Pourquoi le cash fait de la résistance...

Il y a 24 milliards de billets en circulation dans la zone euro et en dehors car l'€ est une monnaie de réserve. Le billet de 500 € n'est plus produit depuis 2019 pour limiter fraude et thésaurisation
Il y a 24 milliards de billets en circulation dans la zone euro et en dehors car l'€ est une monnaie de réserve. Le billet de 500 € n'est plus produit depuis 2019 pour limiter fraude et thésaurisation ©Getty - Sopa Image
Il y a 24 milliards de billets en circulation dans la zone euro et en dehors car l'€ est une monnaie de réserve. Le billet de 500 € n'est plus produit depuis 2019 pour limiter fraude et thésaurisation ©Getty - Sopa Image
Il y a 24 milliards de billets en circulation dans la zone euro et en dehors car l'€ est une monnaie de réserve. Le billet de 500 € n'est plus produit depuis 2019 pour limiter fraude et thésaurisation ©Getty - Sopa Image
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La digitalisation pousse vers les nouveaux moyens de paiement mais en France 68% des transactions sont encore en cash, et les arguments pour le conserver nombreux. La Suède revient sur sa volonté de l'éradiquer, New York vient d'interdire aux commerçants de refuser le paiement en espèces.

Carte sans contact, paiement par mobiles, applications, commerce en ligne... il y a du neuf dans les habitudes de paiement, et l'avenir des espèces (ou monnaie fiduciaire) est en débat. Et si un jour, il n'y avait plus de cash ? La question est posée mais le cash fait de la résistance. 8 transactions sur 10 sont en cash dans la zone euro, ce qui représente 54% des paiements en valeur. Mieux : la production de billets va croissante. En 2019, la Banque de France en a produit 9% de plus qu'en 2018. Anonymat, possibilité de faire des réserves "sous le matelas" (thésaurisation), et accès des plus vulnérables aux moyens de paiements s'opposent à l'avènement d'une société sans cash... même si c'est en vogue, et promu au nom de la lutte contre la fraude, le "black", et le financement du terrorisme. 

Etat des lieux : 1 300 milliards d'euros en espèces en circulation

Les banques centrales nationales sont responsables de la délivrance des billets et pièces.   

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24 milliards de billets ont été émis dans la zone euro depuis sa création. La Banque de France a émis au total 5 977 millions de coupures après 5 527 millions fin 2018, soit une hausse annuelle de 8,1 %.   

La valeur de ces pièces et monnaie en circulation a également beaucoup augmenté au cours du temps. En 2009, il y avait 800 milliards de monnaie fiduciaire (ainsi nomme-t-on les billets + les pièces) en circulation dans la zone euro. Fin 2019, on est à 1 300 milliards d'euros pour la zone d'euro (1 231 milliards en billets et 29 milliards de pièces). Sur ces 1 300 milliards d'euros, 151,3 milliards ont été émis par la Banque de France à fin 2019, contre 138,7 milliards en 2018. L'augmentation de la mise en circulation d'espèces a dépassé les 9%. Ici les statistiques mensuelles de l'activité fiduciaire en France. 

1260 milliards d'euros, c'est le stock de monnaie fiduciaire en circulation en 2018.
1260 milliards d'euros, c'est le stock de monnaie fiduciaire en circulation en 2018.
- Banque de France

C'est un paradoxe : alors que l'on parle de la fin du cash, que se diffusent d'autres moyens de paiements, et que la Banque de France enregistre en France une baisse de 2,2% des retraits aux distributeurs, on produit chaque année de plus en plus de billets.    

Où sont-ils passés ? On ne le sait pas précisément. Une fois les billets émis, ils peuvent être dépensés en France ou dans un autre pays de la zone euro, ou dépensés ou thésaurisés à l'étranger (lors d'un reportage en Argentine, j'ai payé pendant une semaine en euros et en dollars).   

La Banque de France le dit elle-même dans son bulletin ; "la demande en monnaie fiduciaire émanant des acteurs économiques résidents est difficile à évaluer".   

Mais sa direction des activités fiduciaires estime que la valeur des billets détenus pour un usage transactionnel serait de 12,2 milliards en France.    

Estimer les besoins de l'économie en espèces, c'est le rôle de la direction des activités fiduciaires à la banque de France. Christophe Baud-Berthier, directeur de cette unité, explique comment cette estimation est faite.   

