Pathologies cardiovasculaires, addictions, aggravation de maladies chroniques : être au chômage est mauvais pour la santé et pourtant ce problème est collectivement sous-estimé. C'est l'alerte que lance l'association Solidarités nouvelles.
- Pierre Meneton Chercheur en santé publique à l'Inserm
Etre au chômage nuit gravement à la santé. Alors qu’une série de réformes touchent le monde du travail (renégociation de l’assurance chômage, plan santé au travail...), de cela il n'est quasiment pas question dans les débats. Le chômage est aussi un problème de santé publique ; mais cela reste dans l’angle mort des politiques publiques. C'est sur cette situation sur qu'alerte l'association Solidarité nouvelles face au chômage dans un rapport publié jeudi 20 septembre.
Amélia : “En trois mois de chômage, j’ai pris 15 kilos"
C’est une période sans activité professionnelle qui a bousculé mes habitudes alimentaires. Le fait de relancer les entreprises sans avoir de réponse, d’avoir le sentiment de ne pas être soutenue par les institutions, tout cela crée une sorte de vide qu’on essaye de combler comme on peut. Moi, cela a été avec la nourriture.
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A 25 ans, Amélia [prénom changé à sa demande] enchaîne les petits contrats depuis qu’elle a arrêté ses études de tourisme. Elle vient d’en terminer un où elle était agent de service à l’hôpital d’Angers. Avant cela, Amélia avait occupé le même type d’emploi dans une maison de retraite ou encore fait une formation de vendeuse en jardinerie. Entre ces contrats de quelques semaines ou mois, Amélia a connu de nombreuses périodes de chômage. La plus longue d’entre elles - trois mois - a eu d’importantes conséquences sur sa santé.
J’avais l’angoisse de savoir si j’allais réussir à retrouver un emploi, de comment subvenir à mes besoins, gagner de l’argent… J’avais aussi l’impression d’être inutile. C’est vrai qu’on passe beaucoup de temps au travail. Quand on n’en a plus on a l’impression de ne plus exister aux yeux des autres. On a aussi le sentiment de ne pas être vraiment soutenu par des institutions qui sont là pour nous aider à trouver du travail alors c’est sûr, ça en rajoute. On tombe facilement dans la tristesse et la déprime.
Pendant sa période de chômage, Amélia s’est désocialisée. Jusqu’à parfois ne plus sortir de chez elle plutôt que d’évoquer sa situation avec ses amis. A son médecin généraliste non plus elle ne parle pas de ses problèmes.
Je n’ose pas lui dire que le chômage a des répercussions sur mon mode de vie. Ce n’est pas un sujet sur lequel je suis à l’aise. J’ai honte et peur de craquer. Quand mon médecin me pose des questions sur le travail, je reste évasive ; je réponds que ça va, ou qu’il m’arrive d’être un peu triste et je m’arrête là. Pour libérer la parole, il faudrait que la société ne considère plus les chômeurs comme des fainéants qui n’ont pas envie de travailler. J’ai l’impression que beaucoup pensent que le chômage c’est comme les vacances alors que ce n’est pas du tout ma réalité. Du coup je préfère ne pas en parler.
Amélia "je n'ose pas parler à mon médecin de ces difficultés"
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Le chômage nuit à la santé
C’est ce que rappelle l’association Solidarités nouvelles face au chômage. Elle vient de consacrer son deuxième rapport aux impacts du chômage sur la santé des "chercheurs d’emploi", comme elle choisit de les appeler. Ces derniers sont “deux fois plus nombreux que les salariés ayant un emploi stable à estimer que leur état de santé n’est pas satisfaisant. Et “plus le nombre de période de chômage vécues augmente, plus ce pourcentage devient important”, note SNC.
Or selon l’Insee, près d'une personne sur trois a été concernée au moins une fois dans l'année par le chômage ou le sous-emploi. Et si le CDI reste majoritaire, désormais 87 % des embauches se font en CDD.
Mélanie “L’instabilité permanente crée une usure psychique et physiologique”
Mélanie a été graphiste puis directrice artistique. Enchaînant les missions d’interim, les CDD, mais aussi les licenciements économiques. Si bien qu’à 45 ans elle a été à de multiples reprises au chômage. Reconvertie dans le domaine de la petite enfance, elle gagne actuellement 600 euros par mois grâce à quelques heures de garde d’enfant.
Quand vous êtes dans une instabilité constante, vous êtes épuisée. C’est fatigant, cela m’a provoqué du stress, du mal au dos, des spasmes en pleine nuit, des problèmes de peaux ou encore gastriques. Une usure psychique et physiologique s’installe.
Et quand, en quelques semaines, elle doit faire face à une fausse couche, une grosse fracture, et un deuil familial, elle se retrouve particulièrement fragilisée.
J’avais besoin d’écoute et de retrouver la confiance. Et Pôle emploi, ce n’est pas leur boulot. Surtout le temps de la vie pour retrouver une bonne santé n’est pas le temps de Pôle emploi. Eux disent, d’ici trois mois il faut obtenir ceci ou cela. Mais dans certains contextes de santé, vous ne pouvez pas quantifiez ça comme ça. Il faut un suivi global et un accompagnement au-delà du fait de retrouver un travail.
