Je suis encore syndiqué-e

Loïc et Clément, étudiants, ont choisi de bientôt adhérer à un syndicat
Loïc et Clément, étudiants, ont choisi de bientôt adhérer à un syndicat ©Radio France - Anne-Laure Chouin
Loïc et Clément, étudiants, ont choisi de bientôt adhérer à un syndicat ©Radio France - Anne-Laure Chouin
Loïc et Clément, étudiants, ont choisi de bientôt adhérer à un syndicat ©Radio France - Anne-Laure Chouin
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Un taux de syndicalisation en baisse constante, des instances de moins en moins représentatives, de nouvelles formes de mobilisation a-syndicales : mais qu'est-ce qui pousse encore les jeunes à se syndiquer en 2019 ? Témoignages et éléments de réponse.

En 2016, selon la Dares (Direction des études statistiques du ministère du travail), 11% des salariés âgés de 18 à 65 ans en France déclaraient adhérer à une organisation syndicale. Un chiffre qui baisse constamment depuis 1949, et qui émane à la fois des déclarations des organisations syndicales et des enquêtes menées par l'INSEE. Autre caractéristique de la syndicalisation en France : les salariés de la fonction publique sont deux fois plus syndiqués que ceux du secteur marchand et associatif. Quant à la propension à se syndiquer chez les salariés en intérim (1%) ou en CDD (2%), elle est quasi nulle. Elle reste très faible également chez les salariés à temps partiel (8%). Une étude détaillée de la DARES que vous pouvez consulter ici.

Le taux de syndicalisation des salariés français est en baisse constante depuis 1949
Le taux de syndicalisation des salariés français est en baisse constante depuis 1949
© Visactu - Visactu

On a beaucoup étudié les raisons de cette désaffection française pour le syndicalisme, mais cet hiver 2018-2019 interroge plus que jamais les structures syndicales traditionnelles, avec l'émergence d'un mouvement qui se revendique a-politique et a-syndical, mais qui partage pourtant beaucoup de revendications avec ces mêmes syndicats : les "gilets jaunes". 

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Si les principales centrales syndicales se sont montrées plutôt méfiantes à l'égard de ce mouvement à son origine, elles défilent désormais à leurs côtés (à l'exception de la CFDT). Mais avec des moyens d'actions et des philosophies bien différentes. D'où cette question : face aux mutations du monde du travail, aux nouvelles formes de mobilisation, et aux nouvelles générations, pourquoi encore choisir de se syndiquer en 2019 ? 

Nous avons posé la question à plusieurs jeunes syndiqués, d'horizons divers.

"Râler utile"

Laurine Roth a 31 ans, elle travaille en CAF depuis plusieurs années, et c'est à l'occasion d'un conflit avec sa hiérarchie (qui souhaitait qu'elle signe un avenant de formation antidaté) qu'elle a fait le choix de se syndiquer. Elle a choisi la CFDT parce que, dit-elle, "c'est le syndicat qui a été le plus efficace pour régler le problème à cet instant" mais aussi par affinités personnelles avec les personnes déjà adhérentes qui l'ont accompagnée. 

Pourquoi s'est elle syndiquée quand d'autres collègues dans la même situation ne l'ont pas fait ? Ecoutez sa réponse

Laurine Roth, de la CFDT SFASS Île de France
Laurine Roth, de la CFDT SFASS Île de France
© Radio France - Anne-Laure Chouin

"J'ai toujours râlé. Autant râler utile"

46 sec

J'ai toujours râlé contre les injustices, je me suis dit pourquoi pas m'engager ? Ce sont aussi les personnes sur le terrain que j'ai rencontrées qui m'ont mise en confiance pour me dire"j'y vais, je m'engage".

Autre témoignage, celui de Julie, affiliée à la CGT dans le Finistère. Elle n'a pas attendu d'avoir un souci sur son lieu de travail, son engagement était "naturel".

