"Les personnes handicapées sont des citoyens à part entière"

Un bureau de vote accessible aux personnes en fauteuil roulant lors du scrutin pour les primaires de la droite en novembre 2016 à Colmar
Un bureau de vote accessible aux personnes en fauteuil roulant lors du scrutin pour les primaires de la droite en novembre 2016 à Colmar ©Maxppp - Thierry Gachon
Un bureau de vote accessible aux personnes en fauteuil roulant lors du scrutin pour les primaires de la droite en novembre 2016 à Colmar ©Maxppp - Thierry Gachon
Un bureau de vote accessible aux personnes en fauteuil roulant lors du scrutin pour les primaires de la droite en novembre 2016 à Colmar ©Maxppp - Thierry Gachon
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Les adultes handicapés sous tutelle ne seront plus obligés de passer par un juge pour obtenir le droit de voter, de se marier ou de se pacser, a annoncé le gouvernement. Des mesures, parmi d'autres, pour rendre la société plus inclusive. Les personnes handicapées sont surtout en quête de dignité.

"Toutes les personnes handicapées pourront voter et se marier", annonçait Sophie Cluzel le 25 octobre dans un entretien accordé au Parisien, le jour même où la secrétaire d'Etat chargée des personnes handicapées détaillait ces mesures si symboliques : 300 000 adultes sous tutelle accèdent au droit de vote, à la possibilité de se marier, de se pacser (et de divorcer) sans passer par l'autorisation d'un juge. C'était une promesse du candidat Macron mise en œuvre par le gouvernement, avec un objectif : rendre la société plus inclusive via d'autres mesures prises dans le même temps. Attributions de droits à vie, simplifications administratives, accessibilité, sensibilisation...

Pour les premiers concernés - adultes sous mesure de protection (curatelle, tutelle), leurs proches et les associations -, ces mesures vont dans le bon sens mais ne signifient pas que le combat pour l'épanouissement des personnes handicapées est terminé. Ces dernières ont des choses à dire et veulent être entendues : elles revendiquent surtout de pouvoir choisir leur vie, malgré leurs difficultés.

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Justine, 20 ans : "Un juge m'a refusé le droit de vote"

Justine vit à Plérin (Côtes d'Armor) au foyer de la Fraternité, un établissement géré par l'Adapei 22 (Association départementale de parents et amis de personnes handicapées mentales). A 20 ans, la jeune femme est sous tutelle : "j'ai un peu de mal à comprendre les choses, à réfléchir", explique-t-elle même si son handicap ne l'empêche pas de faire des projets pour l'avenir. Elle veut passer son permis, faire un stage dans le secteur de la restauration, "plutôt en salle qu'en cuisine" et s'installer dans son logement ; à terme, l'objectif serait de vivre de façon autonome en comptant si besoin sur un service d'aide à la personne, des éducateurs qui passent uniquement la semaine ou sur rendez-vous.

Au foyer, Justine dispose d'une référente qui l'aide à remplir ses papiers et à faire ses comptes pour gagner en indépendance mais elle ne gère pas son budget. Justine ne peut pas non plus voter : 

Quand j'ai eu 18 ans, j'ai rencontré un juge des tutelles qui m'a posé quelques questions sur la vie politique, je me suis trompée et il ne m'a pas accordé le droit de vote. C'était en 2016, il m'a demandé qui était le Président, j'ai répondu François Hollande. Mais quand il m'a demandé s'il était de droite ou de gauche, j'ai répondu 'de droite'. Je ne connaissais pas non plus le nom des députés d'ici. Il m'a dit qu'il faudrait que je fasse une nouvelle demande d'ici trois ans.                                  
Justine, 20 ans

"J'ai trouvé ça injuste", se souvient Justine, qui se réjouit des dernières annonces du gouvernement supprimant l'autorisation préalable du juge, "je pense que je suis capable de voter. Je veux être une citoyenne comme une autre, voter pour le Président, pour les députés, pour la France, je voudrais avoir les mêmes droits que tout le monde !" Ce qui sera chose faite au plus tard pour les élections municipales de 2020, a promis l'exécutif.

