Confinement : "Ça m’a permis de reconsidérer très clairement la vie en ville"

Le confinement a donné des envies d'espace et de nature à certains citadins (photo d'illustration).
Le confinement a donné des envies d'espace et de nature à certains citadins (photo d'illustration). ©Maxppp - Richard BRUNEL
Le confinement a donné des envies d'espace et de nature à certains citadins (photo d'illustration). ©Maxppp - Richard BRUNEL
Le confinement a donné des envies d'espace et de nature à certains citadins (photo d'illustration). ©Maxppp - Richard BRUNEL
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Le confinement a parfois amplifié le désir d’ailleurs, d’espace, de nature. Depuis, certains citadins remettent en question leur cadre de vie et envisagent de s’éloigner des grandes villes, voire de s’installer en pleine campagne. Les demandes de maisons avec jardin augmentent.

Après un confinement en grande partie passé dans son petit appartement sans balcon de la capitale, Oriane, 27 ans, a finalement rejoint ses parents en Picardie, dont elle est originaire. D'après une étude de l'Insee publiée le 8 avril dernier, Paris intra-muros s'était vidé de près de 12% de ses habitants après l'annonce du confinement. Ces derniers jours au calme et au grand air lui ont permis de réaliser que la vie parisienne ne lui convenait pas forcément. Elle s’était installée à Paris pour ses études, y a trouvé son premier emploi dans la communication, mais comme elle, de nombreux citadins semblent aujourd'hui rêver de verdure.

En ville, "le silence est un luxe"

"On se rend compte très vite en vivant en ville que le silence est un luxe, que je peux me permettre de toucher chez mes parents où je peux dormir sereinement, sans bruit de voisin alentour. Cette période a permis de me rendre compte également que, moi qui vais souvent au cinéma et au théâtre, c’étaient des choses qui ne m’avaient pas forcément manqué pendant le confinement puisque d’autres offres étaient proposées sur les plateformes et les sites des théâtres. Ça m’a permis de reconsidérer très clairement la vie en ville, même si aujourd’hui je n’ai pas d’autre opportunité ailleurs qu’à Paris, puisque je ne pourrai à mon avis pas trouver de travail", explique Oriane.

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"On s’est dit que le retour allait vraiment être difficile"

Kelly Simon est elle aussi une Parisienne d’adoption. Son envie de quitter la capitale n’a fait que grandir pendant le confinement. 

Dès l’annonce du confinement, on a eu la chance de pouvoir aller dans une maison avec jardin à La Rochelle - ma maison d’enfance, où j’ai grandi - avec mon conjoint et un petit garçon d'à peine un an. À Paris, on a un 48m², qu’une chambre et on devait tous les deux télétravailler. Ça nous semblait très compliqué à la fois pour continuer l’activité et s’occuper d’un bébé. C’est là qu’on s’est dit que le retour allait vraiment être difficile.                  
Kelly Simon, cofondatrice du site Paris Je Te Quitte

Kelly Simon pourra bientôt appliquer ses conseils à elle-même : elle est la cofondatrice du site Paris Je Te Quitte, une plateforme d'accompagnement des Franciliens qui ont pour projet de quitter la région, en les aidant à choisir le bon lieu pour s’installer, à trouver un logement et surtout un emploi. À l’approche du 11 mai, les visites sur ce site internet n’ont fait qu’augmenter. Entre le début et la fin du confinement, l’audience a augmenté de 56% et le nombre de CV déposés a été multiplié par trois. "On sait aujourd’hui que le premier frein à la mobilité est l’emploi. Dans notre audience, 80% de nos lecteurs sont à la recherche d’un emploi salarié. Il va effectivement y avoir tout un challenge sur la recherche d’emploi. Il va falloir, pour les personnes qui ont envie de partir, être un peu plus flexible sur leur projet professionnel, que ce soit en terme de secteur d’activité, de type de métier ou de rémunération, parce qu’on ne sait pas quel sera l’avenir en terme de recrutement. Nous savons des mois passés qu’il y a de l’emploi en région et qu’il faut peut-être adapter ses critères pour être plus flexible et que le départ puisse se concrétiser."

Un retour aux sources

"Beaucoup de personnes sont venues à Paris pour leurs études ou leur premier emploi" et "ont le désir de retourner soit dans leur région d’origine soit dans une ville similaire pour retrouver ce qu’ils aimaient quand ils étaient plus jeunes. Sur notre site, on a 70% de personnes qui ont entre 25 et 45 ans. Le profil type, c’est un couple avec jeunes enfants ou qui a un projet d’enfant à court terme et qui a envie de quitter Paris pour un logement plus grand, un jardin, pour se rapprocher de la nature et globalement avoir une meilleure qualité de vie", résume Kelly Simon.

"Avant le confinement, les recherches entre les appartements et les maisons, c’était au coude-à-coude : on avait à peu près 50% de recherches pour les appartements et 50% de recherches pour les maisons, détaille Michel Lechenault, responsable éditorial du groupe Se Loger. Aujourd’hui, on est plus à 60% de recherches pour les maisons et 40% pour les appartements. Les Français recherchent plutôt des maisons avec jardin, pas trop loin d’une métropole." 

