La grande distribution commence à s'engager en faveur du respect du bien-être animal. Comment et qu'en pensez-vous ?
Depuis plusieurs années, le bien-être animal s’est invité dans le débat public. Les vidéos très crues d’associations de défense des animaux comme L214 y sont pour beaucoup. Pas plus tard que la semaine dernière, l’association a publié une vidéo d’un élevage de lapins dans les Deux-Sèvres, entassés dans de petites cages grillagées non loin de médicaments parfois périmés.
Les associations ne baissent pas les bras et maintiennent la pression sur tous les acteurs du secteur. Parmi eux, la grande distribution, qui commence doucement à s’engager. La marge de progression est grande : selon un classement réalisé chaque année par plusieurs ONG internationales, des multinationales de l’agroalimentaire, les enseignes françaises sont dans le bas du palmarès. Le plus mauvais élève est Leclerc, parmi les derniers du classement, dans la catégorie « Pas de preuve d’engagement dans l’agenda ».
Un engagement encore timide
Selon 60 millions de consommateurs, qui a consacré un hors-série au bien-être animal en novembre 2018, "le bien-être animal est peu pris en considération dans les exploitations industrielles". Mais les avancées diffèrent quand même selon les filières : il y a du mieux pour les bovins (hormis le veau, souvent enfermé et isolé pendant ses premières semaines de vie), mais la filière porcine est clairement à la traîne. "Il y a de gros enjeux, mais aussi de gros freins" selon Lucille Bellegarde, chargée des affaires agroalimentaires chez CIWF (ONG Compassion in World Farming). La plupart de la viande de porc ne portant ni la mention "bio" ou "plein air" est issue de l'élevage très intensif (bâtiments surpeuplés, sans paille, ni accès à l'extérieur). Enfin, précise 60 millions de consommateurs, "la réglementation applicable aux lapins, chèvres ou moutons est nettement en retard par rapport à celle visant les bovins, les porcins et les poulets. Les cages ou les bâtiments, et donc l’absence de vie en plein air, constituent le quotidien de la plupart de ces animaux."
En France, la plupart des bovins de boucherie issus des races à viande sont élevés en plein air, en élevage extensif. Ils ont donc un accès satisfaisant au pâturage. Mais la “viande de bœuf” consommée en France est souvent issue de vaches dites “de réforme”, c’est-à-dire de vaches laitières qui ne produisent plus assez de lait. Pour cette viande, la mention Origine France ne donne aucune garantie spécifique quant au bien-être de l’animal.
60 millions de consommateurs
L’association Compassion in World Farming (CIWF) lutte pour développer un mode d’élevage respectueux des animaux, des humains et de l’environnement. Présente en France depuis 2009, elle a instauré un système de remise de Trophées pour les enseignes les plus vertueuses en matière d’engagement pour le bien-être animal. Elle accompagne en parallèle les grands distributeurs et les marques nationales dans leur transition. "On travaille avec la grande distribution principalement sur deux volets, explique Lucille Bellegarde_. Le premier est les aider à soutenir et à accompagner l'évolution des pratiques d'élevages. Le second, c'est leur influence sur les comportements d'achat des consommateurs. Ils ont un rôle clé à jouer sur la prise en compte du bien-être animal par les consommateurs._"
La première filière à avoir évolué est celle des poules pondeuses. En 1999, l’Union européenne a interdit, à partir de 2012, toutes les cages de batterie conventionnelles. Les associations militent désormais pour l’interdiction des cages collectives ou aménagées. Ces dernières années, plusieurs enseignes dont Monoprix et Casino (qui font partie du groupe Casino) ont banni de leurs rayons les œufs de poules élevées hors sol. Désormais, plus de la moitié des œufs vendus dans la grande distribution proviennent d’élevages au sol ou en plein air.
Les consommateurs aussi commencent à modifier leurs habitudes : selon les chiffres de l’interprofession, la consommation d’œufs issus d’élevages au sol a augmenté de presque 16% en 2018, tandis que celle des œufs de poules en cage a diminué. Le tout avec une répercussion positive pour les éleveurs, qui bénéficient de prix d’achat plus élevés.
Des étiquettes basées sur 230 critères
Depuis décembre 2018, Casino s’est associé avec trois ONG (CIWF France, la Fondation Droit animal et l'Oeuvre d'Assistance aux bêtes d'abattoirs) pour mettre en place un étiquetage sur ses produits Terres et Saveurs de la filière poulet, censé informer les consommateurs sur les conditions de vie des dits poulets. Une lettre, de A à D, est apposée sur un produit en fonction de 230 critères décidés avec les associations. Cet engagement a valu au groupe un Trophée de CIWF, celui de l’Innovation en grande distribution , et une meilleure place dans le classement international du bien-être animal. Deux autres marques nationales de poulets ont également adopté cet étiquetage. Selon Matthieu Riché, le directeur de la Responsabilité sociétale de l'entreprise (RSE) du groupe Casino, l'étiquetage est plus avantageux que les labels : "On parle d'un étiquetage sur l'ensemble de la vie d'un animal, de la naissance en passant par l'élevage et le transport, mais aussi les conditions d'abattage. Un label va s'apposer uniquement sur les produits les mieux-disant, alors qu'un étiquetage permet au client de voir le niveau de bien-être animal sur l'ensemble des produits."