Stéphane, qui est coordinateur d'unité au sein de l'équipe du foyer de la Fraternité, attend aussi beaucoup des autres mesures annoncées par le gouvernement, notamment la promesse de "droits à vie" faite par la secrétaire d'Etat Sophie Cluzel. "Quand on est trisomique, on l'est toute sa vie", explique Stéphane, "or aujourd'hui, il faut remplir un dossier tous les 10 ans auprès de la MDPH (Maison départementale des personnes handicapées) pour obtenir une reconnaissance du handicap... Sans cet accord, les aides de la CAF (Caisse d'allocations familiales) et l'AAH peuvent être supprimées (Allocation aux adultes handicapés)." Sur ce plan là aussi, Stéphane est rassuré.

Laetitia, 26 ans : "Pour conserver mes droits, je devais prouver que j'étais toujours handicapée" 

De gauche à droite : Julien, Richard (encadrant), Laetitia, David, Maria et Laurent. Ils sont sous tutelle ou curatelle et bénéficient de programmes sociaux pour se loger et travailler.
De gauche à droite : Julien, Richard (encadrant), Laetitia, David, Maria et Laurent. Ils sont sous tutelle ou curatelle et bénéficient de programmes sociaux pour se loger et travailler.
© Radio France - Maxime Tellier

Au foyer de l'association Avenir Apei à Marly-le-Roy (Yvelines), cinq personnes ont accepté de répondre aux questions de France Culture : Julien, Laetitia, David, Maria et Laurent. Ils ont entre 26 et 52 ans et sont tous sous curatelle ou tutelle (la tutelle est le régime de protection le plus lourd : voir les différences entre les deux statuts en cliquant ici). Ils travaillent en Esat (Établissement et service d'aide par le travail) comme ouvrier en conditionnement, employé aux espaces verts ou comme agent en grande surface et vivent en cohabitation dans des appartements partagés qui leur sont attribués.

Tous exercent leur droit de vote, à l'exception de Maria qui a la nationalité portugaise, mais les annonces du gouvernement pour rendre la société plus inclusive les incite à vouloir s'exprimer sur tous les sujets. David dit parfois souffrir du regard des autres : "dans les transports ou dans la rue, on joue le gentil avec moi et après, derrière mon dos, j'entends parfois 'oh y'a un mongole qui vient de me parler, j'ai rien compris !'", raconte ce trentenaire, qui souffre de tics nerveux, "quand je suis content ou énervé, je fais de grands gestes de la main que les personnes ne comprennent pas tout de suite. Par exemple là, je suis stressé parce que je n'ai pas l'habitude de parler à un journaliste ! Mais les personnes handicapées sont des personnes normales, on n'a pas à se faire insulter dans la rue !"

Tous opinent du chef et Laetitia, 26 ans, prend la parole : "les personnes méritent de vivre correctement, qu'elles aient un handicap ou pas. J'ai entendu plusieurs fois que je ne serais pas capable d'atteindre mes objectifs mais aujourd'hui, j'ai réussi, je travaille en milieu ordinaire [et pas en milieu protégé comme dans un Esat] comme employée de commerce en magasin dans une grande surface. Moi j'ai envie de prouver que les personnes avec un handicap peuvent faire des choses !"

Laetitia est la mère d'un enfant de neuf ans, un garçon dont elle a perdu la garde lorsqu'il avait neuf mois : "mon fils a été placé à cause de ma fragilité", explique la jeune femme qui souffre de schizophrénie "mais aujourd'hui, je suis stabilisée et j'ai le projet d'aller m'installer en Essonne, plus près de mon fils, que je vois quand même régulièrement, deux fois par mois." Elle hésite aujourd'hui à parler de sa maladie, "on m'a traitée de folle plusieurs fois".