Julie Augustin, memebre du collectif jeunes de la CGT du Finistère
Julie Augustin, memebre du collectif jeunes de la CGT du Finistère
- CGT

"C'était naturel, j'avais envie de faire partie de la vie de mon entreprise"

1 min

J'ai appris que mon grand-père avait été militant à la CGT mais je ne le savais pas quand je me suis syndiquée. Cela apporte beaucoup de choses, je sais mieux m'exprimer, rédiger, etc. Au travail, c'est compliqué parce que c'est beaucoup d'implication, beaucoup de déplacements. Mais c'est important et cela m'a beaucoup apporté au niveau personnel.

Beaucoup de syndiqués le sont à la suite d'un problème au travail, d'autres y viennent par affinités avec des "déjà membres", d'autres encore parce que c'est une façon de faire partie d'un collectif. Tous, et parmi eux les plus jeunes, continuent de croire qu'une voix portée collectivement aura plus de poids qu'une colère individuelle. 

Loïc et Clément par exemple, rencontrés à la marche commune CGT/Solidaires/"gilets jaunes" du 5 février dernier, ne sont pas encore syndiqués "parce qu'étudiants" disent-ils. Ils souhaitent devenir enseignants et sitôt qu'ils seront dans la vie professionnelle, ils se syndiqueront. Par souci "d'efficacité" selon eux.

S'engager, c'est ne pas avoir peur

Les membres les plus actifs des syndicats endossent souvent des responsabilités, c'est le cas de tout ceux qui ont souhaité témoigner dans ce "Hashtag". Mais pour la grande majorité des affiliés, qui se définissent comme "simples adhérents",  l'attitude est plus passive. Selon l'étude de la DARES citée plus haut, c'est "pour des raisons personnelles, des facteurs dissuasifs (comme, par exemple, le risque que peut comporter cet engagement) ou un comportement plus opportuniste (la mobilisation de certains bénéficiant à l’ensemble du groupe) qu'on peut expliquer cette absence relative d'implication." 

Au delà des simples adhérents, la grande majorité des travailleurs ne se syndiquent tout simplement pas. Parmi eux, certains le voudraient, mais n'osent pas. Laurine pense savoir pourquoi :

"Les gens ne se syndiquent pas parce qu'ils ont peur"

58 sec

Certains militants commencent à avoir des petites réflexions de leur direction, de leur encadrement quand certains sujets sont abordés. C'est une stigmatisation qui est encore malheureusement réelle et qui font que les gens ne se syndiquent pas. Dans d'autres pays comme l'Allemagne, cette stigmatisation n'est pas permise. J'ai beaucoup de collègues qui ne syndiquent pas parce qu'ils ont peur de ça.

Se syndiquer : une "école de la vie"

Parmi les jeunes syndiqués qui ont sauté le pas, certains l'ont fait en tant qu'héritiers d'une tradition familiale. C'est le cas de Thiebault Weber. Lui travaille à Bruxelles, à la Confédération Européenne des Syndicats (CES), qui représente le mouvement syndical à l'échelle européenne. Son père était syndicaliste et Thiebault s'est engagé dès le lycée. "Je n'ai pas toujours été bon élève, dit-il, et mon engagement à la  FAGE d'abord (syndicat étudiant), puis à la CFDT ensuite,  m'ont appris à débattre, à agir, à tenter de faire changer les choses".

Thiebault Weber, secrétaire confédéral au CES, confédération des syndicats européens
Thiebault Weber, secrétaire confédéral au CES, confédération des syndicats européens
© Radio France - Anne-Laure Chouin

"Ca a été une vraie école de la vie"

40 sec

Au delà de l'indignation, de la colère parfois, de vouloir changer le monde quand on est jeune, de voir que notre action peut peser, c'est très important dans la construction de notre engagement syndical.

Laurine de son côté, est bien consciente qu'avant d’être syndiquée, elle n'avait aucune conscience de la chose politique. L'engagement syndical a été pour elle synonyme de plus d'aisance à l'oral, de maîtrise de l’expression écrite, et de montée en compétences.

"Aujourd'hui je peux dire que j'ai acquis beaucoup de compétences"

46 sec

Avant, la politique ne m'intéressait pas du tout. Depuis que je suis impliquée, je vois la société sous un autre angle. J'ai été beaucoup accompagnée, j'ai suivi des formations et aujourd'hui je peux dire que j'ai acquis beaucoup de compétences que je n'avais pas en commençant.