Christophe Baud-Berthier, directeur des activités fiduciaires de la Banque de France. Fiducie de "confiance", car si un billet de 20euros vaut 20 euros, c'est parce que vous avez confiance en sa valeur (car en vrai il ne vaut pas 20 euros)
Christophe Baud-Berthier, directeur des activités fiduciaires de la Banque de France. Fiducie de "confiance", car si un billet de 20euros vaut 20 euros, c'est parce que vous avez confiance en sa valeur (car en vrai il ne vaut pas 20 euros)
- Marie Viennot

Chaque année nous faisons des estimations de la demande de billets, car nous sommes les "grossistes en billets". Donc nous faisons de savants calculs qui intégrent l'évolution du pouvoir d'achat des Français, la concurrence des autres moyens de paiement, pour estimer le nombre de billets qui seront demandés par l'ensemble des acteurs de la filière, et nous faisons cela en lien avec l'imprimerie pour commander le nombre de billets qui sera demandé par le marché. Christophe Baud-Berthier.

Christophe Baud-Berthier : "24 milliards de billets émis dans la zone ¤, mais on ne sait pas où ils sont"

1 min

Premier frein à la fin du cash : les réserves sous le matelas

Les transactions en liquide restent majoritaires dans la zone euro. 79% des transactions sont en cash dans la zone euro, ce qui représente 54% du total des paiement en valeur. Les cartes bancaires arrivent deuxième avec 19% des transactions, représentant 39% des transactions en valeur.  

Les statistiques sur le nombre et la valeur des transactions en cash sont peu fiables à ce jour, estime aussi la Banque Centrale Européenne, qui a cherché à en savoir plus dans une étude parue en 2017, sur des données de 2018.    

  • 40 à 57% est thésaurisé dans la zone euro (autrement dit mis sous le matelas ou dans un coffre comme épargne de précaution).  
  • 24 à 36% sont détenus en dehors de la zone euro 
  • 19 à 24% est utilisé pour un usage transactionnel    
Plus de la moitié des euros en circulation seraient mis sous le matelas, et plus d'un tiers détenus hors de la zone euro.
Plus de la moitié des euros en circulation seraient mis sous le matelas, et plus d'un tiers détenus hors de la zone euro.
- BCE

L'enquête menée par la BCE sur l'usage des espèces livre d'autres résultats étonnants : un quart des Européens interrogés déclarent détenir de l'argent liquide hors de leur compte bancaire comme réserve de précaution ou moyen d'épargne. Ce chiffre tombe à 15% en France.   

La thésaurisation (l'argent sous le matelas) explique (en partie) ce paradoxe : alors que l'on utilise moins les espèces, on en produit de plus en plus.   

Les espèces sont menacées parce que l'usage qui en est fait dans les paiements recule indéniablement mais sa part relative reste très importante. La monnaie a plusieurs fonctions, c’est à la fois une unité de compte (cela permet de mesurer ce que l'on peut acheter ou vendre), c'est aussi un moyen de paiement, et il y a une troisième fonction très importante : la réserve de valeur, et ça c'est un rôle qui croît et embellit. Que ce soit en France ou dans la zone euro depuis vingt ans que nous émettons des billets, la croissance a été ininterrompue, elle a augmenté de 9% en France et de 8% dans la zone euro l'an passé. Pour nous Français, c’est un peu curieux, mais à la fois en France et plus généralement dans d'autres pays de la zone euro, des personnes conservent par devers elles des espèces, dans des lessiveuses, sous le matelas, dans le jardin, parce que dans certains pays les gens n'ont pas confiance dans les banques, et pour d'autres raisons, les gens préfèrent épargner sous cette forme. Christophe Baud-Berthier, directeur des activités fiduciaires à la Banque de France.

Christophe Baud-Berthier : "Il y a des euros dans les lessiveuses, sous les matelas, dans les jardins"

1 min

Si les réserves sous le matelas ont le vent en poupe, c'est aussi parce que depuis plusieurs années, la politique de la Banque Centrale Européenne rend la rémunération de l'épargne très faible. Mieux encore, certaines banques ont décidé de taxer les dépôts de leurs clients (au delà d'un million d'euros) pour compenser les taux négatifs que leur appliquent la BCE. La Suisse a été la première à le faire, mais un établissement français (la banque privée Lombard Odier) le fait aussi depuis octobre. 

