

Les médias sont-ils suffisamment ouverts au handicap ? Qu'il s'agisse du recrutement des personnes handicapées, des sujets traités ou de la visibilité accordée à cette partie de la population... Il reste du travail dans le combat pour l'inclusion même si les progrès sont là.
Le handicap a-t-il sa place dans les médias ? Si l'on se contente des chiffres, la réponse est plutôt non. Le 14 novembre, l'organisme chargé des statistiques au sein du ministère du Travail (la Dares) publiait ses dernières données sur l'emploi des personnes handicapées. On y apprenait que le secteur de l'information et de la communication était le plus mauvais élève avec 2,2% de personnes handicapées employées à temps plein (chiffres de 2016). Le premier de la classe étant l'administration publique, l'enseignement, la santé humaine et l'action sociale avec un taux de 4,5%... Toujours loin cependant de l'obligation légale qui place l'objectif à 6%.
La question n'est pas éludée pour autant. Chaque année, le CSA consacre un chapitre à la représentation du handicap dans les médias dans son baromètre sur la diversité. En janvier, le dernier rapport indiquait que les personnes handicapées ne représentaient que 0,7% des individus montrés à la télévision. Or, selon l'Insee, 12 millions de Français sont en situation de handicap, soit 20% de la population (dont 80% de handicap invisible, non apparent). Mais malgré tout, les lois et les mentalités évoluent : des parcours et des initiatives sont possibles. Hashtag a rencontré des journalistes et des acteurs du secteur pour en comprendre les évolutions.

