La crise des "gilets jaunes" en témoigne et le 32e baromètre annuel de la confiance dans les médias publié par le journal La Croix le confirme: la crédibilité des journalistes traditionnels est en chute libre. Quelles solutions envisager pour répondre à ce désaveu ? Les internautes nous ont répondu.
La défiance vis à vis des médias est presque aussi vieille que l'histoire de la presse. Elle a connu bien des phases de crispations et la crise des "gilets jaunes" s'inscrit dans cette longue histoire. Mais pour la première fois, ce manque de confiance des citoyens vis à vis de la presse traditionnelle est démultiplié par les réseaux sociaux. La réponse de certains internautes à la question "Quelles solutions envisagez-vous pour répondre à ce désaveu des médias traditionnels ?" le prouve :
Adel Kadri sur Facebook : Marrante votre profession qui demande au public comment ses agents doivent faire leur boulot ! A d'autres cette fausse enquête de satisfaction qui identifie seule très bien pourquoi elle l'exerce mal. ''Idées/désirs'' du lectorat moins pour solutionner qu'à toucher du doigt la température de la colère des moutons si prête à raser vos rédactions pour stopper cette connivence avec l'Etat. Et dans quels vulgaires de temps et de forme : depuis Sarko, vous sucez l'os de l’idolâtrie, la paresse et la division partout en feignant de le faire pour l'intérêt général, il n'y a vraiment que des yeux consanguins pour ne pas le voir. Si les "gilets jaunes" n'avaient réveillé ce coma vous plongeriez encore plus profond.
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Expérience : être journaliste dans la manifestation de "gilets jaunes" à Paris le 19 janvier 2019. Reportage de Cécile de Kervasdoué
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Pourtant, vous avez été plus d'une centaine à nous répondre et à proposer vos idées et vos solutions qui ont servi de trame à cette article ( lisez notre sélection).
Une meilleure formation ?
Faut-il mieux former les journalistes ? Leur permettre d'acquérir des compétences moins techniques et plus de culture et de connaissances générales ? Les 14 écoles reconnues par la profession sont-elles des fabriques à jeunes professionnels "formatés" qui servent de main d'oeuvre précaire dans des rédactions dont certains professionnels enseignent eux-mêmes au sein de ces écoles ?
On fantasme beaucoup l'enseignement du journalisme comme on fantasme beaucoup l'exercice du journalisme. D'abord on rentre en école de journalisme après un Bac plus 3 ; il faut passer un concours avec des épreuves de culture générale, de culture d'actualité, orthographe, anglais, motivation, etc. Ensuite, l'école de journalisme est comme une classe préparatoire : en deux ans, il y a 35 heures de cours hebdomadaire sur toute l'année et pour se reposer, les stages en entreprise. Je ne vois pas comment nous pourrions être plus complets ! Eric Nahon, ancien journaliste, directeur adjoint de l' Institut Pratique du Journalisme de Paris Dauphine
A l'IPJ, l'Institut Pratique du Journalisme, les étudiants sont également formés aux grandes évolutions du journalisme. Avec la transformation numérique, ils apprennent et explorent d'autres formes pour relater l'information, en passant par exemple par des vidéos ludiques ou interactives tel ce fact checking dont vous êtes le héros ou par des pièces de théâtres. De quoi leur donner des idées pour résoudre la défiance qui accompagne leur futur métier.
Guillaume Delacourt sur Facebook - Moins de commentaires. Que les faits. Pas de commentaire. Sur un ton monocorde. On sait déjà votre parti pris avant même la fin de votre phrase, rien que dans le choix des mots. Décrivez sans juger !
Plus de transparence et d'éducation aux médias
Le journalisme est un métier qui nourrit tellement de fantasmes qu'il n'échappe pas aux "infox", ce qui le fragilise. En cause, le manque d'éducation aux médias de la population, qui ne sait pas toujours que la base du métier est la recherche et le croisement des sources, leur vérification, la hiérarchisation et bien sûr le choix de l'information.
A cela s'ajoute le manque d'ouverture des lieux où se fabriquent l'information qui, à part quelques exemples, laissent encore trop peu voir, lire ou entendre se qui passe dans leurs coulisses. D'où l'initiative des journalistes de BFMTV réunis en Société des journalistes. Devant les critiques et la violence des "gilets jaunes", les journaliste de la chaîne (propriété du milliardaire franco israélien Patrick Drahi) ont décidé de faire leur autocritique et d'ouvrir leurs portes.
