Médias : faire émerger la parole des jeunesses

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; ©AFP - L. Bonnaventure
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Aujourd'hui s'achève la Semaine de la presse à l'école. Si les nouvelles générations délaissent certains médias et multiplient les critiques à l'égard des journalistes, elles expriment aussi un grand intérêt pour l'actualité. Au coeur de ce paradoxe, les représentations médiatiques de la jeunesse.

"On entend dire que les jeunes ne s’intéressent plus trop aux médias parce qu’on ne regarde plus la télévision. Mais aujourd'hui on a le choix et on peut regarder plein d’autre choses. C’est plus simple pour nous d’aller sur notre téléphone”,  résume Léa, élève de Terminale à Versailles. Trouver comment toucher les plus jeunes générations : c'est devenu - avec plus ou moins de succès - la priorité de tous les médias . Particulièrement les plus anciens, dont l'audience ne cesse de vieillir.  
Les jeunes expriment de la défiance vis-à-vis des journalistes et délaissent certains supports au profit du numérique. Mais contrairement à un malentendu parfois difficile à dissiper, déserter certains médias, ne veut pas dire se désintéresser du monde environnant et de l'actualité. Bien au contraire, insiste Alix,  lycéenne à Versailles.

La plupart des jeunes ne sont plus du tout touchés par la radio la télé ou les journaux papier Les grands débats sur l’écologie je les ai vus sur Youtube. En tout cas je ne regarde jamais la télévision. J'écoute parfois la radio parce que mon père l'allume à côté mais j’ai l’impression que c’est toujours des morts, de viols, brefs de trucs horribles et négatifs ; alors je n’écoute même plus. Surtout, c’est plus simple d’avoir des notifications de nos téléphones. Et plutôt que regarder des gens donner leur avis sur un plateau télé, j’aime bien lire des petits articles qui énoncent les faits, pour me faire ensuite ma propre opinion.

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Alix, lycéenne "je m'informe via mon téléphone"

2 min

Des sujets plutôt courts, de préférences en format vidéos, et découverts via les réseaux. Voilà qui fait partie des contenus plébiscités par les plus jeunes. Même si ces derniers se caractérisent par leurs usages multiples. Le Conseil national d'évaluation du système scolaire, le Cnesco, a publié en février les résultats d'une enquête intitulée " Education aux médias et à l’actualité ", menée auprès de 16 000 élèves de troisième et de terminale.  68% d'entre eux déclarent utiliser quatre médias ou plus. Parmi les sources d’informations citées, l’entourage arrive en tête (90 % des élèves de Terminale), avec les réseaux sociaux (pour 84% des élèves) et la télévision (89%) - seul média “classique” à s’en sortir.  Même si paradoxalement, les médias qu’ils utilisent le moins, comme la presse écrite, sont ceux auxquels les jeunes font le plus confiance.

Quelle offre éditoriale pour les plus jeunes ?

Je suis des pages de presse écrite - comme Le Monde  ou L'Express’ ou des pages uniquement sur Facebook - comme Open minded- où je trouve des sujets qui me touchent plus. Je découvre les pages via des partages. C’est aussi le format qui m’attire, souvent des articles courts avec des images. Ou des vidéos.

Plus qu’à l’actualité générale au quotidien, Salomé, 19 ans, élève en première année de BTS Diététique à Clichy s’intéresse à quelques sujets - comme les tatouages, l’écologie. Elle aussi était d’ailleurs à la Marche sur le climat 

Les jeunes ne peuvent pas saisir tous les sujets. Par exemple quand on ne paye pas d’impôt, le prélèvement à la source ce n’est pas quelque chose qui nous concerne.  On entend souvent dire que les jeunes ne s’intéressent pas, mais c’est surtout qu’on s’intéresse à des sujets différents. Cela évolue tout au long de la vie, selon tes passions etc. Ce n’est pas le fait d’être jeune qui change quelque-chose en soi. Mais comme les grands médias s’adressent à des gens plus âgés, on les regarde peu. Cela ne veut pas dire qu’on ne s’intéresse pas à ce qui se passe autour de nous.

Salomé, 19 ans "les sujets des grands médias ne s'adressent pas aux jeunes"

2 min

C’est ce qui a poussé Léa, lycéenne de Terminale, à relancer le journal de son lycée à Versailles. Au sommaire, fake news, écologie, harcèlement scolaire... “ L’idée était de redonner aux lycéens la possibilité d’avoir toutes ces informations très accessibles puisqu’on peut le prendre au lycée, c’est gratuit. Les thèmes qu’on a choisis sont principalement des sujets pas très bien traités à l’extérieur. "

Léa, fait sûrement partie des jeunes les plus informés. Si les inégalités sociales tendent à se réduire en terme d’équipement - et donc d’accès matériel au numérique- , elles persistent dans les usages. L’enjeu de formation reste donc très fort. Et cela d’autant plus que le trois-quarts des jeunes vont chercher l’info sur les réseaux sociaux. 

