Les applications sauvent-elles les révisions du baccalauréat ?

À quelques jours seulement du baccalauréat, les lycéens ont été des dizaines de milliers à télécharger des applications de révisions.
À quelques jours seulement du baccalauréat, les lycéens ont été des dizaines de milliers à télécharger des applications de révisions.  ©Maxppp - Dinoco Greco
À quelques jours seulement du baccalauréat, les lycéens ont été des dizaines de milliers à télécharger des applications de révisions. ©Maxppp - Dinoco Greco
À quelques jours seulement du baccalauréat, les lycéens ont été des dizaines de milliers à télécharger des applications de révisions. ©Maxppp - Dinoco Greco
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Le baccalauréat commence lundi avec la philosophie. Pour les révisions de dernière minute, beaucoup de lycéens se tournent vers des applications. Vidéos, jeux, cours en chanson... Ces applications miracles pour certains élèves sont en plein boom. Sont-elles vraiment efficaces ?

Lundi, des centaines de milliers de lycéens s'élancent pour une semaine d'épreuves pour tenter d'obtenir le baccalauréat. En 2018, 88,2% des candidats l'ont obtenu. Pour cette dernière semaine avant le coup d'envoi des hostilités, la plupart des élèves de terminale n'étaient pas en classe, mais chez eux ou à la bibliothèque pour réviser le bac. Souvent téléphone en main, à profiter d'une vaste offre. Le marché de l'EdTech, l'Education Technology, se développe et certains demandent un encadrement, par des labels par exemple.

Des applications connues de tous les lycéens  

Les candidats au baccalauréat sont nombreux dans la file d'attente pour la Bibliothèque publique d'information du Centre Georges Pompidou, à Paris. Fiches bristol et surligneurs dans le sac, annales dans les mains pour certains, et pour la majorité d'entre eux : une application de révision téléchargée sur leur téléphone.

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Pour Aymen, élève de terminale Scientifique au lycée Maurice Genevois de Montrouge, c'est un outil incontournable. Il a même plusieurs abonnements, pour un budget total de 17 euros par mois, et un supplément de 30 euros pour le "Pack examen" pendant le mois fatidique, stage de révision compris. "Pour moi, ça va plus vite. J'aime pas me prendre la tête avec les papiers, je vais m'embrouiller tout seul. Je me sers de plein d'applications. Le fait d'avoir des vidéos en ligne m'aide beaucoup. C'est bien résumé et ils expliquent mieux." Il lui suffit de désactiver les notifications sur son portable pour rester concentrer, assure-t-il. 

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Le premier nom d'application cité par les lycéens est souvent Kartable, un site internet qui propose des fiches de révisions et un accompagnement des élèves, décliné en une application. Sans y être accro, Emma en terminale scientifique, consulte régulièrement l'application."Je trouve que c'est bien fait. Après, je pense que c'est quelque chose qui doit compléter le cours du prof s'il a été bon, parce que ce n'est pas forcément complet et ça peut être assez factuel, surtout en histoire, donc c'est bien de faire de lien et il ne faut pas s'en servir comme seul support je pense. Après, quand n'on a pas de cours, c'est bien !" 

Mais pour Mathilde, qui prépare le baccalauréat scientifique aussi, en cas de cours incomplet, direction les annabacs : "Sur le téléphone, ce n'est pas toujours très agréable. C'est bien, mais on ne sait jamais qui rédige, qui fait le cours, etc ... donc c'est un peu la découverte. On ne sait pas quelle appli est vraiment la meilleure. On ne fait pas totalement confiance." 

Les applications font partie intégrante de l'univers des lycéens pour leurs révisions, mais Emma et Mathilde préfèrent les utiliser comme un complément à leurs cours.

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L'application Kartable est utilisé par un élève sur deux parmi tous ceux qui révisent en ce moment le brevet ou le baccalauréat, selon sa créatrice Sarah Bensnaïnou
L'application Kartable est utilisé par un élève sur deux parmi tous ceux qui révisent en ce moment le brevet ou le baccalauréat, selon sa créatrice Sarah Bensnaïnou
© Radio France - Noémie Philippot

"Si on n'a pas travaillé de l'année, ce n'est pas l'application qui va vous sauver"   

Pour Claire Guéville, professeure d'histoire-géographie à Dieppe et secrétaire nationale du syndicat SNES-FSU, ces applications ne peuvent pas être l'outil unique de révision.
Pour Claire Guéville, professeure d'histoire-géographie à Dieppe et secrétaire nationale du syndicat SNES-FSU, ces applications ne peuvent pas être l'outil unique de révision.
© Radio France - Noémie Philippot

