

Après l'incendie de la cathédrale Notre-Dame de Paris, le 15 avril, plus d'un milliard et demi d'euros de dons ont été promis pour sa restauration. Du grand mécène au simple citoyen, le patrimoine français pousse à l'engagement. Hashtag a rencontré ceux qui œuvrent à sa sauvegarde, au quotidien.
Les consciences se sont éveillées ou réveillées, si l'on préfère. L'incendie de la cathédrale Notre-Dame de Paris a permis d'affirmer une vérité : les Français sont très attachés à leur patrimoine. Et cette catastrophe relance le débat sur l'état de nos églises, châteaux ou lavoirs. Des monuments sont aujourd'hui en péril, abîmés voire carrément en lambeaux. Il existe, heureusement, des bonnes âmes, des bienfaiteurs qui apportent, chaque jour, leur pierre à l'édifice pour sauver ce qui peut encore l'être. Rencontre avec ceux qui donnent un peu ou beaucoup de leur temps et de leur argent pour le patrimoine français.
Il y a toujours un point de départ. Une rencontre, un événement, un hasard, ou dans le cas de Julien Marquis, une visite à l'adolescence. C'est elle qui va conditionner son engagement en faveur du patrimoine. "Quand j'étais jeune, j'habitais à côté d'un vieux château médiéval en ruines. Un jour où je m'ennuyais, vers dix ou onze ans, ma mère m'a dit : 'Va le visiter'. J'ai dû y rester trois ou quatre heures, à tel point que je ne voulais plus sortir du château. Le soir, je suis rentré très tard, je me suis fait gronder évidemment mais j'ai dit à ma mère : 'C'est ça que je veux faire plus tard : être dans des châteaux'. C'est parti de là."
Après des études de comptabilité "très ennuyeuses" pour "satisfaire les parents", cet habitant d'un petit village, au fin fond du Morvan, est très vite revenu à ses premiers amours. L'Histoire, la pierre, le patrimoine, en somme. "Le patrimoine, c'est une sorte de machine à remonter dans le temps, j'ai toujours considéré que pour préparer l'avenir, il fallait déjà commencer par comprendre le passé et conserver ces vestiges du passé", explique-t-il.
Sauver des châteaux en devenant co-propriétaires
Pendant plusieurs années, il sillonne la France, visite des dizaines de châteaux tous plus mal en point les uns que les autres et réfléchit à une manière de les sauver. "Aujourd'hui, pour sauver un château, la propriété personnelle ne suffit pas. L'expression du sauvetage du château, c'est la propriété collective. On s'est donc dit qu'il fallait réussir à soutenir des centaines pour des milliers de personnes". Avec son association Adopteunchâteau et la start-up Dartagnans, il a l'idée, en 2017, de lancer un appel à financement participatif pour racheter des monuments historiques, en particulier le château de La Mothe-Chandeniers, dans la Vienne. "S'il y a bien un attachement de la part des Français, c'est l'attachement à la propriété. Plutôt que de leur proposer un don, on leur a proposé d'être co-propriétaire, d'avoir une petite part dans le château."
Le succès est immédiat. Il y a aujourd'hui plus d'1,6 millions d'euros récoltés, loin devant les 500.000 euros espérés pour simplement acheter le château de la Mothe-Chandeniers, grâce à 18.000 contributeurs et co-propriétaires. Les châtelains, comme aime à les appeler Julien Marquis, font partie intégrante du projet. Ils peuvent désormais donner leur avis sur la restauration du monument et peuvent aussi mettre la main à la patte, apporter leur pierre à l'édifice en participant au chantier. Fort de cette expérience, Julien Marquis a proposé ce même mode de financement pour le château de l'Ebaupinay, dans le département voisin des Deux-Sèvres**.** Il a été racheté par plus de 11.000 personnes. "C'est là que je me rends compte que nos châteaux, notre patrimoine français, c'est un peu notre Madeleine de Proust. Tout le monde y est très attaché", se félicite Julien.
La restauration, l'affaire de tous
Pour restaurer le patrimoine, encore faut-il de la main d'oeuvre. C'est là qu'interviennent les structures spécialisées dans la sauvegarde des monuments français. L'union Rempart fait partie de celles-là. Créée en 1966, elle fédère 10.000 citoyens, essentiellement des bénévoles regroupés dans 180 associations locales. "Nous sommes contactés par des collectifs qui nous demandent notre aide, explique Olivier Lenoir, le délégué général de l'union Rempart. Nous leur apportons une méthodologie de projet, nous leur demandons de fonder une association, de signer un bail avec le propriétaire du bâtiment à restaurer. Une fois que tout cela est fait, le chantier peut commencer."
Nous faisons en sorte que les techniques de restauration que nous allons utiliser soient les techniques anciennes, des techniques qui sont finalement, elles-même, patrimoniales. Nous sommes des bénévoles, donc on peut prendre le temps de tailler la pierre ou une charpente à la main et de faire comme faisait l'artisan du Moyen-Age.
Olivier Lenoir, délégué général de l'union Rempart
En 2018, l'union Rempart a ainsi restauré 130 monuments à travers le monde. Actuellement, elle travaille sur 360 missions, la plupart d'entre elles se situent en France. Ce réseau est, selon Olivier Lenoir, un bon complément à ce que font les collectivités ou les propriétaires. "Nous pensons que le patrimoine est trop important pour qu'il ne soit l'affaire que des pouvoirs publics, des propriétaires ou des professionnels. Le patrimoine, c'est une affaire de citoyens. On passe tous les jours devant des bâtiments anciens, on travaille peut-être dedans, on va dans des églises... Bref, le patrimoine est partout dans notre vie.
Notre parti pris, c'est la transmission. Il y a deux mots dans la notion de transmission, finalement. Il y a la transmission aujourd'hui, avec les participants aux chantiers. On va leur transmettre des savoir-faire et des compétences. Mais il y a aussi la transmission aux générations futures. Nous sommes aujourd'hui les dépositaires d'un élément du patrimoine dont on a hérité et qu'on a pour ambition de transmettre. Ce qui est formidable, c'est d'avoir le sentiment qu'on a, devant nous, un mur construit au XIIIe siècle et que nous, petits citoyens du XXIe siècle, posons notre pierre dans ce mur pour que d'autres ensuite la voient dans 10 ou 15 ans.
Olivier Lenoir, délégué général de l'union Rempart
Le patrimoine, une vocation professionnelle
Le patrimoine, une passion qui poussent certains à en faire leur gagne-pain. C'est le cas d'Emmanuelle Andrieux, maître-verrier et gérante de La Maison du Vitrail, à Paris. Rien de plus logique pour cette fille de verriers. "Mes parents ont créé l'entreprise, il y a plus de 45 ans. Ma vie a été baignée de vitraux. Mon berceau était dans l'atelier, c'est vous dire. Quand je rentrais de l'école, je faisais mes petits puzzles de verre. La première fois que j'ai déménagé, je n'étais pas bien, il manquait quelque chose dans l'appartement : des vitraux."

