Des cirques sans lion, ni tigre, ou éléphant. C’est le rêve des défenseurs des animaux. Mais pas uniquement. Des circassiens ont franchi le pas, soutenus par le public. Pour autant, faut-il interdire les animaux dans les cirques ? Témoignages.
- Christophe Raynaud-de-Lage Photographe
L’installation d’un cirque dans une commune provoque de plus en plus la colère des militants pour le bien-être animal. Des manifestations ont lieu régulièrement pour demander l’interdiction des animaux sauvages dans les cirques, des pétitions sont lancées. Mais les associations de défense des animaux ne sont pas les seules à se préoccuper du sort animal. Selon un récent sondage de l’IFOP, pour "30 millions d’amis", une large majorité des Français interrogés adhèrent à l’idée : 67% sont favorables à l’interdiction d’animaux sauvages dans les cirques, dont 80% ont moins de 35 ans. Mais le cirque avec animaux est une tradition vieille de plusieurs siècles, le cirque classique fête d'ailleurs cette année ses 250 ans.
Peut-il évoluer, faut-il qu’il évolue, comme la société évolue ? Témoignages recueillis par Lise Verbeke.
Aux origines du cirque
Le cirque est l’une des plus anciennes formes de spectacle au monde. Le mot est inventé par les Romains, cirque signifie cercle, dans lequel se produisent des gladiateurs, mais aussi des "spectacles" de lions dévorant des prisonniers. Puis, le cirque se transforme au Moyen-Age. Les jongleurs, saltimbanques et autres montreurs d’ours se déplacent dans les villes pour se produire sur des estrades à la rencontre du public.
Le cirque moderne voit le jour en 1768, avec Philip Astley, jeune soldat anglais de 26 ans, excellent cavalier, qui présente un spectacle équestre, dans un terrain près de Londres. Très vite, les chapiteaux apparaissent ainsi que les parades dans les rues des villes. Les dresseurs d’animaux ont alors une place importante dans le spectacle aux côtés des acrobates, clowns et autres musiciens. Dans les années 1950, pour faire face à la concurrence de la télévision, les circassiens introduisent dans leurs spectacles les nouvelles technologies et la vidéo.
"On vivait en fusion avec nos animaux, mais fusion ou pas, c’était de l’exploitation"
"L’histoire même du cirque traditionnel montre à quel point il est intimement lié à l’utilisation d’animaux", écrit André-Joseph Bouglione dans son livre sorti récemment, "Contre l’exploitation animale", rédigé en collaboration avec Roger Lahana, président d’une association anti-corrida. L’ancien dompteur y explique pourquoi il a décidé d’arrêter les spectacles d’animaux dans son cirque. Une décision qui a été officiellement prise et annoncée médiatiquement en 2017, mais cela faisait déjà quelques années qu’il y pensait.
André-Joseph Bouglione fait partie d’une grande famille connue et reconnue dans le milieu du cirque. Son grand-père, ainsi que les frères de celui-ci, ont acquis le cirque d’Hiver à Paris dans les années 1930. André-Joseph, lui, a créé, avec sa femme issue d’une grande famille de dompteurs, leur propre cirque itinérant au début des années 1990, suite à des différends familiaux. Un cirque, avec des animaux. "Je suis la sixième génération dans le cirque, explique-t-il, et on a toujours eu des animaux, des fauves, des éléphants, des chevaux__. Moi, dans mon cirque, je privilégiais la qualité à la quantité. On n’avait pas 10 ou 15 fauves et on les domptait avec la méthode douce, on ne les approchait pas, on ne les touchait pas, c’était un travail à l’ancienne, plus correct avec les animaux". A bientôt 45 ans, il a eu un déclic il y a cinq ans :
J’ai pris conscience du problème que cela représentait, pour moi, pour mes animaux, pour la société en général, et aussi pour mes enfants dans l’avenir. Quand je vois aujourd’hui des circassiens qui ont 25-35 ans, je me dis que moi, à leur âge, j’aurais préféré mourir plutôt que de ne plus présenter d’animaux sous mon chapiteau. Donc il faut aussi comprendre leur position. J’ai eu la chance de rencontrer des personnes qui m’ont ouvert les yeux, qui m’ont apporté un point de vue différent et je sais qu’aujourd’hui, dans le monde du cirque, tout le monde n’a pas cette chance.
