L'université en anglais : soft power ou menace pour le français ?

Aujourd'hui, la France est le 4e pays le plus attractif pour les étudiants internationaux. Le levier de ce bon classement : la multiplication des cours en anglais à l'université
Aujourd'hui, la France est le 4e pays le plus attractif pour les étudiants internationaux. Le levier de ce bon classement : la multiplication des cours en anglais à l'université ©Radio France
Aujourd'hui, la France est le 4e pays le plus attractif pour les étudiants internationaux. Le levier de ce bon classement : la multiplication des cours en anglais à l'université ©Radio France
Aujourd'hui, la France est le 4e pays le plus attractif pour les étudiants internationaux. Le levier de ce bon classement : la multiplication des cours en anglais à l'université ©Radio France
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Cinq ans après la loi Fioraso qui a introduit les cours en anglais à l'université française, la tendance aux formations tout en anglais a augmenté de moitié. Aujourd'hui, dans le but d'accueillir le plus d'étudiants étrangers, 7% des masters se font en anglais et cela ne fait presque plus débat.

"Switcher" d'une "common application" à des "slides" de "e-learning" ; s'intéresser au "ranking" international des universités largement "publicisé" sur le "web" et "made for sharing" ; trouver le bon "workout" pour choisir un "master" ou un "phd" ou encore une "business school" dans le "top five" ; se "challenger", "compétiter", mais sans se laisser "overbooker" ; autant de "tasks" qui sont aujourd'hui un "must have" dans la vie de nombreux étudiants français.

Trop "cryptée", "too much", cette anglicisation ? Ce "globish" (anglais mondialisé réduit à 1 500 mots) est devenu la lingua franca d'aujourd'hui et s'insère un peu partout dans la société française, du monde de l'entreprise, à la politique et jusque dans les administrations. La nouveauté est que depuis 2013, il est rentré officiellement dans l'éducation.

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Aujourd'hui, on n'a plus le choix, l'anglais n'est plus une langue étrangère. Les Etats-Unis, l'Angleterre ou l'Océanie attirent les étudiants du monde entier, mais il y a de nouveaux acteurs : la Chine, la Russie, les Pays-Bas. Dans ce marché, la France doit d'urgence rattraper son retard !                                              
Béatrice Khaiat, directrice générale de Campus France

"On n'a plus le choix"

Oubliées les polémiques qu'avait créé, en 2013, à l'Assemblée nationale, l'article 2 de la loi relative à l'Enseignement Supérieur et à la Recherche, dite Loi Fioraso, du nom de la ministre qui l'avait portée !  Aujourd'hui, sur le marché de l'enseignement supérieur, la France a retrouvé sa quatrième place, devant l’Allemagne avec 325 000 étudiants étrangers accueillis par an ( chiffres 2017 Campus France).

Sylvie Chevrier est responsable des échanges internationaux du département d'économie de l'UPEM, l'université Paris Est Marne la Vallée. Professeure en sciences de gestion, elle estime que "l'enseignement supérieur est devenu un marché car la plupart des étudiants dans le monde sont très éloignés de la logique d'un service public de l'éducation" :

Les étudiants investissent dans leur formation, parfois en s'endettant, ils les choisissent donc scrupuleusement avec des critères non pas de contenus mais de marques. Si nous voulons être compétitifs dans ce système, nous devons les attirer et cela passe notamment par un catalogue de cours en anglais. 

Aujourd'hui, 237 établissements supérieurs français, dont 130 publics, proposent des formations en anglais. Leur nombre, 1 328 formations, a presque doublé depuis cinq ans et 75% d'entre elles se font intégralement en anglais. 

A l'université de Paris Est Marne la Vallée, le développement de ces cours en anglais est un objectif important. Un centre de formation, le CAPLA (centre d'action pédagogique en langues) pour les professeurs a été mis en place il y a 3 ans, afin de les aider à dispenser leurs cours en anglais.