Au-delà des doutes sur la fiabilité des contenus, la méthode même de travail proposée par les applications les plus connues laisse Claire Guéville perplexe. Elle est professeure d'histoire-géographie à Dieppe, en Seine-Maritime, et secrétaire nationale du syndicat SNES-Fsu en charge du lycée : 

Ce sont des applications essentiellement de restitution de connaissances. On n'est pas dans la révision de fond, on est vraiment sur quelque chose qui reste un moyen de se rassurer, par rapport à l'anxiété de l'examen, qui est de l'ordre du ludique, qui peut servir de point d'appui. 

Ces applications proposent notamment des questionnaires à choix multiple. Pour des révisions d'histoire-géographie, cela "ne permet pas de travailler cet aspect le plus difficile, qui consiste à réagencer des connaissances qu'on a acquise au fil de l'année." estime Claire Guéville. Pour elle, ces applications ne peuvent pas amener des élèves qui n'auraient pas l'esprit aux révisions à s'y mettre : "Ça ne peut pas susciter brutalement l'envie de réviser pour son baccalauréat. La préparation au bac, c'est sur tout le lycée et c'est comme ça qu'il faut l'envisager. Si on n'a pas travaillé de l'année, ce n'est pas l'application qui va vous sauver.

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Autre écueil selon l'enseignante : le portable en lui-même. "C'est un objet de distraction majeur pour les jeunes. Avoir son application sur son smartphone veut dire être sollicité par ailleurs par l'attrait des réseaux sociaux, les coups de fil des copains, copines. À un moment, quand on révise, il faut s'abstraire de tout ça. Il faut se mettre à son bureau avec ses bouquins, ses cours de l'année et les relire point par point. On est pris aujourd'hui dans des formes d'injonctions contradictoires où il faudrait réviser en s'amusant. I_l y a un moment où la révision peut être amusante mais pas tout le temps._ Il faut savoir un petit peu souffrir pour arriver à ses fins." 

Claire Guéville, professeure d'histoire-géographie à Dieppe (Seine-Martitime) est perplexe quant à la méthode proposée par les applications.

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Le marché EdTech en plein boom

Face à l'explosion du marché des EdTech, Aurite Kouts, de Capdigital, estime que ce sont aux pouvoirs publics de mettre en place des processus de labellisation.
Face à l'explosion du marché des EdTech, Aurite Kouts, de Capdigital, estime que ce sont aux pouvoirs publics de mettre en place des processus de labellisation.
© Radio France - Noémie Philippot

Aurite Kouts travaille pour Cap Digital, l'un des fondateurs de l'Observatoire EdTech. Ce marché est en plein essor et ce n'est pas forcément évident de s'y retrouver pour les lycéens.

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Ces applications font partie du marché de l'EdTech : l'Education Technology, un acronyme qui désigne les organisations innovantes en matière d'éducation et de formation. Sans pouvoir le quantifier, Claire Guéville a le sentiment de voir de nouvelles applications d'apprentissage apparaître chaque année. Du côté de l' Observatoire EdTech, Aurite Kouts confirme cette tendance. Elle travaille pour Cap Digital, le pôle compétitivité du numérique Île de France, qui a participé à la création de cet observatoire en 2017 avec la Caisse des dépôts et la MAIF, en partenariat entre autres avec le ministère de l'Education nationale. "En mars 2017, on avait 242 structures qui étaient référencées sur le site. Actuellement, on en a 423, 75% en plus. Il y a une explosion des produits EdTech. On observe qu'une EdTech a six ans d'âge en moyenne, et que plus du tiers des organisations référencées ont moins de trois ans. Le marché est très dynamique et se structure de plus en plus." En Europe, la France se positionne parmi les leaders en matière d'EdTech, avec la Grande-Bretagne. 

Difficulté pour se repérer dans cette offre foisonnante : il n'existe pas de label pour attester de la fiabilité du contenu des applications et autres sites dédiés à l'apprentissage. Pour Aurite Kouts, "quand une app a été créée par un enseignant, c'est un gage de qualité, c'est intéressant quand c'est fait par des lycéens aussi. Malheureusement, il n'y a pas de label universel. À titre personnel, je pense que cela doit venir des pouvoirs publics, et il y a un mouvement là-dessus. Le ministre de l'Education a tout une politique autour des EdTech maintenant." 