Le mouvement des "gilets jaunes" a révélé des dysfonctionnements en interne ; par exemple, le décalage entre les bandeaux d'information et le contenu du discours qui créé des quiproquos, notamment pour de nombreux téléspectateurs qui regardent la télé sans le son. Mais les "gilets jaunes" ont diffusé tellement d'"infox" sur notre travail comme cette fausse capture d'écran prétendument de BFMTV qui affichait "12 morts légers" que notre boulot aujourd'hui est surtout d'ouvrir des pages Facebook pour discuter avec les citoyens, d'avoir un médiateur de presse, et même d'aller faire de l'éducation aux médias dans les écoles.
François Pitrel, journaliste à BFMTV depuis 11 ans et président de la Société des Journalistes
Pas question, pour autant, de mettre en cause l'emploi d'éditorialistes sur la chaîne.
A partir du moment où il est écrit sur l'écran que c'est un éditorialiste et non un journaliste qui est à l'antenne, je ne vois pas où est le problème. Nous sommes en France. La liberté d'expression est un principe. Ces personnes sont qualifiées puisque ce sont des experts payés pour donner leur opinion, qu'elles plaisent ou pas à tout le monde. François Pitrel, journaliste à BFMTV depuis 11 ans et président de la Société des Journalistes
Difficile pourtant de ne pas tomber dans la justification des pratiques, surtout lorsque des journalistes de la chaîne sont violemment pris à partie dans les manifestations.
A partir du moment où des journalistes sont interdits de manifestation parce qu'on considère qu'ils ne pensent pas comme il faut, on est dans un pays qui va mal. Mais ce serait une défaite d'arrêter d'y aller ; d'autant qu'à part ces abrutis qui nous tapent dessus, la plupart des "gilets jaunes" nous parlent sans problème. François Pitrel
Des médias qui nous ressemblent
Claude Lauragaël Vergnol, sur Facebook - Les "gilets jaunes" voudraient surtout que tous les médias leur cirent les pompes !!!
Aujourd'hui, selon l' Observatoire de la diversité du CSA, le groupe représenté à 80% dans les médias audiovisuels français est celui des CSP+ qui ne représente pourtant que 27% de la réalité de la population française ( chiffres de l'Insee). A l'inverse, les inactifs qui représentent 44% de la société française ne sont visibles dans les médias audiovisuels français qu'à 14%.
Pour lutter contre ce phénomène d'entre soi, certaines écoles de journalistes mettent l'accent, dans leur formation, sur la lutte contre les stéréotypes de genre, du handicap, ethnoculturels ou sociaux. C'est le cas à l'IPJ Paris Dauphine où les élèves ont des cours et des travaux pratiques qui visent à rendre ces futurs professionnels plus sensibles à la question des "invisibles des médias".
Pascale Colisson : "Pour lutter contre la défiance des citoyens, il faut réduire la précarité des journalistes"
5 min
C'est important mais insuffisant tant que la précarité reste le passage obligé pour ces jeunes journalistes hyper formés qui n'ont que le choix de se taire dans les rédactions des médias traditionnels où ils passent. Pascale Colisson
Des journalistes toujours moins nombreux et... plus précaires
Depuis 2012, le nombre de journalistes encartés ne cesse de décroître. A l'instar des Etats Unis, ce phénomène ne cesse d'augmenter en France. Comme le montrent les statistiques de la Commission de la carte de presse, la profession de plus en plus féminisée est également de plus en précaire. L'observatoire des métiers de la presse le précise : officiellement, 1 journaliste sur 4 est précaire mais dans la réalité ils sont beaucoup plus nombreux. Car ces statistiques ne prennent en compte que les 35 000 journalistes ayant une carte de presse .
Les budgets contraints des rédactions des médias privés et publics poussent à recruter des stagiaires (non rémunérés), des pigistes, des CDD et puis il y a cette "zone grise" où des professionnels de l'information signent des contrats d'auto-entrepreneurs ou d'intermittents du spectacle.
Les gens pensent que le journalisme, c'est les paillettes, la télé et un gros salaire mais c'est un fantasme ! Moi, je sais que je vais galérer. Je ne suis même pas certaine de pouvoir en vivre un jour de ce métier ! Mais ce qui me tient, c'est l'envie de dire la réalité de terrain. Léa, étudiante à l'IPJ Paris Dauphine
Ce parcours du combattant est tellement assimilé chez les jeunes journalistes que certains n'hésitent pas à avoir un job alimentaire pour pouvoir vivre leur passion de l'information sur leur temps libre. De nombreux jeunes professionnels ouvrent ainsi leur page personnelle, leur podcast ou participent à des médias alternatifs.