Les marques des distributeurs semblent plus à même de faire évoluer les pratiques. Malgré tout, quelques initiatives apparaissent selon les différentes filières. La semaine dernière, la vidéo publiée par L214 a rappelé qu'aujourd’hui la quasi totalité des lapins est élevée en cage. L'entreprise Loeul et Piriot, leader européen dans la transformation de viande de lapin et de chevreau de lait, a annoncé une démarche pour sortir progressivement de la cage. Matthieu Loeul, directeur commercial de l'entreprise, explique viser l'objectif de "25% de lapins élevés hors cage" en 2025, en créant une nouvelle marque centrée sur le bien-être des lapins. "On s'engage à élever nos lapins dans de larges enclos (plus de 10 m2), ouverts et au sol, avec une zone nuit où on reproduit le terrier".
"Pour transformer les élevages, il nous faut du temps" Matthieu Loeul
2 min
Reste que la grande distribution peine à convaincre : sur les réseaux sociaux, beaucoup d'internautes ne croient pas les supermarchés capables de vendre de la viande qui respecte davantage le bien-être animal.
Pour afficher ce contenu Twitter, vous devez accepter les cookies Réseaux Sociaux.
Ces cookies permettent de partager ou réagir directement sur les réseaux sociaux auxquels vous êtes connectés ou d'intégrer du contenu initialement posté sur ces réseaux sociaux. Ils permettent aussi aux réseaux sociaux d'utiliser vos visites sur nos sites et applications à des fins de personnalisation et de ciblage publicitaire.
Pour afficher ce contenu Twitter, vous devez accepter les cookies Réseaux Sociaux.
Ces cookies permettent de partager ou réagir directement sur les réseaux sociaux auxquels vous êtes connectés ou d'intégrer du contenu initialement posté sur ces réseaux sociaux. Ils permettent aussi aux réseaux sociaux d'utiliser vos visites sur nos sites et applications à des fins de personnalisation et de ciblage publicitaire.
Possible démarche prétexte, "animal welfare washing"
Dans une tribune parue dans Le Monde en décembre 2018, l'économiste Nicolas Treich met en garde contre le possible "animal welfare washing". Tout en reconnaissant que l'étiquetage mis en place par Casino est "innovant et prometteur", il craint de "voir les industriels essayer de repeindre en vert ou en rose à coup de campagnes marketing l’image de leurs produits, sans vraiment changer de pratiques". Selon lui, les questions du contrôle et du niveau d'exigence des critères définis se posent également.
Cet étiquetage (qui devrait s’étendre) ne concerne pour l’instant que les poulets. Si l’on se penche sur les critères majeurs du confinement et de la date d’abattage, le niveau A introduit un nombre maximum de onze poulets par mètre carré (au lieu d’environ vingt poulets pour le niveau standard), si bien que la densité reste élevée. Le niveau A introduit aussi un abattage minimum à 81 jours (au lieu d’environ 40 jours pour le standard). Ainsi, un poulet vivant normalement huit ans ne pourra vivre que seulement 3 % de son espérance de vie grâce au label supérieur.
Nicolas Treich, Le Monde, 18 décembre 2018
Mais les associations restent optimistes, y compris celles qui prônent un message végétarien voire vegan. C'est le cas de L214, dont le co-fondateur, Sébastien Arsac, se réjouit des combats gagnés, notamment sur les poules pondeuses. Selon lui, "il n'y a pas beaucoup de luttes politiques, militantes où on peut attendre et espérer des résultats aussi forts, concrets et nombreux que la question animale."
"On peut gagner des choses concrètes" Sébastien Arsac
8 min
Le militant prévient toutefois que les initiatives telles que l'étiquetage ne doivent pas "faire barrage" à des lois : "Il faut politiser la question, et faire des lois pour éliminer le pire". La précédente loi Alimentation 2018 (ou loi EGalim) s'est pourtant montrée décevante sur ses questions : alors que de nombreuses associations demandaient l'instauration de la vidéosurveillance obligatoire dans les abattoirs, celle-ci a été introduite dans la loi à titre d'"expérimentation". Le ministre de l'Agriculture, en charge notamment du bien-être animal, Didier Guillaume, a promis des annonces importantes sur le sujet. Elles sont prévues début octobre.
Vos réactions sur les réseaux sociaux
L'équipe
- Production
- Journaliste