Serge Barbet, directeur délégué du Clemi
Serge Barbet, directeur délégué du Clemi
© Radio France - CP

Pour Serge Barbet, directeur délégué du Centre pour l'éducation aux médias et à l'information, le CLEMI, cela change tout 

Cela veut dire recevoir l’information de manière individuelle. Et surtout y accéder selon la logique des plateformes et de leurs algorithmes, et non plus dans une démarche de curiosité comme peuvent le proposer des médias. L’apprentissage de la diversité est donc essentiel. Cela veut dire aussi y intégrer la connaissance du fonctionnement de ces plateformes.

Serge Barbet (Clemi) "les médias doivent se rapprocher des territoires de la jeunesse"

4 min

S’ils veulent rester une source d’information pour les plus jeunes,  les médias doivent dans être capables d’être présents là où sont les jeunes - c’est-à-dire sur les réseaux sociaux. Mais aussi dans le choix des sujets et de leur traitement.

Ne faisons pas des médias adultes qui parlent aux jeunes, alerte Serge Barbet. Il faut que les médias intègrent dans leur projet éditorial la place de la parole de la jeunesse. Les préoccupations on les connaît : il y a les questions d’environnement, l’égalité entre les femmes et hommes, les manières de vivre ensemble… Il y a à la fois exigence d’une info de qualité et une défiance totale. C’est ce paradoxe qu’il faut réussir à résoudre.

La Fabrique médiatique
19 min

Donner la parole aux jeunes

Ce qui détourne les plus jeunes d’un certain nombre de médias, c’est précisément la faible représentation de leur parole et de leurs centres d’intérêt.  C’est en tout cas, ce que ressentent Marie et Manon. Ces deux lycéennes, élèves en Seconde à Paris, ont participé à "La Marche du siècle" pour le climat. Toutes les deux déplorent que les médias aient donné davantage d’écho à la manifestation des Gilets jaunes qui avait lieu le même jour. “Il y a eu un traitement qui n’était pas égal. Les jeunes défendent une grande cause, le climat, et je trouve qu’on n’en parle pas assez, on parle trop des gilets jaunes. Les médias les plus connus en tout cas, parlaient plus d’eux”, souligne Marie.

Marche pour le climat, Paris, 16 mars 2019
Marche pour le climat, Paris, 16 mars 2019
© AFP - Thomas Samson

Et quand on leur demande ce qu’il faudrait changer, la réponse est claire : donner davantage la parole aux jeunes. “Si ces médias nous interrogeaient plus, peut-être qu’ils nous parleraient de choses qui nous intéressent davantage”, estime Marie. “C’est toujours le même type de personnes qui sont interviewées, renchérit  Manon : des gens à peu près du même âge, la trentaine avec un métier, des enfants… Mais les jeunes, comme aussi les plus vieux, j’ai l’impression qu’on les entend moins.

"Equité médiatique"

Face à ce constat est née la Zone d'expression prioritaire, la ZEP.  Ce dispositif permet à des jeunes de 14 à 28 ans d'être accompagnés par des journalistes pour formaliser leur parole, puis la diffuser grâce des partenariats avec des médias comme Libération, Le Monde ou Kombini. Le journaliste Edouard Zambeaux, co-directeur de la ZEP, le voit bien, chez les jeunes qu'il rencontre pas de désintérêt pour l'information, loin de là.

Il y a en revanche une grande défiance liée à leur image dans les médias. C’est à la fois la manière dont ils sont représentés et le fait que bien souvent, il y a un tiers qui parle à leur place. Leur revendication, c’est d’avoir leur juste place au regard de leur démographie, et dans une expression qui soit la leur. Pour faire émerger cette parole, on touche un point central : l’équité médiatique. Ne peut-on tendre le micro qu’à des gens qui ont l’habitude du micro? Nous faisons le pari que non. Mais cela prend souvent plus de temps. Faire émerger une parole de jeunes, ce n’est pas aller dans les classes dire que les journalistes sont des gens respectables. Que veut-on ? Réhabiliter aux yeux des jeunes notre métier ? Ou faire entendre au grand public une parole émanant de ces jeunesses.

Lutter contre les _fake new_s ne suffira pas: pour rapprocher les jeunes des médias, il faut sans doute leur laisser plus de place dans l'analyse du monde qui nous entoure.
 

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