La région gagnante sur le site Se Loger, "c’est la Bretagne, puisqu’il y a eu plus de 17% de visites vers des biens immobiliers [depuis le confinement, ndlr], surtout des maisons avec des jardins." À Paris et en Ile-de-France, "On a vu la demande de biens baisser de 5 à 6%." 

Les demandes de maisons avec jardin sont en hausse sur certains sites immobiliers (photo d'illustration)
Les demandes de maisons avec jardin sont en hausse sur certains sites immobiliers (photo d'illustration)
© Maxppp - Jérémie FULLERINGER

"S’ils viennent chez nous, ils doivent savoir qu’il faut attendre encore un peu pour la fibre"

Populaire, la Bretagne ? De son côté, Nadine Kersaudy, la maire de Cléden-Cap-Sizun, dans le Finistère, l’a en tout cas constaté.

Dans la période du confinement, les ventes de maison ont continué parce que nous avons instruit un certain nombre de dossiers pour des achats de maison par des personnes habitant l’ensemble de la France.          
Nadine Kersaudy, maire de Cléden-Cap-Sizun

"J’en ai déjà vu quatre ou cinq passer", s’étonne l'élue, dont la commune compte un peu moins de 1 000 habitants. "En si peu de temps, c’est surprenant." Celle qui est aussi présidente des maires ruraux du Finistère prévient : "S’ils viennent chez nous, ils doivent savoir qu’il faut attendre encore un peu pour la fibre, la téléphonie c’est pareil, il y a des secteurs où ça ne capte pas bien. Et on est quand même loin des centres : pour aller à la gare, c’est 50 kilomètres, avec un réseau routier qu’il faut améliorer aussi. Sinon, c’est vrai qu’on est dans un endroit agréable à vivre". Et d'ajouter : "Apparemment, la plus grande commune de notre secteur a été, je ne vais pas dire prise d’assaut, mais ces derniers temps il n’y avait même plus de propositions de vente puisqu’elles étaient systématiquement prises". Selon la maire, un bien du secteur mis en vente un vendredi faisait déjà l'objet de plusieurs offres le dimanche soir. 

Nadine Kersaudy, maire de Cléden-Cap-Sizun

2 min

Louis Pautrel, maire de Le Ferré et président des maires ruraux d'Ille-et-Vilaine, n’a pas connaissance d’autant d’agitation dans sa commune. Il espère cependant que les prochains achats ne seront pas que des résidences secondaires : _"Notre priorité, c’est que quand il y a une vente de maison, les nouveaux acquéreurs soient des habitants qui s’installent définitivement sur la commune. Des habitants qui vont avoir des enfants, les inscrire dans les écoles, dans les associations sportives et culturelles et qui vont faire vivre nos commerçants et artisans. Ce sont de nouveaux habitants qui vont_ donner de la vie à notre commune, qui vont s’intégrer à la vie locale."

"Tous les maîtres d’ouvrage et les promoteurs ne sont pas prêts à investir un peu plus d’argent"

L’envie de nature a notamment grandi chez celles et ceux qui vivent dans de petits habitats sans aucun extérieur. Pour éviter à l'avenir ce sentiment d’enfermement, il faut un extérieur pour chaque logement, affirme la psychologue, sociologue et spécialiste de l’habitat Monique Eleb. "Depuis vingt ans, il y a une tendance de mettre une salle à manger et une cuisine ouverte sur une loggia, une terrasse. Les meilleurs architectes le font. Le problème est qu’on est dans la finance, déplore Monique Eleb. 

Le logement est de plus en plus un produit. Tous les maîtres d’ouvrage et les promoteurs ne sont pas prêts à investir un peu plus d’argent pour qu’on ait plus de plaisir à être chez soi, mais je crois que ça va devenir obligatoire car je suis très sollicitée par des maîtres d’ouvrage ou des promoteurs d’avant-garde qui comprennent que c’est ça, l’avenir.        
Monique Eleb, psychologue et sociologue

"De plus en plus, on fait ce ce genre de choses : toujours une terrasse, toujours un balcon élargi", explique la spécialiste, auteure des 101 mots de l'habitat à l'usage de tous, qui réfléchit également à la construction d’immeubles équipés de bureaux partagés au rez-de-chaussée ou à l’étage, ce qui permettrait de télétravailler - comme c’est parfois le cas en ce moment - dans de meilleures conditions.

Les architectes "sont sensibles à ces questions d’adaptation de l’espace"

Les espaces extérieurs favorisent la sensation de "bien-être psychologique", confirme Guy Tapie, professeur de sociologie à l’Ecole nationale supérieure d’architecture et de paysage de Bordeaux et auteur de Sociologie de l'habitat contemporain : Vivre l'architecture. "Je pense que les promoteurs immobiliers et les constructeurs doivent en tirer les leçons. En matière de logement collectif, pour les promoteurs, ce qu’on a fait, c’est des logements de plus en plus petits." "Les architectes", eux, "sont sensibles à ces questions d’adaptation de l’espace, de flexibilité de l’espace, à l'idée de créer des sensations positives pour ceux qui y vivent. Quand on est dans un système de production normalisée comme ça existe dans la promotion et la construction de maisons individuelles, c’est parfois plus difficile." 

Cette crise va-t-elle transformer notre regard sur l'habitat ? La réponse de Guy Tapie

2 min

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