Laetitia ne saisit pas non plus pourquoi il faut renouveler ses droits : "le handicap, on l'a toute sa vie et je ne comprends pas ce principe de répétition des demandes pour toucher les aides ou être reconnue comme travailleur handicapé", explique t-elle, avant qu'on lui explique que, justement, le gouvernement a annoncé que ces droits allaient devenir pérennes, "c'est une bonne nouvelle alors ! J'avais aussi l'exemple de la carte Améthyste [qui donne la gratuité dans les transports en Île de France], qu'il faut renouveler tous les ans. Il y a des choses à revoir administrativement !"

Lahcen Er Rajaoui, président d'association : "Nous voulons être associés aux décisions qui nous concernent"

Lahcen Er Rajaoui, président de l'association "Nous aussi", constituée de personnes avec un handicap intellectuel
Lahcen Er Rajaoui, président de l'association "Nous aussi", constituée de personnes avec un handicap intellectuel
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​Lahcen Er Rajaoui est président de l'association "Nous aussi", qui prône "l’auto-représentation" : "Tous les membres de 'Nous aussi' sont atteints d'un handicap intellectuel", explique t-il, "qu'ils soient dirigeants ou simples adhérents. Notre slogan est 'rien pour nous, sans nous'. Notre association a été créée en 2002 avec la volonté d'êtes associés aux décisions qui nous concernent, pour que les choix ne soient pas faits sans nous".

Lahcen Er Rajaoui se réjouit des annonces faites par le gouvernement mais il attend des moyens pour mettre en œuvre concrètement ces changements : "il faut un accompagnement pour les personnes qui vont retrouver, ou découvrir, leurs droits civiques. Car ces personnes ont été tellement privées de leurs droits qu'elles n'oseront pas aller de l'avant. Il faut les aider à s'inscrire sur les listes électorales, organiser des ateliers de citoyenneté, des simulations de vote", affirme t-il.

Âgé de 49 ans, Lahcen Er Rajaoui est atteint d'un handicap à cause d'une opération chirurgicale qui a mal tourné quand il était enfant. "J'étais soigné pour une leucémie au Maroc. Le médecin a dû toucher un nerf, ce qui a déclenché une hémiplégie : une paralysie de la partie droite de mon corps et une amnésie, j'ai oublié beaucoup de choses de mon enfance. J'ai encore des troubles aujourd'hui".

Son association met déjà en place des ateliers pour apprendre à voter et prépare d'autres animations en lien avec les communes et les collectivités locales. "Nous aussi" organise son congrès national les 9 et 10 novembre à Verdun avec un thème d'actualité : "le droit de vote, c'est maintenant !". La secrétaire d'Etat chargée des personnes handicapées, Sophie Cluzel, est notamment attendue à la tribune.

"C'est un changement de regard sur la personne handicapée"

La secrétaire d'Etat chargée des personnes handicapées, Sophie Cluzel, à l'Assemblée nationale le 26 septembre 2018
La secrétaire d'Etat chargée des personnes handicapées, Sophie Cluzel, à l'Assemblée nationale le 26 septembre 2018
© AFP - Philippe Lopez

Les récents changements de la législation sont la partie visible d'une évolution plus profonde, qui touche au regard porté sur le handicap. Sophie Cluzel, secrétaire d'Etat chargée des personnes handicapées a répondu à nos questions sur ce sujet. A 57 ans, cette ancienne militante met en œuvre les changements pour lesquels elle a combattu toute sa vie. Ex administratrice de l'Unapei (Union nationale des associations de parents, de personnes handicapées mentales et de leurs amis_)_, fondatrice de nombreuses associations et mère d'une fille atteinte de trisomie 21, elle a toujours lutté pour améliorer la qualité de vie des personnes handicapées, pour mieux les insérer et pour combattre les préjugés.

Qui est concerné par les annonces que vous avez faites ?

Toutes les personnes majeures protégées privées de leur droit de vote, soit 85% des personnes sous tutelle. On a constaté que la loi de 2007, qui devait améliorer les choses, n'a en fait rien changé. Ce texte était censé inverser la preuve de la capacité de voter ; c'était au juge de se prononcer sur ce retrait du droit de vote. Malheureusement, les habitudes étaient telles que les choses n'ont pas bougé. Aujourd'hui, nous rétablissons ces personnes dans leur citoyenneté avec ce droit de vote inaliénable et inconditionnel. Toute personne qui se voit placée sous tutelle est concernée. Cette mesure de protection était d'ailleurs parfois crainte par les familles car elle entraînait souvent le retrait du droit de vote pour le jeune. Le handicap ne doit pas être une raison pour priver quelqu'un de ses droits civiques.

