d'être après la Révolution Française d'une certaine manière. Comme si on avait enjambé complètement cet aspect. Elle est encore dans un monde où la France n'aurait pas connu cette révolution, on est dans l'Ancien Régime, il n'y a pas du tout de peuple**. Cette hiérarchie est très compliquée à lire maintenant**. Nathalie Froloff
MUSIQUE GÉNÉRIQUE : Un souffle remua la nuit, Sylvain Chauveau
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