Dans son atelier du XVe arrondissement parisien, 11 personnes travaillent avec elle. Sur des créations, commandées par des particuliers, mais essentiellement sur des restaurations de vitraux, commandées par des architectes des Monuments historiques ou des associations. C'est ça qui lui procure le plus grand bonheur. "Quand un vitrail arrive en restauration, tout m'attire. Le côté visuel évidemment et, ensuite, je vais me plonger dans son histoire. Ce qui m'intéresse, dans la restauration, c'est d'essayer de comprendre et de se mettre à la place de notre ancêtre. Il va falloir retrouver sa gestuelle, le bon verre, avec la bonne couleur, la bonne texture. Et donc, vous baignez dans son époque et vous redonner vie à un vitrail."
Emmanuelle Andrieux, maître-verrier : "Nos artisans de l'époque ont tellement donné qu'il faut leur dire merci. Et leur dire merci, c'est donner du temps"
1 min
Emmanuelle Andrieux passe 80 heures par semaine à travailler, en comptant sa fonction de vice-présidente de la chambre syndicale du vitrail. "Ce sont des 80 heures dédiées au patrimoine, et il en vaut le coup. Nous avons, en France, 60% du patrimoine mondial, concernant les vitraux. Moi, ce qui m'intéresse, c'est de sauvegarder ça, cette richesse."
Une richesse aujourd'hui en péril selon Jean Mône, le président de la chambre syndicale du vitrail. "On compte toujours le même nombre de personnes vivant du vitrail qu'il y a 40 ans, en France, c'est-à-dire à peu près 1.200 personnes. La différence, c'est que les gros ateliers ont fondu comme neige au soleil et qu'il y a beaucoup d'ateliers unipersonnels avec beaucoup moins de savoir-faire. La problématique financière est double. La première, c'est le manque de fonds des collectivités. La deuxième, c'est la baisse de 10% du budget des Monuments historiques ces dernières années, sachant que c'est notre grosse locomotive."

