Crise après crise, pour les Français expatriés, le visage des Etats-Unis change

Les Français ont été moins nombreux à s'installer aux USA l'année dernière, notamment à cause du durcissement de l'obtention des visas de l'administration Trump
Les Français ont été moins nombreux à s'installer aux USA l'année dernière, notamment à cause du durcissement de l'obtention des visas de l'administration Trump ©AFP - LOIC VENANCE / AFP
Les Français ont été moins nombreux à s'installer aux USA l'année dernière, notamment à cause du durcissement de l'obtention des visas de l'administration Trump ©AFP - LOIC VENANCE / AFP
Les Français ont été moins nombreux à s'installer aux USA l'année dernière, notamment à cause du durcissement de l'obtention des visas de l'administration Trump ©AFP - LOIC VENANCE / AFP
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Le nouveau coronavirus, la mort de George Floyd, Donald Trump et ses messages haineux sur les réseaux sociaux et à la télé. Alors que la campagne présidentielle reprend peu à peu, nous avons demandé aux Français qui vivent aux Etats-Unis quelle était leur vision de leur pays d’adoption.

La vidéo de la mort de George Floyd à Minneapolis a choqué le monde entier. Elle a montré les divisions raciales qui existent aux Etats-Unis. Depuis l’élection de Donald Trump en 2016, et ses propos haineux tout au fil de son mandat, le pays se déchire sur cette question et sur beaucoup d’autres. Alors que la campagne présidentielle reprend doucement en vue de l’élection de novembre prochain, comment se sentent les Français expatriés aux Etats-Unis ? Qu’en est-il de leur rêve américain ?

"Notre rêve américain, c’est offrir à nos enfants un maximum d’opportunités" (Françoise, de Californie)

Cela fait 16 ans que Françoise et sa famille vivent le rêve américain. Elle, enseignante et lui manager, ont décidé en 2004 de partir aux Etats-Unis pour offrir à leurs enfants un maximum d’opportunités, "pour qu’ils soient bilingues, qu’ils aient accès aux meilleures universités, qu’ils soient ouverts". Les Etats-Unis, un pays "jeune", "progressiste", qui avance selon Françoise, très heureuse d’être devenue Américaine. Une bulle qui éclate avec la mort de George Floyd, noir américain tué par un policier blanc à Minneapolis. "Je ne me rendais pas vraiment compte", admet la mère de famille. Pendant des années, elle a vécu avec sa famille à Miami, dans une ville très mixte. "On se mélangeait avec toutes les communautés, latinos, haïtiennes, sans problème".

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La violence avec laquelle George Floyd a été tué, et les manifestations qui ont suivi ont changé la vision de Françoise : "Cela m’a montré que les Américains étaient beaucoup plus violents et raciste que je ne le pensais".

"Ce n’est pas parce qu’on change de pays qu’on devient ouvert" (Rachel, de New York)

Rachel Brunet est heureuse de vivre à New York. Depuis 2012, elle dirige la rédaction New York du Petit journal, journal en ligne qui s’adresse aux Français de l’étranger. Après la mort de Georges Floyd, elle a lancé le projet "Black Lives Matters", qui donne la parole aux francophones noirs qui vivent aux Etats-Unis. En postant ses reportages sur les réseaux sociaux, elle remarque que comme la société américaine, les expatriés français sont divisés : 

Je me rends compte que ça amène un débat et qu’il y a des personnes qui ont une position très virulente et qui n'ont pas honte d'exprimer paisiblement leur racisme sur les réseaux sociaux"

Rachel Brunet rédactrice en chef de l’édition  New York du Petit journal
Rachel Brunet rédactrice en chef de l’édition New York du Petit journal
- Rachel Brunet

Ce qui est choquant, poursuit Rachel Brunet, "c’est de se dire quand on est expatrié c’est que quelque-part, on est ouvert d'esprit. On a changé de pays, on a embrassé une nouvelle culture, on s'ouvre à quelque chose de nouveau, donc on est supposé être un petit peu ouvert et en fait, je me rends pas que ce n’est pas forcément le cas de tout le monde. Il y a des Français qui sont arrivés aux Etats-Unis avec leurs idées bien ancrées et le fait d'être jetés dans une culture différente, avec des gens différents, avec une mentalité différente, ne les a pas fait changer d'avis et que ces gens, qui étaient racistes au départ, le sont toujours aujourd'hui. C'est quand même assez perturbant de lire autant de haine, de la part de Français expatriés".

"Je ressens une certaine fatigue des Français installés aux USA par rapport Donald Trump et sa politique" Rachel Brunet rédactrice en chef de l’édition New York du Petit journal

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"Mon rêve est toujours là" (Clément, de New York)

Clément Jolain vit aux Etats-Unis depuis 2016 et rêve de devenir pilote de ligne. Il a repris les études pour réaliser ce projet à New York
Clément Jolain vit aux Etats-Unis depuis 2016 et rêve de devenir pilote de ligne. Il a repris les études pour réaliser ce projet à New York
- Clément Jolain

L’affaire George Floyd n’a pas étonné Clément. Ce Français de 26 ans est installé à New York depuis quatre ans. "Tout était rose quand je suis arrivé", confie le jeune homme. Venu avec le programme de volontaire international dans le commerce, il a totalement changé de voie et a profité de vivre aux Etats-Unis pour réaliser son rêve : devenir pilote de ligne. Il sait que les USA sont un pays d’opportunités, mais il ne se fait pas d’illusion :

Quand on débarque ici, qu’on cherche à travailler, à réussir, c’est possible. Beaucoup de choses se font rapidement dans les affaires. C’est au niveau social que j’ai été déçu. Le coût de la santé est hallucinant par exemple. Un Américain a été guéri du coronavirus et il a reçu une facture d’un million de dollars ! Ce sont des choses que je vois tous les jours. L’Amérique ne prend pas vraiment soin de ses citoyens"

Clément regrette également la culture des armes et de la violence qui règne aux Etats-Unis et le racisme. Tous ces facteurs font qu’il prend ce qu’il a à prendre de ce géant international mais qu’il partira tôt ou tard. Car dans ce pays, il ne se voit pas élever ses futurs enfants.

