À l'heure de la dématérialisation tous azimuts, de nombreux Français subissent la grande numérisation de la société : "illectronisme", fracture numérique, perte d'autonomie... Qui sont les personnes concernées et quelles solutions trouvent-elles ? Témoignages recueillis par Maxime Tellier.
On l'appelle "illectronisme" ou fracture numérique : c'est un phénomène qui touche de nombreux Français : 23% ne seraient "pas à l'aise avec le numérique" d'après un sondage publié par l'Institut CSA en juin 2018. Personnes âgées, précarisées ou n'ayant pas d'intérêt pour l'informatique... Les conséquences peuvent être sérieuses et causer une perte d'autonomie, un isolement ou exposer les personnes à des risques en terme de cybersécurité. À l'occasion des journées d'action contre l'illettrisme, Hashtag donne la parole à ceux qui vivent au quotidien cette fracture numérique, forme d'illettrisme des temps modernes.
Des ateliers d'aide un peu partout
Pour les personnes qui souhaitent se mettre à la page du web, bonne nouvelle ! Des ateliers et autres cours d'initiation existent un peu partout en France. Exemple aux Sables d'Olonnes, Éric Wilmart a répondu à l'appel à témoignages lancé par Hashtag sur Facebook : chaque semaine, ce jeune retraité propose des ateliers d'initiation à l'informatique dans un café de la commune. "En général, les personnes viennent avec une demande précise : 'comment envoyer un mail, comment retrouver mes photos, utiliser WhatsApp ou Word, etc.' Je réponds à ces besoins ponctuels mais l'idée générale est de les aider à prendre confiance et à devenir autonomes".
Éric Wilmart a commencé ces ateliers il y a six mois, au moment des déclarations de revenus :
Tout est dématérialisé désormais et les gens se rendent compte qu'ils n'ont plus le choix. J'ai donc fait pas mal d'accompagnement sur le site des impôts, qui est plutôt bien fait d'ailleurs ! Mais moi-même j'ai été frappé, j'ai voulu vendre ma voiture l'an dernier et désormais, tout se fait par internet, pas de rencontre à un guichet, pas de coup de téléphone. Cette dématérialisation générale est tout de même brutale !
L'illectronisme : un sentiment d'échec
Pour certains, ce virage numérique pris par la société est difficile à accepter. Marie Huvent - qui a aussi répondu à Hashtag via notre compte Facebook - travaille dans un magasin de ventes de produits informatiques à Fréjus. Depuis deux ans, elle propose des cours particuliers pour une partie de ses clients : "je viens chez eux et leur apprend à utiliser un ordinateur, une souris, un navigateur internet, comment envoyer un mail etc. Mais bien souvent, j'ai aussi un rôle d'écoute pour les rassurer".
Ils ont un vrai sentiment d'échec, une perte de confiance en eux et psychologiquement, cela les isole complètement... Mais c'est avec ces sentiments que j'essaie de les atteindre. En leur parlant de leur ressenti, en leur disant qu'il est possible de se sortir de ce sentiment d'échec.
Et Marie Huvent aide beaucoup de personnes âgées dans sa clientèle mais certains ne sont pas si vieux : "j'aide des personnes qui sont parfois jeunes retraités et qui n'avaient pas l'habitude d'utiliser l'informatique dans leur quotidien. Or aujourd'hui, le numérique est partout, dans toutes le démarches et il n'ont plus le choix".
Fracture numérique et sociale
Mais la fracture numérique s'ajoute parfois à d'autres difficultés et pas seulement liées à l'âge ou à un manque d'intérêt pour le numérique. À Saint Denis, l'association Emmaüs propose une antenne dédiée au numérique : Emmaüs Connect né en 2013 et présent dans neuf grandes villes de France. Des ateliers, des cours et des entretiens individuels sont proposés aux bénéficiaires.
Nous proposons deux types d'aide : des cours et ateliers pour familiariser les personnes avec l'informatique et internet mais aussi des solutions pour s'équiper de matériel sans payer trop cher, nous leur donnons des conseils également pour trouver les offres d'abonnement les moins chères.
Perrine Lothon, responsable opérationnel Emmaüs Connect à Saint-Denis.
Dans la salle de l'atelier numérique le jour où Hashtag est venu, Pascal, la soixantaine, apprenait à se connecter à sa boîte mail afin de faire les démarches pour actualiser sa situation sur Pole Emploi :
J'ai travaillé 24 ans comme manutentionnaire et mon entreprise a fermé. J'ai fait 8 ans d'intérim par la suite dans le même domaine. Mais aujourd'hui, j'ai le problème de l'âge et celui de l'informatique. Il faut savoir se servir d'un ordinateur au quotidien et j'en suis incapable, pour l'instant.
Pascal, participant à un atelier d'Emmaüs Connect.
Attention aux arnaques sur internet
Mais la fracture numérique ne se traduit pas seulement par des risques d'isolement ou de perte d'autonomie : les personnes "illectroniques" ou pas suffisamment informées s'exposent également à des arnaques sur internet, cyberdélinquance ou cybercriminalité. En 2018, le site cybermalveillance.gouv.fr a recensé plus de 28 000 victimes de tels actes que la plateforme a accompagné. En se connectant, les victimes peuvent trouver une aide et une liste de professionnels proches de chez eux pour les aider.
Les cyberattaques peuvent tous nous toucher mais il est vrai que des personnes qui ne connaissent pas bien internet peuvent plus facilement tomber dans le panneau.
Jérôme Notin, responsable de cybermalveillance.gouv.fr
Jérôme Notin cite notamment l'exemple de l'arnaque au faux réparateur : une alerte apparaît sur l'écran de la victime lui disant que l'ordinateur a été infecté par un virus. Le message invite alors à composer un numéro non surtaxé pour trouver de l'aide : "Et ce numéro renvoie vers de faux réparateurs qui vont vous demander de prendre la main à distance sur votre ordinateur pour soi-disant installer un antivirus. Ils installent en fait un logiciel qui leur permettra d'accéder à toutes vos données stockées sur le disque dur et si jamais, vous avez une photo de votre carte bleue, ils peuvent vous voler quelques centaines d'euros..."
Pour éviter d'être touché : quelques règles essentielles rappelées par Jérôme Notin. Mettre à jour ses logiciels, les nouvelles versions contenant des correctifs de sécurité et empêchant les pirates d'exploiter des vulnérabilités du logiciel. Sauvegarder ses données sur une clef USB, un disque externe ou une plateforme de stockage en ligne (cloud) et choisir un mot de passe fort (minuscules, majuscules, chiffres, caractères spéciaux), spécialement pour sa boîte mail principale qui permet ensuite de contrôler tous ses autres comptes (banques, services publics, sites de commerces, etc.).
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