"Me Too" un an après : la parole est libérée et la conversation n'est pas terminée

Image prise lors d'une manifestation à Paris le 29 octobre 2017 : #MeToo et #BalanceTonPorc, les deux mots clefs qui ont marqué ce mouvement en France
Image prise lors d'une manifestation à Paris le 29 octobre 2017 : #MeToo et #BalanceTonPorc, les deux mots clefs qui ont marqué ce mouvement en France ©AFP - Bertrand Guay
Image prise lors d'une manifestation à Paris le 29 octobre 2017 : #MeToo et #BalanceTonPorc, les deux mots clefs qui ont marqué ce mouvement en France ©AFP - Bertrand Guay
Image prise lors d'une manifestation à Paris le 29 octobre 2017 : #MeToo et #BalanceTonPorc, les deux mots clefs qui ont marqué ce mouvement en France ©AFP - Bertrand Guay
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Un an après les premières révélations sur Harvey Weinstein et le début du mouvement #MeToo, les femmes ont tout mis sur la table : du plus banal au plus grave, toutes les manifestations du patriarcat sont dénoncées. La discussion, enflammée, a gagné toute la société et n'est pas près de s'arrêter.

Avec
  • Manon Garcia Philosophe, Junior Fellow à la Society of Fellows de l’Université de Harvard

C'était il y a un an, le 5 octobre 2017 : le New York Times publiait un article sur Harvey Weinstein, accusé de harcèlement sexuel sur plusieurs femmes. Quelques jours plus tard, le producteur de Hollywood était à nouveau mis en cause par le New Yorker pour des faits d'agressions sexuelles et de viols. Une série de révélations qui déclenchèrent une déflagration mondiale quand l'actrice Alyssa Milano décida de lancer une campagne de témoignages sur les réseaux sociaux avec le mot clef "Me Too", "moi aussi" en français. Le slogan n'était pas neuf ou inventé : il était déjà utilisé depuis 2007 par une association new-yorkaise de quartier pour dénoncer les discriminations faites aux femmes issues des minorités.

Et dans chaque pays, le mouvement a essaimé : en France aussi, aux côtés d'un autre mot-clef, "Balance ton porc", qui a suscité critiques et polémiques. Un an après, quel est le bilan ? La parole est libérée, elle est mieux écoutée mais la conversation générale lancée dans toute la société est loin d'être terminée.
Témoignages recueillis par Maxime Tellier.

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Journal de 8 h
16 min

Sandrine : "Moi aussi, j'ai écrit #MeToo"

Sandrine est Nantaise et âgée d'une quarantaine d'années : elle a voulu rester anonyme mais a accepté de témoigner pour France Culture. En octobre 2017, elle a fait partie de toutes ces femmes qui ont pris la parole sur les réseaux sociaux : 

Quand #MeToo est sorti, il s'est passé quelque chose. En tant que femme, on sait toutes à quoi on est confrontée au quotidien, mais on le vivait chacune toute seule dans nos vies. On faisait avec, ou pas. Quand le mouvement a commencé, j'ai eu un moment de réflexion, 'est-ce que j'ai vraiment envie de le dire ? Suis-je prête à recevoir le regard des autres ?' Et quand la première de mes amies a publié '#MeToo' sur Facebook, juste ce statut et rien d'autre, je me suis dit, il faut que j’y aille aussi. Il faut que je le dise. Il faut à un moment qu’on arrive à poser ce débat pour dire que moi aussi en fait, je ne vous l’ai jamais dit mais je l'ai vécu aussi, je le vis encore. Et ça n'est pas qu'une ou deux femmes : c'est moi aussi, la voisine aussi, ma mère aussi, mes copines aussi, ma fille aussi peut-être un jour, on est tous concernés et ça n'est pas juste les femmes, c’est toute la société, les hommes également.

Pour Sandrine, le mouvement "Me Too" a été réellement synonyme de libération de la parole, un processus toujours en cours : "après avoir publié ce statut, j'en ai parlé en privé en dehors des réseaux sociaux, entre ami(e)s, mais pour les choses les plus graves, je n'en ai parlé à personne, pas jusqu'à aujourd'hui". Car en témoignant pour France Culture, Sandrine a décidé de parler et d'aller jusqu'au bout, un an après le début du mouvement : "J'ai été violée à 19 ans, je n'en ai jamais parlé à personne jusqu'ici et je vais sur mes quarante cinq ans... Ce sont des choses difficiles à vivre et à assumer. Arriver à les partager, c’est arriver à passer un cap. Ce n’est pas évident car c’est un poids que l'on donne aux autres. 'Me too', c’est ça aussi : on a ce poids qu’on porte au quotidien et que l'on veut partager mais pour le changer, pour aller de l’avant et pas seulement s’arrêter à ce qu’est le passé".