Si la BCE a décidé de ne plus imprimer de billets de 500 euros (depuis 2019), ce n'est pas seulement pour limiter son usage par les fraudeurs fiscaux ou les trafiquants de drogue ou autre, c'est AUSSI pour limiter la possibilité de thésauriser facilement en plaçant les billets de 500 dans des coffres, comme le relate le billet économique ci-dessous. 

Néanmoins, l'argument mis en avant pour arrêter la production du billet de 500 euros ce fut avant tout la lutte contre la fraude. Tous les éléments à ce sujet dans l'article ci-dessous. 

Deuxième frein : les craintes pour la liberté

Quand on paye en liquide, on ne peut pas être tracé. Vous êtes nombreux à avoir mis cet argument en avant sur les réseaux sociaux. L'économiste Bruno Théret nomme le cash : la liberté frappée. Ancien directeur de recherche au CNRS, il est aujourd'hui économiste à l'Iriso, l'institut de recherche en science sociale. Bruno Théret a beaucoup écrit sur la monnaie.    

En plus d'être chercheur, c'est un activiste du cash. Il l'utilise le plus possible, pour que dans les statistiques monétaires, ce mode de paiement ne soit pas un jour considéré comme inutile.   

Le projet d'un monde sans cash date des années 70 explique t'il dans un article intitulé : Bonjour La Finance, Au Revoir La Monnaie ! Pourquoi la fin annoncée du cash peut être vue comme une performation de la doctrine monétaire qui sous-tend la théorie financière de l’efficience des marchés.     

Avec la digitalisation de l'économie, cette idée a resurgi en force. 

C'est un projet très puissant qui est poussé par des acteurs financiers, certains Etats, les fintech californiennes... un ensemble d'acteurs très puissants qui sont organisés au niveau mondial dans une " Better than cash alliance" qui comprend l'Onu, des grandes banques, tous les dispositifs de carte de paiement Pay Pal etc... et leur idée c'est d'établir un monopole bancaire sur la monnaie. Bruno Théret, économiste.

Bruno Theret : "Le cash c'est la liberté frappée"

3 min

Bruno Théret, explique que le liquide, c'est de l'argent gratuit et la liberté frappée. 

  • Gratuit, parce que vous n'avez pas besoin d'avoir une carte bancaire, un téléphone, ou même un compte en banque pour l'utiliser.   
  • Liberté frappée, car personne ne peut savoir ce que vous faites avec.  

"Oui c'est vrai que c'est difficile de dire qu'une monnaie est gratuite. Vous ne payez pas pour la maintenir en l'état. On a de la monnaie gratuite par le numérique mais il faut se munir d'un terminal, son portable ou autre, donc elle n'est pas tout à fait gratuite. Et si on joint ça avec tout l'aspect de soutenabilité écologique, de tous ces systèmes de paiements électroniques qui requièrent de l’électricité, des big datas etc... on s’aperçoit que le cash, c'est bien plus écologique.  Moi j'ai toujours mes billets dans la poche, même au restaurant je peux payer jusqu'à 200 euros. Et aussi, il nous faut le cash pour pouvoir développer la désobéissance civile, et la résistance au gouvernement à distance, à la perte de nos libertés etc.... et renouer avec le fait que le cash, c'est de la liberté frappée. Personne ne sait ce que je vais payer. Je ne suis pas inquiet, mais je suis inquiet pour ma liberté oui. Bruno Théret, économiste.

Les banques peuvent-elles faire ce qu'elles veulent de vos données bancaires ? C'est une question centrale quand on aborde ce sujet.  Les banques ont une obligation de secret bancaire, sauf s'il y a une réquisition dans le cadre d'un contentieux juridique et dans certains cas pour des raisons fiscales. Mais elles peuvent analyser vos données. Elles le font d'ailleurs, l'une des raisons évoquée étant la lutte contre la fraude. Si votre carte bleue se met à faire des achats depuis le Vietnam alors que vous n'y êtes pas, certaines transactions peuvent être bloquées. 

Dans l'absolu, sachez qu'il n'y aucune règle qui interdit à votre banque de vendre vos données MAIS ce n'est généralement pas leur modèle économique ET SURTOUT vous devez consentir à cela. Autrement dit, pour que vos données bancaires soient partagées, il faut que vous ayez signé un document qui dit que vous l'acceptez.   C'est l'article 6, de la RGPD qui le prévoit

Cet article s'applique à toutes les données, et pas seulement les données bancaires
Cet article s'applique à toutes les données, et pas seulement les données bancaires
- RGPD

Retenez enfin, que les banques ne sont pas les seuls à détenir des informations sur vos habitudes d'achats, les e-commerçants ont aussi beaucoup d'informations sur vous (si vous passez par eux bien sur). 