Chez nous, il ne s'agit pas de dispenser tous les cours en anglais, cela ne se fait pas à la place des cours déjà existants. C'est un plus qui permet à nos étudiants qui n'ont pas toujours la possibilité d'aller voyager de s'ouvrir en côtoyant des étudiants étrangers. C'est une forme d'internationalisation mais à la maison. Quant aux professeurs, cela leur permet d'améliorer leur pratique pédagogique, puisque faire cours en anglais c'est oublier le cours magistral à la française et le rendre plus interactif, plus collaboratif, plus  personnel.                                          
Laurence Vigier, professeure agrégée d'anglais, directrice du CAPLA

Laurence Vigier
Laurence Vigier

Sans surprise, les filières du business et du management et les sciences de l'ingénieur représentent les deux tiers de ces formations en France, établissements privés et publics confondus ( catalogue Taught in English, Campus France). Mais la littérature et les sciences humaines représentent 10% de ce diplômes enseignés en anglais et cumulent deux fois plus de cours tout en anglais que la filière mathématiques, quand les secteurs du tourisme et de la gastronomie sont les moins anglicisés.

"Une francophonie ouverte" ... et lucrative

Officiellement, ces formations sont censées attirer des étudiants étrangers extracommunautaires, et notamment des Chinois, des Indiens ou des jeunes d’Afrique anglophone qui ne viendraient pas en France si les cours n'étaient qu'en français.

Bechal est étudiant en master informatique à l'UPEM : 

Bechal, étudiant indien, suit un Master informatique et mathématiques, tout en anglais, à l'Université Paris Est Marne la Vallée.
Bechal, étudiant indien, suit un Master informatique et mathématiques, tout en anglais, à l'Université Paris Est Marne la Vallée.
© Radio France - Cécile de Kervasdoué

Moi, je suis Indien. Je suis venu ici étudier l'informatique lié aux mathématiques. L'unité de recherches m'intéressait, mais je ne me suis décidé qu'après m'être assuré que les cours étaient bien dispensés en anglais. Moi, je parle quatre langues mais pas un mot de français. Si je reste l'année prochaine en France, je compte néanmoins en apprendre les rudiments.

En cinq ans, le nombre d'étudiants indiens en France a doublé grâce à ces formations dispensées en anglais. Cette "internationalisation" a également permis de faire remonter les universités françaises dans les classements internationaux. Une réussite dont se félicite Campus France. Pour sa directrice générale, Béatrice Khaiat :

C'est du soft power à la française. Attirer ces étudiants permet non seulement de créer des liens d'amitiés entre nationalités sur les campus mais surtout à long terme, ces étrangers garderont un attachement à la France, et c'est la clef de futurs marchés, de futurs business. Une sorte de francophonie ouverte. 

L'autre bénéfice de cette "francophonie ouverte" tient aussi plus prosaïquement aux frais d'inscription. Les étudiants étrangers payent leur scolarité beaucoup plus cher que les Français. Dans les centres d'étude du plateau de Saclay par exemple, qui propose le plus de formations tout en anglais en France, la scolarité d'un master international varie de 3 à 8 000 euros en moyenne pour les étrangers quand les étudiants français payent, eux, au tarif des frais nationaux. A l'université PSL, à Paris, les étudiants extracommunautaires devront s’acquitter d'une facture de près 16 000 euros par an.

Les universités publiques qui proposent ces cours en anglais pratiquent pour la plupart ce différentiel tarifaire. L'argument avancé : la mise en place de cours de français Langue Etrangère (FLE) pour les étudiants internationaux ou des services d'accueil personnalisés. Mais de nombreux étudiants français sont également attirés par ces formations et la sélection est de plus en plus rude face aux étudiants étrangers. Il n'est pas rare dans les universités qu'un professeur enseigne en anglais à une majorité d'étudiants français.