J'ai été violée et je n’ai rien fait car je me suis dit que j’allais aggraver la situation si je me rebellais ; c’est quelque chose de difficile à assumer de se dire qu'on ne s’est pas battu. Mais ça n'est pas cet événement là tout seul qui fait qu’on en est arrivé à faire Me Too : ça n'est pas que le fait d'avoir un jour été violée. C’est quelque chose qui est au quotidien, c’est d’avoir été confrontée au plafond de verre, d'avoir été discriminée dans son travail parce qu’on est une femme, d'avoir raté des affaires avec ses clients parce qu’en face de nous, il y avait un homme... C’est l’ensemble du côté patriarcal de la société qui fait qu’on a aujourd'hui 'Me Too' et 'Balance ton porc'. S’il faut dire les choses jusqu’au bout pour avoir une prise de conscience, eh bien allons-y ! Les hommes, les femmes, la société, on a tous à y gagner !

Quelques bémols quand même : Sandrine voit encore des progrès à effectuer. "Dans les discussions que j'ai eues après Me Too, j'ai eu une impression de sidération, de surprise chez beaucoup d'hommes. Ils savaient certaines choses mais ne voulaient pas forcément voir. Plusieurs sont venus vers moi par la suite pour me dire qu'ils étaient désolés de savoir ce que j'avais subi, ce que je subissais encore. Mais il reste la partie la plus compliquée : savoir se remettre en question. En allumant Facebook récemment, j’ai été obligée de recadrer un ami masculin qui publiait la photo d’une jeune femme plutôt dénudée et non épilée avec un commentaire "l'hiver arrive !" ; c'était censé être drôle. Et donc je lui ai dit que non, on ne peut pas diffuser des images de corps de femmes avec des propos totalement sexistes, sans l’accord de la personne concernée et juste pour s’en moquer. L'image du corps de la femme dans ce qu'il a de plus naturel est un vrai sujet de société : les femmes ont le droit de s'habiller comme elles veulent ou de ne pas s’habiller, d’avoir des poils ou de ne pas en avoir, il n'y a pas à avoir ce type d’injonction, 'soyons morts de rire parce que, attention ! Elle a quatre poils !"

Sandrine cite aussi les messages violents ou haineux lus sur les réseaux sociaux : "à chaque article qui parle de Me Too ou de sujets reliés, il faut voir les commentaires en dessous ! Notamment ces masculinistes qu'on lit de plus en plus, qui revendiquent leur place d’hommes hétérosexuels vis-à-vis de femmes qui seraient des castratristes féministes, les pauvres subiraient une menace au quotidien des féministes qui les empêcheraient de vivre. Parfois cela va jusqu'au harcèlement".

Marine Revol, journaliste, écrit pour les pages société de magazines féminins

Marine Revol, journaliste pour les pages sociétés de magazines féminins
Marine Revol, journaliste pour les pages sociétés de magazines féminins
© Radio France - Marine Revol

"J'écris la vie de mes potes dans la presse" annonce Marine Revol sur son profil Twitter : femme, connectée, trentenaire, Parisienne et journaliste, elle observe et vit le mouvement 'Me Too' de près : "Quand on est journaliste, qu'on est jeune, qu'on est une femme, on fait partie de cette révolution qu'est Me Too, avec l'impression de vivre quelque chose d'exceptionnel"

Une prise de conscience de notre génération. 

"Ce que l'on rencontrait toutes dans le milieu professionnel, les blagues graveleuses, les remarques déplacées, on sait maintenant que ça porte un nom : le harcèlement et on n'a plus envie d’accepter ça. 'Me Too' a ouvert les vannes, on en parle entre journalistes, entre copines et on se rend compte que c’est bien plus gros que ce qu’on pensait, tout le monde est concerné. 'Me Too' est toujours au cœur des sujets que l'on écrit depuis un an parce que 'Me Too' a libéré la parole des femmes, a libéré les initiatives, les femmes se sont senties légitimées de parler. Que ce soit parce qu’elles ont subi des violences ou qu'elles montent des projets, on a envie de mettre les femmes sur le devant de la scène, pour leur donner de la place dans l'espace médiatique. 