En France, les lois favorisent la réduction du cash 

Cet anonymat des espèces, c'est l'un des arguments récurrents pour réduire son utilisation. La France va beaucoup plus loin que ses voisins européens sur ce point.  Après les attentats de Charlie Hebdo, le paiement en espèce a été limité à 1000 euros en France, c'est 3000 en Belgique ou en Italie, 15 000 en Pologne, et dans 11 pays (Allemagne Luxembourg, Suède, Finlande) il n'y a aucun plafond pour le paiement en liquide. Aucun.   

Les plafonds de paiement en espèce en France et dans les autres pays de l'UE (fin 2019). Source Banque de France.
Les plafonds de paiement en espèce en France et dans les autres pays de l'UE (fin 2019). Source Banque de France.
- Banque de France

En revanche, les paiements en espèces entre particuliers qui n'agissent pas dans un cadre professionnel ne sont soumis à aucun plafond, mais un écrit prouvant le versement de la somme est vivement recommandé pour éviter tout litige, en particulier lorsque la somme versée dépasse 1 500 euros.

Avant 2015, la limite du paiement en espèce en France était de 3000 euros.  

La lutte contre le financement du terrorisme et la fraude fiscale n'est pas la seule raison invoquée pour réduire les plafonds de paiement en liquide. En 2014, la Direction Générale des finances publiques évoquait l'amélioration de la sécurité des usagers et de ces agents pour justifier le passage de 3000 à 300 euros du plafond des règlements en espèce dans les centre des impôts.   

La digitalisation de l'économie, et donc de nos moyens de paiement est une tendance majeure, Bercy l'accompagne, mais personne ne vous dira qu'il y a une volonté de réduire l'usage du liquide en France. 

Garantir la liberté de choix tout en s'adaptant aux nouveaux usages, c'est ce qui guiderait avant tout la stratégie adoptée par l'Etat Français et la Banque de France.   

En 2019, la Banque de France a publié un rapport qui dresse un état des lieux de l'accès du public aux espèces en France métropolitaine, et la France reste surdotée en distributeurs de billets, comparés à ces voisins. Leur nombre a diminué, mais il en reste 53 000, auxquels s'ajoute 23 000 commerçants et débits de tabac habilités à distribuer des espèces.      

Cette large couverture expliquerait d'ailleurs en partie que les Français et Françaises disposent de moins de liquide en poche que leurs voisins européens. 32 euros en moyenne. Seuls les Portugais ont moins.   

Combien de liquide avez-vous dans votre poche ? Question posée par la BCE lors de son étude parue en 2017
Combien de liquide avez-vous dans votre poche ? Question posée par la BCE lors de son étude parue en 2017
- BCE

Le cash, ça coûte cher aux banques... et aux commerçants

Si pour l'utilisateur, payer en espèce est gratuit (comme le dit Bruno Théret), pour les banques c'est un coût. La Fédération bancaire française ne donne pas aujourd'hui d'estimation, mais un rapport sur les moyens de paiement publié en 2012 estime à 2,6 milliards d'euros le coût annuel de la délivrance des espèces, notamment au travers des distributeurs automatiques.    

Le trajet d'un billet de banque, c'est complexe et couteux
Le trajet d'un billet de banque, c'est complexe et couteux
- Banque de France

A contrario, les cartes bancaires (qui sont payantes), rapportaient (toujours selon ce rapport de 2012) exactement la même somme : 2.6 milliards d'euros. Les virements et prélèvements : 700 millions d'euros.   

Économiquement, les banques ont donc tout intérêt à favoriser le développement des moyens de paiement scripturaux, mais ce n'est pas le message qu'elles font passer. Comme Bercy et la Banque de France, il s'agit de fournir aux Français les moyens de paiement dont ils ont besoin... quitte à les orienter un peu. D'où la délivrance gratuite et par défaut des cartes sans contact pour favoriser leur utilisation. Les banques font le forcing, jugeait alors l'une des antennes de Que Choisir. Depuis, le plafond pour le paiement sans contact en France est passé de 20 à 30 euros, et se développe maintenant, le paiement sans contact via le mobile.  

Selon une étude publiée cette semaine par Opinion Way pour Sumup (une fintech européenne), 24% des commerçants acceptent dorénavant le paiement via un smartphone.  