Les reproches des syndiqués aux syndicats

Déconnexion des syndicats avec les nouvelles formes de travail et de communication, frilosité dans l'utilisation des réseaux sociaux et dans le recrutement de jeunes adhérents, communication parfois vieillotte, etc. : la liste des griefs souvent faits aux syndicats est partagée, sur certains aspects, par les syndiqués. Mais ils notent aussi l'évolution des pratiques, notamment sur le sujet crucial de la communication numérique. Ecoutez Thiebault Weber.

"On rattrape notre retard en matière d'outils numériques"

1 min

Il ne faut pas oublier que sur les sujets du numérique, nos organisations travaillaient un peu avec des bouts de ficelles. Et ce sont des sujets qui nécessitent une approche plus professionnelle. On s'est peut-être réveillé un peu tard mais on travaille à améliorer notre stratégie là dessus.

Autre critique souvent formulée contre les leaders des différentes confédérations : ne pas laisser leur place aux jeunes. Dans certains syndicats, des "collectifs jeunes" viennent à peine de se créer, et dans d'autres, ils ont disparu récemment. Pourtant, lorsqu'un jeune syndiqué montre des dispositions, il n'est pas rare que son ascension soit fulgurante. Les instances dirigeantes des syndicats, vieillissantes, ont besoin de préparer la relève.

Julie, de la CGT dans le Finistère, s'est toujours sentie soutenue et accompagnée par les militants plus âgés :

"Les vieux militants ont très envie de travailler avec les plus jeunes"

53 sec

Ils nous cadrent, mais ils acceptent nos nouvelles idées, notre fraîcheur, ils savent qu'on apporte une nouvelle vision du travail.

Etre syndiqué ailleurs en Europe

Un syndicalisme critiqué en France, mais qui s'érode aussi dans les autres pays d'Europe, malgré des taux de syndicalisation qui restent très fort dans les pays scandinaves et en Allemagne, ce dernier pays étant souvent cité en exemple. Mais il existe de vraies disparités, entre, par exemple, les syndiqués de l'industrie et ceux des services, qui ont souvent accès à bien moins d'avantages. Selon Thiebault Weber, de la Confédération Européenne des syndicats, si les salariés sont moins syndiqués en France, c'est aussi qu'ils sont mieux couverts par des conventions collectives.... négociées par leurs syndicats.  

"En Allemagne, les jeunes apprentis ont leur propre CE au sein des entreprises"

1 min

Les syndiqués français face au mouvement des "gilets jaunes"

Entre critique, incompréhension, bienveillance et espoir : les sentiments des syndiqués envers ce mouvement qui se revendique a-syndical sont divers. La CFDT a pris ses distances très rapidement avec la frange la plus extrême du mouvement, notamment parce que certains manifestants issus des "gilets jaunes" se sont montrés violents envers des militants syndicaux, ou des locaux syndicaux. La CGT a appelé à défiler conjointement mardi dernier, mais on est loin de la convergences des luttes, comme l'explique notamment cet article daté du 30 novembre dernier.

Acte XII "gilets jaunes" : CGT et "gilets jaunes", même combat. Paris le 2 février 2019.
Acte XII "gilets jaunes" : CGT et "gilets jaunes", même combat. Paris le 2 février 2019.
© Radio France - Thibault Lefèvre

Nos jeunes syndiqués quant à eux, comprennent le mouvement, sans forcément le soutenir. Laurine, de la CFDT, estime par exemple que les revendications sont trop imprécises et trop nombreuses :

"Le meilleur moyen de ne rien obtenir, c'est de revendiquer trop de choses"

1 min

Je trouve cette mobilisation intéressante, mais il vaut mieux savoir ce qu'on veut, où on va et où on est prêt à s’arrêter. Et puis quand les syndicats manifestent, il n'y a pas de violences.

Julie, elle, apprécie ce mouvement de "solidarité" qui s'exprime selon elle ans tout le pays. Avec quelques limites toutefois.

"Je trouve dommage que les gilets jaunes aient refusé l'aide des syndicats"

44 sec

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