La parole de l'intime s'est libérée.

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"Avec Me Too, on traite de questions qu’on aurait pas forcément abordé avant, notamment la parole de l'intime, qui s’est beaucoup libérée. Les femmes parlent de leur corps, de leur sexualité. Surtout, les femmes revendiquent de maîtriser leur corps, leur sexualité, leur accouchement aussi. Avant c’était moins présent : beaucoup de sujets sont arrivés l’année de Me Too... Sur les violences gynécologiques, on a beaucoup parlé de clitoris, de représentation du sexe des femmes dans les livres. J’ai l'impression que ces sujets prennent plus de place et c’est une bonne chose.

A l'ère 'Me Too', les femmes sont aussi plus alertes à ce que leur disent les hommes. Un sujet que j'ai traité récemment portait sur un compte Instagram, 'T'as Joui ?', un compte né parce que un jour, un homme a dit à Dora [la fondatrice du site], 'mais vous les femmes vous jouissez plus difficilement parce que vous êtes cérébrales'. Ça l’a interloquée parce que c’était aussi au milieu d’un contexte où elle n'avait plus envie d’accepter ça, où on lui disait qu’elle pouvait revendiquer une sexualité aussi libre que celle des hommes."

Et les hommes ? 

"J'ai vu des articles assez maladroits dans la presse, comme 'Comment être un homme après Me Too ?' qui décrivait des hommes complètement désarmés, ça m'a semblé déplacé. Je pense que la meilleure chose que peuvent faire les hommes est d’écouter la parole des femmes. En revanche, je n'ai pas fait de sujet sur eux parce que je ne vois pas énormément d’initiatives prises par les hommes. Aujourd'hui en France, ils sont peu à prendre la parole pour défendre de nouvelles formes de masculinité ; et pourtant, redéfinir la place des femmes, c’est aussi redéfinir celle des hommes sachant que beaucoup d’hommes souffrent aussi de ce mythe de la virilité."

Balance ton porc.

"Je pense qu'il y a un gros malentendu sur ce slogan. Il est né pour dénoncer le sexisme en milieu professionnel et il a été entendu comme 'tous les hommes sont des porcs'. Mais quand on regarde les témoignages qui ont utilisé ce mot clef, il n'y a pas de nom qui sont tombés, les femmes ont juste dénoncé une situation ; ça n'était pas comme s'il n'y avait plus de justice, plus de présomption d’innocence, je ne connais pas beaucoup d'hommes accusés à tort avec 'Balance ton Porc' et dont la vie a été brisé. En revanche, des femmes qui ont dû démissionner parce qu'elles ont osé dénoncer leur patron qui les agressait, il y en a eu. 

La presse féminine est-elle schizophrène ?

C'est une critique qui est souvent faite à ce type de presse où l'on trouverait un article pour réussir à maigrir juste après un sujet sur s'accepter comme on est. Il y a des progrès à faire, c'est certain, et il faudrait qu'on soit plus exemplaires. Mais la presse féminine est plus diverse qu'on ne le pense et il y a des progrès : on essaie de donner plus de place à la diversité, d'être plus inclusives, de parler à toutes les femmes, avec des couvertures sans retouche, des femmes noires... Le discours aussi a évolué dans la presse féminine dite mainstream : Elle, Cosmo, Glamour, qui est souvent visée. 

On peut très bien parler de parfum ou de rouge à lèvres par exemple. Seulement, on dira qu'on va se parfumer pour se sentir puissante, on va se maquiller parce que c’est un célébration. Je ne voix plus d'articles où l'on dit 'Essayez ce rouge à lèvres pour faire craquer votre homme' ou 'Perdez 3 kilos pour séduire sur la plage'. On dira plutôt 'perdez du poids pour être en forme' plutôt que pour séduire ou être mince. Mais la presse féminine est aussi le reflet de la société : il y a des contradictions mais ça avance et de toutes façons, on n'aura pas le choix car les adolescentes et les très jeunes femmes qui seront les lectrices de demain n'ont plus envie de ça. Elles veulent qu’on leur parle différemment, elles veulent des sujets politiques, etc. Et donc on sera obligés de s’adapter ; c’est même déjà le cas.

Manon Garcia, philosophe : "l'expérience d'être une femme, c'est l'expérience de se soumettre aux hommes"

Manon Garcia est philosophe, enseignante et chercheuse à l'université de Chicago. Elle a publié un livre le 3 octobre 2018 "On ne naît pas soumise, on le devient", essai philosophique qui tente de comprendre la situation de soumission des femmes au patriarcat, malgré les progrès de la loi et des usages.