Une aide qu’elle a trouvée auprès de Solidarités nouvelles face au chômage. “J’ai notamment eu l’aide d’un psy avec un tarif préférentiel”, raconte-t-elle. Les conséquences du chômage sur la santé constituent “une souffrance à bas bruit”, souligne le rapport que l’association vient de publier. Un sujet “collectivement sous-estimé”, et qui reste encore peu étudié. L’une des rares recherches scientifiques sur le sujet est menée par l’Inserm, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale.
Pierre Meneton, chercheur à l’Inserm : “Environ 14 000 décès par an sont liés au chômage"
“Le chômage est un problème de santé publique”, insiste Pierre Meneton, chercheur à l’Inserm. Ce que montre l’enquête qu’il dirige (et dont les premiers résultats ont été publiés en 2016), c’est que les chômeurs sont davantage malades. Mais aussi qu'il existe une surmortalité extrêmement importante associée au chômage.
L_e risque premier est psychique. On a estimé que le nombre de suicides liés au chômage est de plusieurs centaines par an. Mais le suicide n’est que la partie émergée de l’iceberg. Le gros de la surmortalité est liée au pathologies chroniques. Celles que l’on retrouve plus fréquemment chez les chômeurs, en particulier les maladies cardiovasculaires et les cancers. On estime qu’en France entre 14 000 et 15 000 décès par an sont liés au chômage._
Ce n’est pas l’inactivité en soi qui est en cause mais bien le chômage. En effet, cette augmentation des risques ne se retrouve pas chez les retraités ou les personnes volontairement inactives, comme les femmes s’occupant d’enfants en bas âge
Pierre Meneton : "Un chômeur a trois fois plus de chance de mourir"
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Facteurs de risques
Les personnes au chômage ont plus de chances de développer la maladie car elles ont des comportements plus à risque. En général un chômeur boit plus, fume plus, a une activité physique réduite et se nourrit moins bien. Et une fois que ces pathologies sont déclarées, le chômeur peut avoir tendance à moins se soigner.
Les personnes au chômage renoncent davantage aux soins que les actifs occupés : pour des raisons financières, mais aussi psychologiques. La situation est donc connue. Et ces travaux avaient déjà nourri un rapport de 2016 du Conseil Economique et social et environnemental (CESE) sur l’impact du chômage sur les personnes et leur entourage. Ce dernier avait déjà formulé un certain nombre de recommandations pour une meilleure prise en considération des problèmes de santé, sans suite.
Dr Michel Debout : “Pourquoi la médecine du travail s’arrête-t-elle au moment où on est fragilisé ?”
Depuis plusieurs années le Dr Michel Debout, professeur émérite de médecine légale et de droit de la santé au CHU de Saint-Etienne et psychiatre, alerte sur le “traumatisme du chômage”. C’est le titre de l'ouvrage qu'il a consacré en 2015 aux conséquences du licenciement, dépôt de bilan, harcèlements… En somme, toutes ces situations de perte d’emploi qui fragilisent les personnes.
Cela crée un stress post-traumatique, on se sent mal, on a des troubles du sommeil, de l’appétit. A cela peut s’ajouter une tendance addictive, par exemple si on a arrêté de fumer, on peut être tenté de reprendre. Tout ce climat fait que la personne va progressivement passer d’un état de bonne santé physique, psychologique et relationnelle à un état de moins bonne santé et à une fragilisation liée à l’état de chômeur. La suite dépend de ce qu’il lui arrive : est-ce qu’il retrouve du travail, est-ce qu’il est accompagné, compris dans ce qu’il ressent ? ou au contraire se sent-il délaissé, dévalorisé ? Il y a donc un risque de dépression avec des symptômes psychiques mais aussi physiques car les défenses sont atteintes. Face à cela, aucune mesure n’est prise en termes de santé publique.
Médecine préventive
Quand on se retrouve au chômage, on devrait faire un bilan comme on en fait à la médecine du travail quand on arrive dans un nouvel emploi. L’important est d’abord d’expliquer à ces personnes qu’elles sont fragilisées, comme après un accident ou une agression. Pourquoi la médecine du travail s’arrête-t-elle quand on perd son travail alors qu’il y a là un moment de fragilisation ? Il y a là une contradiction absolue. On devrait au contraire dire qu’on va faire un bilan tranquillement sur votre état de santé, donner des mesures des conseils.
Proposer des visites médicales bilan pour les chercheurs d'emploi est aussi l'une des préconisations de Solidarités nouvelles face au chômage. L'association plaide également pour une amélioration de la couverture complémentaire santé pour éviter les ruptures de droit.
Alors que l'exécutif veut faire de la santé au travail l'un des sujets prioritaires de la rentrée, rien n'est pour l'heure prévu sur ce plan pour les millions de travailleurs sans emploi.
Vos réactions sur les réseaux sociaux
Vous avez été nombreux à réagir à ce sujet sur Facebook et Twitter avec un sentiment partagé : on se retrouve livré à soi lorsque l'on est sans emploi. Il faut aussi subir le regarde de la société, dévalorisant, culpabilisant. Les idées noires, le suicide (dans un cas), l'anxiété, la dépression, la perte de l'estime de soi sont des problèmes récurrents, une mauvaise alimentation aussi. Tous vos témoignages à consulter ci dessous ou à lire en suivant ce lien.
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