Retirer le droit de vote était possible et accepté : pourquoi ce qui était considéré comme légitime ne l'est plus ? 

Parce que la France se met en ordre de marche sur les préconisations de la Convention des droits de l'homme de l'ONU, ratifiée par notre pays en 2010. Ce texte préconise de regarder la personne handicapée comme un citoyen à part entière, et plus comme un citoyen à part, comme un sujet de droits et non plus comme un objet de soins. La France révise ainsi sa politique de protection de la personne, qui pouvait mener à la privation d'un certain nombre de droits élémentaires : j'ai évoqué le droit de vote mais il y avait aussi l'obligation de demander à un juge l'autorisation de se marier, de se pacser, de divorcer, de se soigner, pour subir des actes chirurgicaux par exemple. Nous supprimons tout cela. 

Nous remettons la personne en capacité de pouvoir choisir sa vie, avec son tuteur, pour vivre beaucoup plus librement. C'est un changement de paradigme, de regard sur la personne handicapée pour qu'elle ait toute sa place dans la vie quotidienne et dans la société. Plus largement, nous changeons toute la politique de l'accompagnement pour une école inclusive, une entreprise inclusive. C'est une transformation radicale.

Quels délais pour l'application de ces changements ?

Nous allons abroger l'article L5 du code électoral ["Lorsqu'il ouvre ou renouvelle une mesure de tutelle, le juge statue sur le maintien ou la suppression du droit de vote de la personne protégée"]. La mesure fait partie du projet de loi sur la réforme de la justice porté par Nicole Belloubet et sera appliquée d'ici 2020. Dans le même temps, nous encadrons les procurations pour garantir la sincérité du vote : la personne handicapée ne pourra pas donner procuration à son mandataire de protection juridique ou aux personnels qui travaillent autour d'elle dans le établissements médico-sociaux. C'est une façon d'empêcher les manipulations et de répondre à ceux qui s'inquiètent de l'influence de l'entourage de la personne. Elle peut très bien confier la procuration à ses proches, sa famille ou ses amis.

Les associations saluent la proclamation de ces grands principes mais elles demandent un accompagnement pour aider les personnes dans leurs nouveaux droits. Qu'avez-vous prévu ? 

Les associations ont toute leur place et tout leur rôle à jouer, ce qu'elles font déjà avec des ateliers de droit civique : comment exprimer son consentement ? comment comprendre ? Etc. Cela va aussi nous obliger à rendre plus accessibles les programmes électoraux. Les ministères de l'Intérieur et de la Justice vont obliger les candidats à faire leur programme en français "Facile à lire et à comprendre" (Falc), un langage qui permet de comprendre les textes compliqués. Cela va nous obliger à réapprendre tout ce qui est déjà possible de faire pour l'accompagnement des personnes lors de l'exercice de leur droit de vote : une personne peut accompagner quelqu'un dans l'isoloir, peut signer à sa place, c'est déjà le cas mais l'information est très mal connue des assesseurs. Cela va nous obliger à refaire une campagne de communication ; le gouvernement sera aux côtés des associations pour les accompagner dans ce but, afin que ce droit devienne réel et effectif. 

Les mesures que nous avons annoncées comprennent aussi l'attribution de "droits à vie", ce qui va vraiment changer la donne du quotidien des personnes handicapées. Aujourd'hui, une personne adulte est obligée de faire 10 fois dans sa vie son dossier auprès de la MDPH (Maison départementale des personnes handicapées) pour avoir son allocation adulte handicapé (AAH). Désormais, ce sera une seule fois et ces droits seront à vie pour certains handicaps. Ce sont des mesures radicales de simplification pour la vie des personnes et pour les procédures administratives des institutions qui les soutiennent. 

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