Infographie réalisée par Opinion Way d'après un sondage mené sur 1023 personnes pour le compte de Sumup.
Infographie réalisée par Opinion Way d'après un sondage mené sur 1023 personnes pour le compte de Sumup.
- Opinion Way

Autre argument en défaveur du liquide : moins de cash, c'est potentiellement moins de black, et c'est plus "smart" pour les nouvelles générations.

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Les espèces ? Anachroniques pour certains millénials

Paris New York est une chaîne de restaurant parisien créé par Rudy Guénaire et Graffi Rathamohan, deux anciens d'HEC. Depuis 2012, ils ont ouvert six établissements dans Paris, dont deux s'affirment "cashless" (sans cash).   

Rudy Guénaire et Graffi Rathamohan ont opté pour le "cashless" pour la facilité, la sécurité des salariés, la rapidité... et l'image de marque. Etre sans cash, c'est aussi être sans black
Rudy Guénaire et Graffi Rathamohan ont opté pour le "cashless" pour la facilité, la sécurité des salariés, la rapidité... et l'image de marque. Etre sans cash, c'est aussi être sans black
- PNY

Rudy Guenaire : "Les espèces nous semblent anachroniques"

3 min

On a voulu faire sans cash, parce que déjà c'est un signal fort. La restauration est connue pour faire beaucoup de black donc là en montre en acceptant pas le cash à nos clients qu'il n'y a de cash qui circule dans cette boite, que les salariés sont tous payés officiellement, qu'on ne sort pas d'argent de manière illégale. Ensuite, depuis qu'il y a le sans contact on peut faire des paiements beaucoup plus rapidement. Franchement quand il y a une table de 12 le midi, que tout le monde est pressé, le paiement en espèce c'est un enfer. Et ensuite c'est la sécurité du staff parce qu'ils se retrouvent à devoir amener des espèces importantes à la banque, et le trajet qu'ils font du restaurant à la banque, avec l'argent, cela les met en danger, il y a eu plusieurs cas d'agressions. Rudy Guénaire, PNY. 

Chaque restaurateur à sa méthode, raconte-t-il. Il y en a qui changent de parcours chaque jour entre leur restaurants et la banque pour ne pas être suivi, d'autres laissent un salarié ramener la caisse le soir à son domicile pour qu'il se rende lendemain à la banque. Avoir du liquide, ce n'est pas la panacée à l'entendre, et ce n'est pas gratuit pour le commerçant. 

Et ensuite du côté du commerçant, le cash coûte cher parce qu'on se fait cambrioler. Le cash coûte cher parce que le cash disparaît, et c'est malheureux mais quand il y a du cash, il y a toujours quelqu'un qui se sert, ce qui d'ailleurs met des salles ambiances dans les entreprises et peut créer des problèmes de management.  Pour le cash, on a des coffre-fort Brinks, ils sont dans les restaurants, et ça, ça nous coûte plus cher que la commission Carte Bleue.  Et les commissions CB, ça a toujours été l'argument des commerçants, je paye trop de commissions, ça c'est une vaste blague. L'argument qui est : je peux pas prendre la carte bleue en dessous de 15 euros car j'ai une commission fixe, ça c'est une joke (blague), toutes les commissions sont variables, il suffit d'appeler la banque, et ils font en variable direct, donc c'est absurde. Rudy Guénaire, co-fondateur de PNY.

Frein n°3 : impossible de refuser le paiement en liquide en France

Néanmoins, refuser le paiement en liquide est interdit par le code monétaire et financier français, et ces restaurants, bien que revendiqués "cashless", l'acceptent si besoin. Sachez cependant que l’article L. 112-5 du Code monétaire et financier dispose qu’en cas de paiement en billets et pièces, il appartient au débiteur de faire l'appoint. » A cette condition, un commerçant qui refuse un paiement en espèce est passible d'une amende de 150 euros en France. 

Ce n'est pas le cas dans tous les pays. Récemment la ville de New York a interdit aux commerces d'interdire le paiement en espèce, car c'était une discrimination envers ceux qui n'avaient plus accès aux cartes de paiement or 11% des ménages New Yorkais n'ont pas de compte en banque. 