"Les Etats-Unis ne font plus rêver" (Bruno, de l'Iowa)

Plus amer encore, Bruno. En 2007, ce commercial suit sa femme américaine et s’installe à Chicago, c’est l’euphorie. Un nouveau pays, une nouvelle culture et surtout, quelques mois après leur installation, l’élection de Barack Obama. "On a vécu les années Obama, c’était quelque chose de fort, de puissant et de positif où il y avait une volonté de rassembler un peu tout le monde". Bruno est alors "fier" d'être aux Etats-Unis et demande la nationalité américaine. Après sept ans dans le Michigan, la famille repart en France et revient finalement aux Etats-Unis en 2019, dans l' Iowa cette fois, Etat conservateur du midwest. Mais tout a changé :

Les Etats-Unis d’aujourd’hui sont pleines de divisions. Il y a évidemment une division autour de Trump. Il y a aussi une division entre les pros et anti coronavirus, clairement ceux qui croient, ceux qui n'y croient pas. Et puis une division sur le racisme qui creuse encore plus un fossé entre les Américains. Au final, vous arrivez à une gouffre énorme entre les républicains et les démocrates qui est devenu absolument abominable"

"Il y a un avant et un après 2016", raconte Bruno. L’élection de Donald Trump engendre une "cassure" dans la société américaine. On n’est plus Républicain ou Démocrate mais pro ou anti-Trump. Bruno trouve un travail chez un équipementier industriel entre Chicago et Minneapolis, 

Autour de lui, tous ses voisins sont trumpiste. Il voit naître dans les jardins de certains des statues en carton grandeur nature du président américain. Bruno raconte la guerre ouverte aux républicains et démocrates, "ça, ça ne me dérange pas, mais ce qui me dérange c’est le manque d’argumentation des pro-Trump. Les gens balancent leur haine comme ça d'un coup sur les réseaux sociaux. En gros, on a le droit de tout dire". Une liberté d’expression de haine qui commence à être pesante pour Bruno. 

A l’internationale, l’image des USA est ternie selon lui "l’Amérique ne fait plus rêver". Un crève-cœur pour ce Français, marié à une Américaine et qui aime ce pays, "les Américains ne méritent le statut d’idiots" qu’on leur donne à travers le monde. Si Trump est réelu en novembre prochain, Bruno et sa femme envisagent de rentrer en France, "je ne veux pas élever mes enfants dans un pays dont le président est raciste et homophobe".

Nombre d’expatriés français en baisse

En 2019, 158 002 Français étaient inscrits aux registres consulaires, - 3,97% par rapport à l’année précédente. C’est "l’effet Trump", selon Dominique Lemoine, avocat d’affaires installé depuis 32 ans aux Etats-Unis et conseiller consulaire pour la communauté française. Pour lui, il y a ceux, déçus, qui quittent les USA, mais aussi et surtout ceux qui ne peuvent plus venir. 

Dominique Lemoine, avocat d'affaires et conseiller consulaire basé à Atlanta
Dominique Lemoine, avocat d'affaires et conseiller consulaire basé à Atlanta
- Lemoine & Lefebvre

"On a vu une baisse énorme dans les demandes de visas", explique le conseiller consulaire, installé à Atlanta. "Aux États-Unis, le principe est d'avoir une immigration choisie. C'est-à-dire qu'ils font rentrer des gens qui ont des diplômes, qui ont de l'argent. Des gens qui demandent par exemple un visa d’investisseur (visa E), qui est un visa très populaire", rappelle Dominique Lemoine. "En gros, je schématise, vous présentez à l’immigration américaine un dossier ou vous expliquez que vous allez créer une entreprise, avec une dizaine d'emplois dans quatre, cinq ans. Vous allez investir pour commencer la première année 250.000 dollars ou 300.000 dollars. Il y a encore cinq ans, c'était relativement facile. Vous aviez les fonds et un projet qui tient la route avec un bon business plan, vous aviez toujours votre visa pour toute la famille. Mais maintenant, Trump a réduit la durée des visas E à deux ans. Et deux ans quand vous lancez une entreprise, c'est demain. Et si dans deux ans, vous n'avez pas à créer tant d'emplois, on ne vous renouvelle pas votre visa. Donc les gens se disent ‘je ne vais pas risquer de l'argent dans ces conditions’. Au bout du compte, vous avez plus de départs que d'arrivées. C’est l’effet Trump. Je pense que c'est temporaire".

"Trump est mauvais pour les affaires", mais, relativise Dominique Lemoine, il ne restera pas plus de huit ans en tout, ensuite "les choses redeviendront normales".

"Trump est mauvais pour les affaires" Dominique Lemoine, avocat d'affaires et conseiller consulaire

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Vous avez été nombreux à vouloir raconter votre Amérique : Christophe parle notamment du communautarisme qui le fait "apprécier la France un peu plus chaque jour". Lina nous a également raconté ce qu'elle a vécu. Cette jeune française est arrivée en janvier pour étudier à Minneapolis, "je rêvais des Etats-Unis depuis que j'étais toute petite". Débarquée avec sa naïveté dans cette ville qui devient le théâtre de la mort de George Floyd, Lina découvre avec violence un "pays des extrêmes", un monde qu’elle "ne soupçonnait pas" mais où elle veut continuer de vivre. Et vous ? 

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