"Je n’ai jamais eu l’impression de maltraiter mes animaux", explique André-Joseph Bouglione. Il engageait régulièrement des numéros d’éléphants. Quand ceux-ci effectuaient un balancement de la tête, le circassien pensait que cela signifiait que les animaux se sentaient bien. "Mais c’était une erreur, détaille-t-il, car les éléphants qui font cela, c’est comparable à des tocs humains, un peu comme les autistes qui ont un balancement, sans faire de comparaison malheureuse. Des éthologues m’ont dit que c’était parce que les éléphants étaient malheureux."
Son projet aujourd’hui est de créer un éco-cirque. Le matériel serait transporté par les rails ou les fleuves, et le cirque fonctionnerait uniquement avec des humains.
"La tradition du cirque doit évoluer, car ce n’est plus en adéquation avec les attentes de la population"
La décision qu’a prise André-Joseph Bouglione a forcément eu un retentissement particulier dans le monde du cirque. En tout cas, elle a été saluée par les associations de défense des animaux, comme la toute jeune association Paris Animaux Zoopolis, créée il y a un an. Ses membres se disent antispécistes, c’est-à-dire qu’ils placent l’homme sur le même plan d’égalité que les autres espèces.
Début avril, l’association a mené une campagne d’affichage dans le métro parisien contre les animaux dans les cirques. Cette campagne a été financée par une organisation privée, l’association Bourdon, à hauteur de 10 000 euros.
Pour afficher ce contenu Twitter, vous devez accepter les cookies Réseaux Sociaux.
Ces cookies permettent de partager ou réagir directement sur les réseaux sociaux auxquels vous êtes connectés ou d'intégrer du contenu initialement posté sur ces réseaux sociaux. Ils permettent aussi aux réseaux sociaux d'utiliser vos visites sur nos sites et applications à des fins de personnalisation et de ciblage publicitaire.
Lundi 9 avril, six membres ont créé une manifestation devant le ministère de la Transition écologique à Paris pour réclamer une loi interdisant les animaux sauvages dans les cirques. "On veut politiser la question animale, détaille Amandine Sanvisens, la co-fondatrice de Zoopolis, et faire rentrer cette question dans la sphère politique et notamment au conseil de Paris ». Devant le ministère, ils ont brandi des affiches réclamant cette loi.
Il est impératif, selon l’association, que le cirque traditionnel évolue. Mais cela doit se faire par étape, le temps que tous les animaux puissent être mis dans des sanctuaires.
Pour les animaux, le cirque, c’est de l’emprisonnement à vie et à cela s’ajoute la violence du dressage qui a pour objectif de soumettre les animaux. Dans les cirques, ils ont des troubles du comportement, ce qu’on appelle des stéréotypies, c’est-à-dire des mouvements répétés continuellement. Par exemple, les fauves qui tournent en rond pendant des heures et des heures dans leur cage. Ces troubles sont des marqueurs forts de dépression chronique. Et ça, on ne le constate jamais dans leur milieu d’origine, uniquement en captivité.
"L’animal a besoin de manger, se reproduire, être protégé, et ça il le retrouve sans faire d’effort dans les cirques"
Des accusations que réfutent en bloc beaucoup de cirques traditionnels. Christian Caffy est le délégué général du collectif des cirques animaliers, qui regroupe environ 250 cirques en France. Le collectif s’est créé il y a un an, pour faire face aux associations animalistes.
"Présenter des animaux dans un spectacle c’est un choix fondamental qui relève d’une tradition, mais aussi d’un besoin profond de la population d’avoir le contact avec les animaux", se défend Christian Caffy. Il reconnait la beauté des spectacles sans animaux, mais considère que ce n’est pas du cirque, mais du "cabaret sous chapiteau". Selon lui, il manque l’odeur de la paille, de la sueur de l’animal, mêlée à celle de la barbe à papa qui fait que l’on sait que l’on assiste à un spectacle de cirque, "ce cirque qui fait partie de notre patrimoine culturel".