Les grands mécènes plus nombreux, plus généreux
L'argent, toujours le nerf de la guerre. C'est là où se situe la limite de l'engagement en faveur du patrimoine. Les collectivités ou les propriétaires n'ont plus les moyens de tout entretenir. Il faut donc trouver d'autres sources de financement. Le loto du patrimoine, lancé par Stéphane Bern, a permis de récolter 200 millions d'euros pour la première édition en 2018, dont 20 qui sont uniquement attribués à la Fondation du patrimoine.
Autre source de financement, et pas des moindres, celle des mécènes. Le patrimoine est désormais le deuxième secteur dans lequel les entreprises et les fondations investissent le plus, selon le baromètre Admical, publié en octobre 2018. Sur la totalité de l'année 2017, 425 millions d'euros ont été donnés par les entreprises en faveur du patrimoine.

La fondation pionnière de ce mouvement, c'est celle du Crédit Agricole. Elle fête, en 2019, ses 40 ans d'existence. "Nous avons même été la toute première fondation, tout court, créée par une entreprise en France", précise Virginie Percevaux, déléguée générale de la Fondation Crédit Agricole - Pays de France. Une fondation uniquement dédiée au patrimoine permet selon elle de dynamiser un territoire. "Le patrimoine est un levier de développement. C'est avant tout une histoire d'hommes et de femmes. C'est répandu maintenant, mais en 1979, c'était novateur. Nous nous impliquons sur des petits projets locaux mais qui ont de grandes valeurs. Investir dans le patrimoine, c'est créer du lien social, c'est permettre aux gens de se retrouver autour d'un moulin, d'un lavoir ou d'un château remis en état. Le patrimoine, c'est un pont entre le passé et l'avenir."

Depuis sa création, la Fondation Crédit Agricole - Pays de France, a contribué à 1.400 projets et dépensé plus de 40 millions d'euros. Mais où se situe l'intérêt pour l'entreprise, dans tout ça ? "Toutes les fondations vous le diront, ces actions de mécénat sont un vecteur d'engagement et d'appartenance pour les salariés, assure Virginie Percevaux. On le voit beaucoup chez les jeunes recrutés. Ils sont dans la recherche de sens, de savoir pourquoi il faut venir chez nous plutôt qu'ailleurs. Cela crée un sentiment de fierté chez nos salariés."
Grâce au mécénat, les entreprises peuvent aussi bénéficier d'un crédit d'impôt. Une loi de 2003 permet une réduction fiscale de 60% du montant des versements, dans la mesure où ces dons ne dépassent pas 0,5% du chiffre d'affaires.
"On se fait du bien quand on fait un don "
Olivier Martel, gérant du cabinet de conseil Empreinte Recrutement, à Maisons-Laffitte, en région parisienne, vient, lui, de faire pour la première fois, un don en faveur du patrimoine. Il a, en 2018, fait un chèque de 2.000 euros aux Monuments nationaux pour participer à la restauration de la grille du château de sa commune. "Mon cabinet s'appelle Empreinte. L'empreinte, c'est la marque que l'on va qualifier de distincte, de durable, que des collaborateurs vont laisser dans une entreprise. Et là, on voit tout de suite le parallèle avec le patrimoine qui va perdurer au fil du temps. Et ça me semblait avoir du sens, même s'il est éloigné, de participer à cette restauration du patrimoine."

Ce don, c'est une manière aussi pour lui de s'impliquer davantage dans sa commune. "J'habite Maisons-Laffitte, je travaille à Maisons-Laffite, je participe à la vie économique de Maisons-Laffitte et je trouve que c'est important qu'une ville s'exprime au travers de son patrimoine. Quand je passe devant cette grille, je me dit que je participe à sa restauration. Oui, ça flatte mon égo. On se fait du bien quand on fait un don. Et on fait du bien au patrimoine."
Olivier Martel, gérant du cabinet Empreinte Recrutement : "On prend conscience de la valeur des choses quand elles ne sont plus là."
1 min
Vos réactions sur les réseaux sociaux
L'équipe
- Production
- Journaliste