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Frein n°4 : le contre exemple suédois

La Suède aussi a dû faire demi tour récemment. Dans ce pays, les commerçants ont le droit de refuser le paiement en espèce, et tout peut se payer via un système de paiement instantané par téléphone (Swich) : y compris la quête dans les églises, ou l'obole aux mendiants (qui eux aussi disposent parait-il d'un Swich number).    

En 2010, 40 % des achats dans le commerce se réglaient encore par cash En Suède, 15% en 2016. Mais cette éradication du liquide a laissé des personnes sur le bas côté : personnes âgées, handicapés, migrants. Tous les régulateurs bancaires et monétaires ont désormais cette expérience en tête et les discours sur une société sans cash ont perdu de la vigueur. 

Christophe Baud-Berthier : "Nous ne voyons pas à horizon visible de société sans espèce"

1 min

La Suède a été peut être le seul pays qui a eu vraiment une politique active d'éradiquer les espèces. Et c'est vrai que dans les usages, on a constaté une baisse vraiment très importante des espèces. Nous notons néanmoins qu'à la fin de l'année dernière, il y a eu un peu un coup d'arrêt puisqu'au contraire, cette fois, ils ont justement constaté les limites d'une société qui serait vraiment totalement sans espèce. Et désormais, il y a des obligations nouvelles qui pèsent sur les commerçants pour accepter pour certains achats, les espèces ou pour les banques de devoir fournir des billets à ceux qui le souhaiteraient. En France, parmi nos nombreuses activités, nous nous occupons aussi de l'inclusion bancaire et du surendettement des ménages. Effectivement, pour ces populations là, l'usage des espèces est quelque chose de primordial. D'où nous ne voyons pas à horizon visible, je dirais de société sans sans espèce. Christophe Baud Berthier, directeur des activités fiduciaires de la Banque de France.

Patrice Baubeau est historien de la monnaie. Il a notamment étudié la période pendant laquelle la France a connu deux monnaies, c'était à la fin du 19ème siècle. Monnaie des pauvres, monnaie des riches au 19ème siècle

Patrice Baubeau, historien de la monnaie.
Patrice Baubeau, historien de la monnaie.
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Ce qui ne change pas quand on étudie la monnaie, constate-t-il, c'est qu'elle est toujours considérée comme neutre, comme si chaque groupe sociaux en avait le même usage. L'idée d'une société sans cash fait selon lui également fi de cette dimension sociale. 

Patrice Baubeau : "Il y a un risque de voir les inégalités encore augmenter"

1 min

Aujourd'hui, en France, on est un peu protégé par le droit au compte, mais il n'est pas toujours facile à mettre en œuvre. Aux Etats-Unis, ce recours n'existe pas et on voit comment le développement des solutions "Cashless" est en train d'exclure une fraction non négligeable de la population de la possibilité de faire des transactions, de faire des achats. Dernièrement, la ville de New York a pris une mesure interdisant le "cashless" pour  éviter que les gens soient exclus. La fracture numérique, ce n'est pas juste une personne âgée qui ne peut pas accéder à sa déclaration d'impôts en ligne. C'est aussi le risque, qui me semble beaucoup plus grave, beaucoup plus quotidien pour une personne qui ne dispose pas des moyens numériques de pouvoir faire des transactions quotidiennes. Et ça pose des vrais problèmes. Ca risque de nourrir l'apparition d'un système monétaire parallèle, plus au moins au noir, en dessous, avec également un système de prix différent. Et ça, c'est quelque chose qu'on a vécu en France au 19ème siècle. En France, au 19ème siècle, on a eu deux qualités de monnaie très éloignées : une monnaie générale et une monnaie des pauvres. Mais cette monnaie des pauvres était associée à des prix plus élevés. Donc non seulement, les pauvres avaient une mauvaise monnaie, une monnaie qui n'était pas acceptée par tout le monde, mais quand ils pouvaient s'en servir, ils payaient plus cher. Le risque à ne pas prendre en compte ces échelles sociales de la monnaie et des utilisations monétaires, c'est d'alimenter les inégalités. Patrice Baubeau, historien.

Frein n°5 à la fin du cash : le bitcoin

Dans Vers la fin du cash ( article disponible ici), Patrice Baubeau écrit : "La disparition des espèces fait partie de ces mirages, anciens, qui reculent au fur et à mesure que l'observateur avance". Pourquoi ? Parce qu'à chaque époque, la définition de ce qu'est une espèce, évolue. 