Aux critiques des associations de défense des animaux, qu’il qualifie "d’intégristes animalistes", celui qui nous a remis un argumentaire illustré d'une cinquantaine de pages répond :
Les animaux sont nés en captivité. Nous avons fait le décompte concernant un lion blanc, assez célèbre dans les cirques. Nous sommes remontés à 50 générations pour retrouver son ancêtre pris dans la nature. Croyez-vous que dans les gènes actuels de ce lion blanc, il y a encore le souvenir de la nature ? Sûrement pas ! Il faut qu’on arrête avec ces idées de kilomètres carrés nécessaires pour les tigres. C’est nécessaire dans la nature, pour avoir accès à la nourriture, aux femelles, se protéger contre les prédateurs etc. Mais dans les cirques, l’animal n’a pas du tout cette préoccupation. L’accès aux femelles est quasiment garanti, l’accès à la nourriture, il l’a sans avoir à se battre. L’animal a besoin de manger, de se reproduire et d’être protégé, et ça il l’a dans un cirque sans faire d’effort.
ll ajoute que la réglementation pour posséder des animaux est suffisamment stricte et encadrée, avec notamment le code de l'environnement et un arrêté de 2011 "fixant les conditions de détention et d'utilisation des animaux vivants d'espèces non domestiques dans les établissements de spectacles itinérants".
Selon Christian Caffy, le cirque traditionnel n’est pas menacé par le manque de spectateurs, "car il y en a 13 millions chaque année", mais par les associations de défense des animaux, les rapports parfois compliqués avec les municipalités et le manque de place dans les communes pour installer les chapiteaux.
Pas de base légale pour interdire les cirques avec animaux en France
Une commission nationale des professions foraines et circassiennes a été créée en fin d’année 2017, et placée auprès du Premier ministre. Cette commission est notamment chargée de faciliter le dialogue avec les mairies.
Car les mairies sont de plus en plus nombreuses à signifier leur refus de voir s’installer sur leur espace public des cirques avec animaux. Il y en aurait 90 en France (selon le site de défense des animaux : cirques de France, sur 36 000 communes) à avoir formulé des vœux, voté une délibération en conseil municipal ou à avoir pris un arrêté dans ce sens. Un arrêté qui peut d’ailleurs être annulé par le tribunal administratif, car aucune réglementation n’interdit les animaux sauvages dans les cirques, il n’y a pas de base légale.
Récemment, la ville de Lagny-sur-Marne, en Seine et Marne, ville de 21 500 habitants, dirigée par un maire de centre-droit, a voté une délibération en conseil municipal. "Il y a un moment où il faut prendre des décisions, se justifie le directeur de cabinet du maire, Pierre Tebaldini. C’est assez révoltant de voir comment les animaux sont traités dans les cirques malgré tout. Même si on peut imaginer que les circassiens essaient d’en prendre soin au maximum. Les cages restent petites, etc, donc à un moment la décision a été prise. Une fois cette délibération prise, nous avons eu beaucoup de remerciements de la part des administrés."
"Il faut absolument que les cirques se réinventent", Pierre Tebaldini
4 min
La ville socialiste de Rennes a également formulé ce vœu en fin d’année dernière. "Nous n’avons aucun problème avec les cirques, mais le voyage constant des animaux, pose question sur leur bien-être__", explique Marc Hervé, adjoint au maire. Il faut, selon lui, un vrai débat dans l’espace public à ce sujet et il affirme que certains circassiens réfléchissent à arrêter les animaux. "Tout n’est pas tout blanc ni tout noir, certains professionnels ont un discours construit et posé sur le sujet", conclut l’adjoint rennais.
Le Conseil de Paris a adopté en décembre 2017 un texte indiquant que "la Ville de Paris réitère sa condamnation de toutes formes de trafic des animaux et de la maltraitance animale" , mais n'a pas voté l'interdiction, demandant simplement à l'Etat d'agir.
"Il faut arrêter de se mettre à la place des animaux, et aller faire des études sur place"
Le débat sur le bien-être animal dans le milieu du cirque revient régulièrement depuis plusieurs années. Un débat qui n'a jamais été vraiment tranché chez les éthologues, notamment sur la question de la maltraitance des animaux et leur enfermement. Des tribunes sont régulièrement publiées par des vétérinaires et éthologues pour demander l'interdiction des animaux dans les cirques, comme celle- ci publiée en novembre 2017, signée par 15 philosophes, scientifiques et historiens. Ils s'appuient notamment sur l'exemple autrichien :
L'interdiction, en 2005, de la présence d'animaux sauvages dans les cirques autrichiens a pour origine un rapport rédigé par des spécialistes (vétérinaires, juristes et zoologistes). La conclusion de ces experts autrichiens est sans appel : " il est tout à fait impossible de garder des animaux sauvages dans des cirques d'une manière qui soit en accord avec les besoins de chaque espèce_."_
Jocelyne Porcher est une ancienne éleveuse, aujourd'hui sociologue et zootechnicienne à l'INRA, l'Institut national de la recherche agronomique. "C’est en pratiquant le métier d’éleveur que j’ai commencé à m’interroger sur ses enjeux moraux", explique-t-elle sur son blog**. **Il y a trois ans, l'une de ses étudiantes a mené une étude avec une éléphante du cirque Gruss :
Avec cette étude, on a mis en évidence que cet animal n'était pas malheureux. L'étudiante a observé une relation quasi-fusionnelle avec son éleveur, Firmin Gruss , comme une relation avec un animal domestique, même si cette relation est finalisée par le travail, car elle est entraînée à participer à un spectacle.