Ce sont des médias plus engagés mais c'est complémentaire avec les médias traditionnels qui finalement ne sont pas non plus objectifs mais ne l'affichent pas et c'est ça qui énervent les gens ! Victor, étudiant en deuxième année à l'IPJ
Reste que cet écosystème de la précarité a une incidence directe sur les choix éditoriaux des médias.
C'est un vrai problème pour les jeunes journalistes mais aussi pour la profession. Lorsque vous restez des années en situation de précarité, vous ne pouvez pas vous imposer dans une rédaction pour défendre tel sujet, tel angle ou tout simplement ce que vous avez vu sur le terrain. Ce réflexe, vous le gardez ensuite dans la carrière et la qualité de l'information en pâtit.
Pascale Colisson, journaliste et responsable pédagogique à l'IPJ Paris Dauphine
Précaires, les journalistes sont aussi de plus en plus multitâches, jonglant avec leur média de référence, les réseaux sociaux devenus incontournables, la vidéo, les photos, les articles web. Ils ont moins le temps pour assurer le cœur de leur métier.
Il faut comprendre qu'un Facebook live, un direct sur un site internet d'une manifestation, n'est pas du journalisme parce que cela ne contextualise pas. Nous, notre boulot est de dire qui parle, où on est, quand on est, pourquoi on est là, qu'est-ce qu'il s'y passe et ce n'est certainement pas juste un flux en direct avec quelqu'un qui dit ce qu'il pense. François Pitrel, président de la Société des journalistes de BFMTV
Plus d'indépendance
Les liens avec le pouvoir et l'argent sont sans cesse dénoncés sur les réseaux sociaux.
Hermanuelo Tolozana sur Facebook - Il faut que la presse soient publique et payée par le peuple pour que les médias ne soient pas la propriété de riches milliardaires aux intérêts à protéger.
Pourtant, comme en témoigne les recherches de Julia Cagé, économiste à l'Institut Politique de Paris, il est très difficile de connaître précisément les propriétaires des médias français tant l'actionnaire est caché par des montages financiers complexes.
Très peu de médias échappent pourtant à la dizaine de milliardaires qui a investi dans la presse, comme en témoigne cette infographie du Monde Diplomatique devenue page d'accueil à Vécu, le média fait par et pour les "gilets jaunes". Vécu qui n'a d'ailleurs pas souhaité répondre à nos demandes d'interview (NDLR).
En France, 95% des médias appartiennent à huit grosses fortunes privées qui ont des liens avec les partis politiques. Il faut donc d'urgence revoir le financement des partis politiques et la distribution des aides publiques à la presse qui ne devraient pas aller vers ces grosses fortunes privées. Il faut favoriser les médias indépendants.
David Colon, enseignant et chercheur à l'Institut d'Etude Politique de Paris
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Reste à définir ce qu'est un média indépendant. Dans les médias traditionnels, des textes, des syndicats et des Sociétés de journalistes tentent de veiller à l'indépendance du contenu éditorial, comme l'expliquait par exemple en 2017 le directeur du journal Le Monde ici.
Vers un comité d'éthique pour la presse et les médias
Pierre Kenesi sur Facebook - Il y a fort longtemps que les journalistes évoquent leurs difficultés professionnelles, le manque de moyen, la crainte de voir disparaître un journalisme d'investigation... Le mélange télé-réalité, réseaux manipulés, disparition de la presse écrite, peut dans cet ensemble faire naître toutes sortes de soupçons. Objet industriel, télévision et journaux deviennent suspects. Même les médias publics sont soupçonnés. Comme citoyen, je suppose que la création d'un comité d'éthique serait une assez bonne solution...
Quelles que soient les difficultés de la fabrique de l'information, quel que soit le média public, privé ou appartenant à ses lecteurs, l'organe d'information qui se dit de qualité se doit de respecter certains principes de base (vérification, hiérarchisation, liberté d'expression, précision équilibre, etc.).
Pour faire respecter ces principes, le gouvernement, par la voix de son ministre de la Culture, est sur le point de permettre la création en France, comme c'est le cas dans 18 autres pays de l'Union Européenne, d'un conseil de la presse ou plutôt un Comité d'éthique de la presse et des médias. Une idée que porte depuis près de 15 ans Jérôme Bouvier, ancien médiateur de Radio France, avec son association Journalisme et Citoyenneté qui organise les Assises internationales du journalisme à Tunis et à Tours.
Comme c'est le cas en Belgique mais aussi dans les pays Baltes par exemple, il ne s'agit pas d'un organe politique, ni administratif, ni judiciaire mais d'une autorégulation de la profession de journaliste menée entre journalistes, patrons de médias et citoyens.
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