A l'origine, les espèces sont "Self contained value", c'est-à-dire que l'instrument monétaire contient la contrepartie de la valeur pour laquelle cet instrument circule. On voit que le billet de banque devient une forme d'espèce à partir du moment où les gens commencent à le thésauriser, parce qu'il a finalement une valeur en soit à leurs yeux. Et ce mouvement de thésaurisation on l'observe pour la première fois pendant la guerre franco-prussienne de 1871, puis encore plus en 1914, et après cela ne s'arrête plus. En résumé, on peut dire que c'est entre 1870 et 1914, que le billet de banque, d'un instrument de paiement qui représente la vraie monnaie devient des espèces, c'est-à-dire un objet qui a une valeur en soit".

A l'origine, les espèces contenaient leur valeur en soit. Ici, un Napoléon en argent
A l'origine, les espèces contenaient leur valeur en soit. Ici, un Napoléon en argent
© Getty - Getty

Pour lui, le bitcoin a toutes les caractéristiques du cash, même si on ne peut pas le tenir dans la main .  

Patrice Baubeau : "Le bitcoin, c'est une nouvelle forme de cash"

1 min

Le bitcoin est la forme de cash la plus récemment inventée depuis le billet. Le billet est une invention du IXe siècle, c'est une  invention chinoise et depuis on n'avait rien inventé de nouveau. Le bitcoin est une forme de cash car vous ne pouvez pas l'utiliser deux fois au même moment. Comme sur un billet de banque, vous avez un numéro. Chaque bitcoin est caractérisé par un historique de transactions qui le rend unique et il peut servir à réaliser des transactions de personnes à personnes en garantissant l'anonymat entre deux personnes. Donc, il a des qualités spécifiques qui le rapprochent à certains égards du cash. Même si on ne peut pas le tenir dans la main. En fait, le cash au sens strict, c'est-à-dire les pièces d'or et d'argent, offraient une garantie, notamment à l'égard du pouvoir souverain. Cela permettait à un individu détenant cet or et cet argent, tant qu'il effectuait des transactions dans un espace monétaire qui avait la même conception monétaire (c'est à dire fondée sur l'or et l'argent) d'échapper, en partie au moins, au poids et à l'influence du souverain. Les monnaies modernes, qui sont des monnaies qui ne sont pas fondées sur une contrepartie en or et en argent, elles, donnent au souverain un pouvoir supplémentaire sur les citoyens. Pourquoi? Parce que la monnaie dont vous disposez, c'est une monnaie qui est fixée par le pouvoir souverain. Donc, vous êtes par exemple au Venezuela, vous avez un contrôle des changes, vous avez une monnaie qui s'effondre, vous êtes prisonnier. En fait, le gouvernement peut décider du jour au lendemain que vous avez le droit d'échanger votre monnaie vénézuélienne contre des dollars américains ou pas. On peut considérer que c'est légitime. On peut aussi considérer que c'est un moyen d'oppression par la valeur et par l'économie, et que c'est un moyen d'oppression ! Un instrument monétaire comme le bitcoin permet justement d'échapper à cette pression souveraine. Patrice Baubeau, historien de la monnaie. 

Patrice Baubeau raconte que les premières mesures de limitations du paiement en espèces ont été décidé pendant l'occupation, pour réduire le marché noir, et assécher les moyens d'agir de la résistance. L'argument de la lutte contre le terrorisme et les trafics n'est donc pas nouveau, et selon lui éloigné du vrai enjeu.   

On nous tanne un peu avec l'histoire que ces crypto currency favorisent les trafics d'armes, de drogue, d'êtres humains, etc. Je ne dis pas que c'est pas vrai, mais il me semble qu'en terme d'enjeux, c'est relativement anecdotique. Les deux enjeux fondamentaux sont l'exercice de la souveraineté économique de l'Etat et la légitimité de sa souveraineté économique dans un contexte où les individus ne sont pas contents. Et le deuxième élément, c'est l'anonymat, la protection de la vie privée.

Ces deux enjeux sont majeurs, comme le montrent les réactions très vives des Etats à Libra, le projet de monnaie Facebook. 

Ces Etats mettent leur souveraineté monétaire en avant, (notamment la France) pour considérer que le projet d'un acteur privé est illégitime, mais l'une des réponses envisagées, c'est la création d'une monnaie centrale numérique, ce qui posera aussi des questions par rapport aux libertés privées, l'anonymat, l'accessibilité . Une chose est sûre : on n'a pas fini de parler d'argent et de révolution monétaire dans les années qui viennent ! 

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