La sociologue spécialisée dans le rapport de travail entre les animaux et les éleveurs, a beaucoup travaillé sur les chiens d'aveugle, les chiens de troupeau ou encore les chiens de policiers.
"On a mis en évidence que les animaux n'étaient pas forcément malheureux. Par exemple l'éléphante Syndha, du cirque Gruss". Jocelyne Porcher
5 min
Dans ces cas-là, détaille-t-elle, les animaux comprennent les objectifs du travail, il veulent bien faire, faire plaisir à leur maître. Mais concernant les animaux du cirque, nous avons plus de questions que de réponses. Le problème de ces histoires d'animaux dans les cirques est que l'on ne sait rien. Ce qu'il faut, c'est aller voir sur place comment ça se passe et comprendre ce que ça veut dire pour un éléphant, un lion, un tigre, de travailler. Il faut sortir des clichés de la souffrance des animaux dans les cirques, même si je pense qu'effectivement dans certains cirques, les conditions de vie et de travail ne sont pas bonnes. Comme il y a des cirques où probablement les conditions sont bonnes_._
"La législation est solide, mais il y a encore beaucoup de questions en suspens"
Face à toutes les questions que la présence des animaux dans les cirques soulèvent, l'ordre des vétérinaires a créé, en fin d'année 2017, un groupe de travail sur la faune sauvage captive, dans la commission vétérinaire et bientraitance animale. La responsable de cette commission s'appelle Ghislaine Jançon. Son premier travail a été de vérifier si la législation qui réglemente les animaux dans les cirques est, en théorie, suffisamment solide.
Il faut déjà une demande d'autorisation préfectorale préalable. Ensuite, si c’est un cirque itinérant, il doit faire une déclaration avant d’arriver sur une commune, à la DDPP, la direction départementale de la protection des populations. Cela déclenchera, quand il arrivera sur place, un contrôle de la DDPP, qui portera sur la bientraitance, la sécurité etc. Les animaux sont obligatoirement marqués et fichés, et enfin, les circassiens doivent obtenir des certificats de capacité pour chaque espèce. On a donc pu constater que la législation est suffisamment complète.
Et dans les faits ? "C’est là le problème, admet la vétérinaire. Il faut un certain nombre de moyens pour respecter cette réglementation. Certains cirques qui sont de petite envergure, qui voyagent très rapidement, quand ils arrivent dans une commune, ils sont souvent repartis le lendemain. Et la DDPP n’a pas le temps d’effectuer de contrôle." L’ordre des vétérinaires ne recommandent pas l’interdiction totale des animaux dans les cirques, mais il suit l’avis de la Fédération européenne des vétérinaires, qui "recommande à toutes les autorités compétentes européennes et nationales, d’interdire l’utilisation de mammifères sauvages dans les cirques itinérants dans toute l’Europe, qui ne peuvent satisfaire aux besoins physiologiques, mentaux et sociaux".
Pour autant, le groupe de travail doit encore réfléchir sur de nombreuses questions, selon Ghislaine Jançon :
Un animal est-il fait pour rester dans un cirque ? C'est une question difficile. Depuis 50 ans, il n’y a plus de prélèvements d’animaux dans la nature. On peut penser que les animaux nés en captivité dans les cirques ne sont plus tout à fait les mêmes, ils n’ont a priori plus les mêmes besoins. Mais c’est une réflexion que l’on mène en ce moment. On n’a pas encore de réponses absolues, sauf un ressenti. Après, il faudra pousser également le raisonnement d’un point de vue éthique, faut-il ou non laisser les animaux se reproduire dans les cirques. Pareil, la réflexion est en cours.
Vos réactions sur les réseaux sociaux
L'équipe
- Production