Pourquoi avoir écrit ce livre ? 

Ce que j’essaye de montrer, c’est qu'il est important de réfléchir à ce que c’est pour des femmes que de se soumettre aux hommes et de comprendre que la soumission n’est pas un phénomène hors du commun réservé à certaines femmes différentes de nous. En fait, l’expérience d’être une femme, c’est l’expérience de se soumettre aux hommes. Dans l’histoire de la philosophie, ce concept n’existe pas : on parle de domination, de pouvoir, mais il n’y a pas de concept de soumission. Ma contribution consiste à construire ce concept de soumission en disant qu'on pense toujours le pouvoir du point de vue de ceux qui l’ont. Mais moi, ce qui m’intéresse, c’est de penser le pouvoir du point de vue de celles qui ne l’ont pas. C’est à dire des femmes dans leur relation aux hommes. 

La soumission des femmes est un angle mort, un impensé du mouvement féministe ?

Oui car les féministes ont face à elles des antiféministes qui adorent l’idée de la soumission féminine : ils mettent ça sur le compte d’une nature des femmes “vous voyez bien, les femmes s'occupent naturellement des enfants, elles font la cuisine, elles sont faites pour ça, etc.” Et donc les féministes font très attention avec cette idée de la soumission parce que souvent, des hommes disent “vous voyez bien, vous êtes d’accord avec nous, les femmes ne demandent que ça.” La philosophie est primordiale pour avoir une vision nuancée mais j’essaie de montrer que ça ne veut pas dire que les femmes sont responsables et que par ailleurs, cette soumission n’est pas naturelle ; c'est l'éducation des petites filles et des petits garçons qui provoque des comportements très genrés, qui font que des femmes se soumettent et que des hommes dominent. 

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Un exemple de publicité genrée trouvée sur Internet en septembre 2018.

Le mouvement Me Too a nourri votre réflexion dans ce livre ?

Le mouvement 'Me Too' s’inscrit dans un mouvement beaucoup plus long, d'événements qui n’ont pas donné lieu à cette espèce de révolution qu’a été Me Too. Mais d’une certaine manière, 'Me too' n'était pas surprenant pour moi. C’était un soulagement de voir qu’il y avait une prise de conscience politique mais pour les gens qui travaillent sur ces sujets là, on sait qu’un nombre incroyable de femmes ont été agressées sexuellement, violées, harcelées au cours de leur vie. Donc la réalité que le mouvement Me Too a mis en lumière ne m'a pas étonnée. L'attention que l'on accorde à ces sujets a changé en revanche. Quand j’ai commencé à travailler sur ma thèse, j’étais sûr que la question de la soumission des femmes était fondamentale mais je pensais que ça n’intéresserait jamais personne. Et là, tout d’un coup, ça n'est plus tabou d'être féministe même s'il y a toujours chez la vieille génération des Catherine Millet, etc. Un souci de dire 'on est toujours disponibles sexuellement donc pensez à nous'. Chez les jeunes générations, il y a vraiment une importance du féminisme. D'ailleurs, j’ai dédié mon livre à mes trois sœurs qui sont beaucoup plus jeunes que moi et qui sont beaucoup plus féministes que je ne l’étais à leur âge. 

Votre livre vise à une prise de conscience des femmes sur leurs propres actions. Est-ce que vous parlez aussi aux hommes ? 

En exergue de mon livre, j’ai mis une citation d’une philosophe française très peu connue qui s’appelle Michèle Le Dœuff et qui dit : 'en pensant que le Deuxième sexe, écrit par Simone de Beauvoir, est un livre de femmes, les hommes se privent de la moitié de la littérature et de la pensée mondiale ainsi que de solides lectures'. Je ne pense pas du tout que la philosophie féministe s’adresse uniquement aux femmes. Et je pense que pour les hommes, comprendre les mécanismes de la soumission féminine est un moyen d’être des alliés, de voir dans leur propres comportements comment ils attendent une soumission des femmes avec lesquelles ils vivent et avec lesquelles ils travaillent, etc. Il y a beaucoup d’hommes de mon entourage qui ont vraiment trouvé dans ce livre  des façons de repenser leur propre comportement. Il faut arrêter de penser que quand on parle de l’égalité des sexes, ça ne concerne que les femmes. 

POUR ALLER PLUS LOIN : l'interview intégrale de Manon Garcia à lire ici.

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