Sophie Massieu, journaliste et non-voyante

"Quand j'ai commencé ma carrière, on me disait 'mais enfin, vous êtes aveugle, vous ne pouvez pas être journaliste'", se souvient Sophie Massieu. "Aujourd'hui, heureusement, les mentalités ont évolué. En tout cas me concernant". À 44 ans, la journaliste a prouvé à ses détracteurs qu'ils avaient tort, avec une belle carrière derrière elle, dans tous les médias : presse spécialisée (au sein du magazine "Faire face" édité par l'APF, l'association des paralysés de France), radios (RFI, France Info, RTL, Europe 1) et télé (Arte avec le magazine "Dans tes yeux", une série de documentaires de voyages où Sophie Massieu courait le monde à la découverte des pays et de ses habitants).
Mais les choses n'ont pas été simples au début :
Il y avait une forme d'autocensure de ma part sans doute. Je ne me sentais pas capable de passer le concours du CFJ [Centre de formation des journalistes, l'une des écoles reconnues par la profession et parmi les plus réputées]. Et puis j'ai suivi les pas d'un illustre prédécesseur qui s'appelait Julien Prunet, un journaliste non-voyant qui a été le premier à être formé au CFJ avant de faire une carrière à France Info, malheureusement trop courte [Julien Prunet a mis fin à ses jours en 2002 à l'âge de 29 ans]. Mais le concours du CFJ n'était pas adapté avec des épreuves de classement de photos par exemple... Du coup, j'étais entrée sur un entretien de motivation et CV et j'ai suivi la formation comme auditeur libre, sans diplôme à la fin.
À la sortie d'école, Sophie Massieu a eu du mal à faire sa place : "Je faisais des piges, les premières années sont complexes pour beaucoup de journalistes mais à plus forte raison quand on est porteur d'un handicap. Il m'a fallu quatre ans et demi pour signer un premier CDI au magazine 'Faire Face' mais je me suis dit en le signant qu'il n'était pas question d'y rester trop longtemps. Je ne voulais pas être 'la journaliste handicapée qui traite de sujets sur le handicap', je ne voulais pas être enfermée dans cette identité".
Aujourd'hui, la journaliste travaille pour la presse écrite principalement, sur des sujets qui touchent à l'information sociale, à l'emploi, à la formation professionnelle et à la santé. "Je ne refuse plus de traiter les sujets sur le handicap comme je le faisais au tout début de ma carrière, j'ai grandi sur cette question. Je connais bien les sujets et les interlocuteurs et je peux donc apporter quelque chose, mais ça n'est pas l'essentiel de mon travail".
Pour travailler, elle utilise un petit ordinateur équipé d'un clavier braille et d'une plage tactile. Un matériel onéreux mais qu'elle n'a pas financé sur ses deniers personnels grâce à l'Agefiph (l'Association de gestion du fonds pour l'insertion des personnes handicapées). "En revanche, lorsque vous êtes pigiste, un employeur ne vous fournit pas le matériel nécessaire, c'est peut-être injuste, mais c'est comme ça... Lors de mes collaborations en CDI à 'Faire face' et pour 'Dans tes yeux', c'était différent et mon poste était aménagé".
Les sourds aussi veulent être entendus
La question du handicap dans les médias suscite aussi des questions du point de vue de l'accès à l'information. Né en avril 2018, le site Média'Pi ! fait profession de toucher les sourds et malentendants : "6 millions de personnes en France en 2018, dont 500 000 sourds profonds", d'après le dossier de presse du site, où on lisait aussi : "Imaginez un pays où la majorité de la population ne parle pas votre langue et en utilise une qui vous est inaccessible".
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Exemple d'un reportage bilingue (langue des signes et français sous-titré) réalisé par le site d'information Média'Pi ! lancé en 2018.
La fondatrice de Média'Pi ! s'appelle Noémie Churlet, ancienne comédienne reconvertie en directrice de publication. Elle nous a reçu dans les locaux du site, au 3e étage d'un immeuble d'Aubervilliers, en Seine-Saint-Denis.
Le projet est né de beaucoup de raisons mais la prise de conscience a eu lieu en 2015 au moment des attentats. Le manque d'information en LSF (langue des signes française) s'est cruellement fait sentir car beaucoup de sourds n'avaient pas accès à l'actualité et ne comprenaient pas ce qui se passait dans leur pays. Nous avions lancé une page Facebook dans l'urgence avec des vidéos en langue des signes mais il s'agissait d'un modèle économique gratuit, ça n'était pas normal.
Noémie Churlet, fondatrice de Média'Pi !
L'association Média'Pi a été créée en juillet 2016 et les premiers contenus ont été publiés deux ans plus tard, en 2018. "Personnellement, j'avais déjà écrit une newsletter en 2003 lorsque j'étais encore comédienne mais que les artistes sourds avaient du mal à comprendre la réforme du statut des intermittents. Mais j'ai vraiment pris conscience du pouvoir des médias en 2015 lors d'un incident avec la CAF : le centre relais qui permettait une mise en relation avec un interprète était en panne... Je me suis donc présenté au bureau de la CAF dans le Val-de-Marne mais ils refusaient de me recevoir sans interprète LSF. J'avais publié une vidéo sur Facebook (voir ci-dessous) pour dénoncer la situation et le site Rue 89 en avait fait un article... Le problème avait été réglé quasi immédiatement !"
"J'ai créé Média'Pi ! car la communauté sourde en avait besoin mais c'est un site destiné à tous", insiste pourtant Noémie Churlet. "Nous publions des vidéos le lundi, le mercredi et le vendredi", synthèses de l'actualité quotidienne et hebdomadaire avec un journaliste en plateau qui présente les informations en LSF. Le reste du temps, des reportages, des BD et des articles sont mis en ligne "sur tous les sujets ! Pas seulement sur ce qui concerne les sourds".
Aujourd'hui, le site compte 2 200 abonnés après un pic à 3 300 au moment du lancement. "L'objectif est d'arriver à 5 000 abonnés pour salarier une équipe de 13 personnes", explique Noémie Churlet.
Le handicap dans les grands médias : des progrès mais tout n'est pas rose
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Mais au delà du parcours individuel d'une journaliste ou de la création d'un nouveau site d'information, que font les grands médias face au handicap ? La question anime les discussions du groupe "handicap et médias", dirigé par Vincent Lochmann, au sein du CNCPH ( Conseil national consultatif des personnes handicapées). "Le groupe travaille depuis 2016 : nous organisons des colloques, des conférences, travaillons à faire changer les mentalités et aujourd'hui, nous avons des avancées".
Vincent Lochmann cite la diffusion des épreuves handisports aux Jeux Olympiques ou la série Vestiaires, qui passe le samedi à 20h40 sur France 2 depuis 2011. "Cette série montre des personnes handicapées en maillot de bain, ça n'aurait pas été envisageable de montrer ces corps il y a seulement dix ans." En octobre 2019, France Télévisions a aussi lancé une nouvelle série consacré aux maladies mentales et psychiques : "Mental", diffusé sur Slash, la plateforme du groupe destiné aux jeunes.
"Mais il y a encore des progrès à faire", tempère Vincent Lochmann, "les handicaps mentaux sont encore associés à des idées négatives, les faits divers, le crime, la mort... La représentation du handicap chez les tout-petits reste aussi difficile à montrer, même si nous travaillons actuellement sur des spots en dessins animés pour déstigmatiser cette question".
Car le monde des médias demeure malgré tout rétif à la représentation du handicap. Ceux qui y travaillent semblent l'avoir intégré s'ils veulent faire une carrière de première plan. En 2017, le journaliste Thomas Sotto (passé par la matinale d'Europe 1, aujourd'hui chez RTL et présentateur du 20 heures et d'émissions spéciales sur France 2) déclarait qu'il avait préféré garder son handicap discret (voir vidéo ci-dessous). Après un accident de deux-roues à l'âge de 25 ans, le journaliste s'est retrouvé paralysé du bras gauche : "lorsqu'une responsable de chaîne m'a rappelé et m'a demandé 'ton bras, ça se voit toujours ? J'ai menti, non, non, ça se voit plus du tout. J'ai compris que c'était la question éliminatoire et je ne suis pas sûr qu'aujourd'hui, ça ait beaucoup changé".
Pourtant, les choses évoluent. La loi oblige les entreprises de plus de 20 salariés à compter au moins 6% de salariés dans leur effectif. À Radio France, ce taux est passé de 2,43% en 2010 à 5,82% en 2018 d'après la mission Handicap. Un résultat pas à l'image du secteur de l'information et de la communication où le taux était de 2,5% en 2016 (voir chiffres en début d'article). Cependant, en France, on ne voit pas de journalistes de premier plan avec un handicap visible, comme au Royaume-Uni où des professionnels comme Nikki Fox, Frank Gardner ou Lucy Martin sont en première ligne à l'image.
Une journaliste de la BBC en Écosse nous le confiait via notre appel à témoignages sur Twitter :
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Sur Instagram, la présentatrice météo Lucy Martin publie régulièrement des photos. Dans son profil, elle se présente ainsi : "Fille du nord de Londres, présentatrice pigiste, participe à l'amélioration de la visibilité du handicap dans les médias".
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