Des applications pour accompagner l'apprentissage, pas seulement pour bachoter

Parmi les nouveaux venus dans cette jungle de l'EdTech en France, Studytracks, lancée il y a un an et demi. Cette application propose quelques 560 cours chantés, sur des thèmes comme la liberté en philosophie, l'affaire Dreyfus en histoire ou encore le théorème de Thalès en mathématiques. Pour se démarquer, le créateur Alexandre Houpert assume son positionnement sur un outil mis à disposition des enseignants sur toute la durée de l'année scolaire, pour éviter le décrochage et amorcer le travail de certains points de cours. 

Alexandre Houpert, créateur de Studytracks, a pensé l'application de cours en chanson comme un outil pour lutter contre les décrochage scolaire plutôt que comme une application de révision.
Alexandre Houpert, créateur de Studytracks, a pensé l'application de cours en chanson comme un outil pour lutter contre les décrochage scolaire plutôt que comme une application de révision.
© Radio France - Noémie Philippot

La version complète de l'application est accessible avec un abonnement à 4,99 euros par mois. Cette semaine, elle a été téléchargée jusqu'à 10.000 fois par jour. "C'est vrai que là on voit un pic énorme de téléchargement sur des élèves qui veulent apprendre rapidement juste avant les examens. On a beaucoup de demandes sur la philosophie avec le bonheur chanté par Soprano, ou la Liberté avec JoeyStarr." 

Alexandre Houpert, créateur de Studytracks explique comment les enseignants utilisent l'application et comment elle fonctionne.

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Même si des tests menés par Studytracks montrent que "88% des élèves qui écoutent la première fois sont capables de répondre à une série de questions sans faute", pour Alexandre Houpert, ces révisions de dernière minute ne sont cependant pas le cœur de cible de son application : 

Ce n'est pas une application de révision, mais d'apprentissage. Elle est utilisée toute l'année en complément d'un enseignement classique. Les enseignants l'utilisent en pédagogie inversée : les élèves peuvent écouter de la musique pédagogique sur le chemin de l'école. C'est une façon d'apprendre différente qui est en lien avec les habitudes actuels des jeunes."

Aux Etats-Unis, Studytracks est utilisée dans 250 écoles. Alexandre Houpert est en discussion avec le ministère de l'Education nationale pour que son application intègre les classes françaises.

Emmanuel Bigand, chercheur en psychologie cognitive : "Ces applications peuvent être utilisées comme des astuces mnémotechniques"

Sur Twitter, beaucoup de lycéens taguent leurs applications favorites, les remerciant de "sauver leur bac." Si la tentation des innovations liées aux nouvelles technologies est importante au moment de réviser leur baccalauréat, la recherche en psychologie cognitive prouve les limites de ces applications : "L'application est divertissante donc ça vous donne de l'énergie, mais en fait cette énergie est utilisée en grande partie pour le divertissement et pas pour apprendre l'information de contenus. On a l'illusion qu'on apprend mieux, c'est plus sympa mais ce n'est pas plus efficace du tout" explique Emmanuel Bigand, chercheur en psychologie cognitive à l'université de Bourgogne et à l'Institut Universitaire de France. 

Il ne faut pas voir ces applications comme des solutions miracles, mais plutôt comme un outil complémentaire pour un élève qui a régulièrement travaillé pendant l'année :

Il peut utiliser ces applications comme des astuces mnémotechniques pour récupérer de l'information qu'il a pris le temps d'apprendre pendant l'année. Mais si au moment de bachoter il utilise ces applications pour coder en mémoire à long terme des informations qu'il n'a pas vraiment regardées pendant l'année, on demande beaucoup trop à ces applications. Un étudiant qui n'a pas fait un travail régulier ne va pas être énormément aidé par ces applications. Je fais un peu le rabat-joie, mais ce n'est pas parce qu'on a un support rigolo que le cerveau apprend mieux.

Inutile donc d'essayer de compenser un manque de révisions en multipliant les abonnements à plusieurs applications. Mais l'anxiété face au baccalauréat alimente une partie du marché de l'EdTech. En matière d'application, Kartable et Schoolmouv arrivent en tête des plus utilisées selon l'Observatoire EdTech. En 2017, le parascolaire représentait 4 millions d'euros de ce marché qui s'élevait dans son ensemble à 89 millions d'euros.