Des étudiants en licence d'anglais à l'UPEM s'inquiètent de la généralisation des cours en anglais dans toutes les matières.
Des étudiants en licence d'anglais à l'UPEM s'inquiètent de la généralisation des cours en anglais dans toutes les matières.
© Radio France - Cécile de Kervasdoué

C'est vrai que cela m'est arrivé d'enseigner en anglais à une majorité de Français. C'est complètement absurde parce que la langue dans laquelle nous enseignons tient plus du globish que de l'anglais shakespearien. Lorsque je reviens au français, dans 70% de mes cours, j'en éprouve un grand plaisir parce que mon propos est évidemment plus nuancé, plus subtil. Je ne suis pas pour le tout-anglais, j'ai commis plusieurs articles pour lutter, par exemple, contre les publications qui dans la recherche se font exclusivement en anglais. Sans doute faut-il aussi organiser une résistance, des gardes fou.                                    
Sylvie Chevrier, professeure de sciences de gestion à l'UPEM

"Une Anglolâtrie dangereuse ... et illégale"

Sur les réseaux sociaux, rares sont les voix qui s'élèvent pour organiser cette résistance et proposer des alternatives. Beaucoup d'internautes fustigent le niveau "déplorable", "catastrophique", "scandaleux" des Français dans leur pratique de l'anglais. Comme une vieille  antienne, beaucoup de commentaires font état d'expériences professionnelles à l'international où les Français sont incapables de s'exprimer dans cette langue "indispensable".

D'où l'analyse de ces étudiants en licence d'anglais à l'UPEM. Eux ont cours en anglais tous les jours mais ils ne sont pas sûrs que ce soit une bonne chose de généraliser cette pratique

Ici, c'est une fac de campagne, la plupart des étudiants n'ont pas eu les moyens de faire des séjours linguistiques ou de payer très cher des cours privés d'anglais. Leur imposer des cours en anglais, ça va créer une nouvelle sélection qui ne dira pas son nom !                                
Nathan 18 ans.

Difficile de faire entendre ces voix dissonantes, comme de défendre l'usage de la langue française dans l'espace public par exemple. Très vite, l'étiquette "identitaire", "extrême droite", "réactionnaire", accompagne ces points de vue. Pour les associations de défense du français, c'est un combat de David contre Goliath. Elles ont beau placarder par exemple des autocollants sur les publicités ou les enseignes en anglais ou poursuivre en justice les municipalités qui accolent des mots anglais à leur nom, la plupart des Français ne voient pas le danger de cette anglicisation ou considèrent la résistance impossible. 

Cela fait 70 ans que ce projet de tout anglais planétaire est en marche. Malgré les beaux discours des politiques sur la langue française, ils ont capitulé il y a plus de 20 ans et font croire que l'anglais partout est le seul avenir possible. C'est illégal !                                
Thierry Saladin, secrétaire général de l' Afrav.

Illégal, parce que la loi Toubon de 1994 est très claire. En France, l'enseignement doit se faire en français. La loi Fioraso a créé une brèche dans cette protection de la langue française mais elle ne concerne que l'enseignement supérieur. Pourtant, depuis septembre 2018, le ministère de l'Education nationale et une dizaine de maires d’Île-de-France ont mis en place un dispositif d'école en anglais. Dans 15 écoles, 95 classes, les enfants de la maternelle au CM2 suivent leur cours de lecture, d'histoire ou de mathématiques tout en anglais...

Et ailleurs ?

Dans le même temps, chez nos voisins européens, le tout en anglais à l'université commence à faire réfléchir. Aux Pays-Bas, où le nombre d'étudiants étrangers a triplé en cinq ans, les campus n'ont plus la place de loger les nouveaux étudiants, et dans les filières de sciences, intégralement enseignées en anglais, les Néerlandais ne parlent plus leur langue.  

En Italie, le passage au tout anglais des masters et des doctorats de l'Université de Milan  (l'une des mieux classée au monde) avait créé la polémique, il y a trois ans. Une décision de justice a fini par mettre des freins à ce recours au 100% anglais.

Cette "internationalisation" finit par questionner de plus en plus de chercheurs et devient même un objet d'étude. C'est le cas de l'économiste suisse, François Grin, qui étudie la question de l'enseignement des langues dans les politiques publiques. En 2005 il avait écrit un rapport, commandé par le gouvernement français, pour évaluer les coûts et les conséquences du passage à l'enseignement en anglais dans l'éducation française. Sa conclusion était sans appel : trop cher et contre-productif!

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