Tous les musées français n'ont pas rouvert avec la fin du confinement lié à la Covid-19. Pendant ces huit semaines, nombre d'entre eux ont gardé le lien avec le public en proposant des visites virtuelles ou des podcasts. Désormais, "petits" et grands musées réfléchissent à l'après-confinement.
En France, les musées n'ont pas échappé à la règle du confinement imposé en raison de la progression de la Covid-19. À ce jour, au total, on en compte 1 219 d'appellation " Musée de France", qui est "accordée aux musées appartenant à l’État, à une autre personne morale de droit public ou à une personne de droit privé à but non lucratif", selon le ministère de la Culture. Seuls les " petits musées" ont pu rouvrir le 11 mai dernier, ceux "dont la fréquentation habituelle est essentiellement locale et dont la réouverture n'est pas susceptible de provoquer des déplacements significatifs de population", selon le décret du Premier ministre.
Dès le début du confinement, ces antres culturels se sont rapidement emparé des outils numériques pour proposer des visites virtuelles ou encore des podcasts sur des expositions pour conserver leur relation avec le public. Pour beaucoup de musées, cette période a servi de rampe de lancement pour engager de nouvelles formes de médiation culturelle.
S'adapter aux mesures sanitaires
Dans le quartier historique des Chartrons, en plein coeur de Bordeaux, le Musée du Vin et du Négoce a pu rouvrir sous décision préfectorale ce mercredi 20 mai. Ici, les visiteurs se promènent habituellement dans les caves du musée sans guide. À la fin, ils ont généralement droit à une dégustation, censée conclure en beauté la visite. À l'image des commerces qui ont dû s'organiser pour leur réouverture, ce musée a dû instaurer une signalétique pour imposer un sens de visite, des barrières pour délimiter ce sens et mettre en place des visites guidées. "Ce sont des visites de 30 minutes pour que la jauge du musée ne soit jamais dépassée et qu'il n'y ait pas trop de personnes au même endroit. En ce qui concerne la dégustation, on fait mettre des gants au moment de servir le vin et aussi pour apporter le cannelé que nous offrons avec. On a donc dû s'équiper car pour chaque dégustation, on a besoin de trois paires de gants", détaille Grégory Pécastaing, le fondateur du Musée du Vin et du Négoce.
Quand nous sommes allés dans son musée, Grégory Pécastaing attendait encore l'autorisation de la préfète de Gironde sans avoir eu beaucoup d'indications pour la réouverture. À Lyon, le Musée des Confluences se trouve dans la même incertitude, le même "flou", avoue Cédric Lesec, directeur des relations extérieures et de la diffusion. L'établissement table sur une réouverture le 2 juin prochain "au regard du contexte sanitaire et sous réserve de l’autorisation des autorités compétentes", précise-t-il dans un communiqué. Dans ce document, le musée s'appuie sur les rares indications du ministère de la Culture concernant la réouverture. La jauge sera largement revue à la baisse : 300 personnes pourront visiter le musée lyonnais en même temps contre 3 000 avant la crise de la Covid-19. Voici quelques-unes des dispositions prises par l'établissement pour le 2 juin :
Privilégier la réservation de billets sur internet par tranche de 3h sur les horaires habituels du musée, de 11h à 19h. Réduire les formats de médiations, gratuites et sans réservation, à 5 visiteurs en 15 minutes. Mise à disposition d’une signalétique spécifique Covid-19 rappelant les consignes sanitaires, d’hygiène et de distanciation sociale à chacun. Mise à distance des objets à toucher et des audiovisuels à manipuler - Musée des Confluences de Lyon
Par cette dernière phrase, il faut comprendre que les objets de médiation culturelle pourraient être consignés car, manipulés par de nombreuses mains, ils peuvent véhiculer le virus. Guillaume Ducongé est le directeur de la société Audiovisit qui a fourni près de 250 supports à différents établissements comme le Musée Picasso ou le Musée de l'Armée, tous deux sis à Paris. Il estime que 80% de ceux qu'il réalise sont des audioguides classiques mais son entreprise conçoit également des applications, depuis bien des années, pour dématérialiser les explications contenues dans les audioguides :
Guillaume Ducongé : "Il y a des analyses très différentes car certains musées souhaitent retirer les audioguides alors que certains guides sont en demande pour s'équiper pour leurs groupes."
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Savoir se réinventer sur le web
En partageant des vidéos explicatives, podcasts, ou des visites virtuelles sur leur site mais aussi sur Google Arts & Culture, les musées ont pris le bon virage dans ce confinement. À travers certains hashtags comme #ConfinementMuséeURL, ces établissements ont pu mettre en valeur leurs diverses créations. La semaine du musée ( #MuseumWeek sur Twitter) qui se déroule habituellement vers le milieu du mois de mai, a permis aux musées de prolonger leur hyperactivité sur les réseaux sociaux et sur leur site web.
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Pour le muséologue Serge Chaumier, il faut que les établissements aient une stratégie numérique qui dépasse la simple exposition d'oeuvres. Il a d'ailleurs conçu une plateforme qui recense les innovations en terme de médiation culturelle. Alors qu'en France, les premières expériences musicographiques immersives remontent à la fin des années 1980, les musées doivent, selon lui, mettre en œuvre une interaction encore plus forte avec ses publics en ligne :
On est de plus en plus dans des musées qui mettent en avant le participatif et le collaboratif et où les publics veulent être plus investis en prenant la parole mais aussi en agissant. Cette tendance forte monte depuis une quinzaine d'années. Cela dénote d'une nouvelle fonction de l'institution : des lieux de sociabilité où l'on se trouve davantage dans l'expérience, la mise en création. Cette crise fait apparaître que les musées doivent faire quelque chose des collections qu'ils ont en réserve. Ce qui est intéressant c'est comment on les partage, ce qu'on fait vivre aux personnes, ce qu'ils peuvent en dire, comment ils se les approprient, etc.
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Tout cela demande une véritable politique numérique avec un budget alloué en conséquence. Il existe peu de données à ce sujet-là car les musées français ne communiquent pas spécialement sur cela. Pourtant, le Tate, Musée d'art moderne et contemporain de Londres, investit entre 1% et 5% de son budget selon les années, d'après Les Échos. Omer Pesquer déplore le manque d'ambition des établissements français dans ce secteur. Il est consultant en numérique dans les enseignes culturelles :
Omer Pesquer : "En France, les projets numériques restent dans des cadres budgétaires assez restreints contraient aux pays anglo-saxons."
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Comme le soulignait Serge Chaumier, le musée a une fonction sociale, car il met en relation les personnes. De fait, tout l'enjeu pour les musées était donc de ne pas se couper de leur public, d'entretenir les liens. D'abord avec ces créations mises en ligne (visites virtuelles, podcasts, etc.) mais aussi en encourageant la participation avec, notamment, le #Curatorbattle ou encore le #GettyMuseumChallenge. Ce dernier, parmi les nombreux défis présents sur Twitter, invite les internautes à reproduire des tableaux avec les moyens du bord.
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Le confinement a aussi permis aux musées de renouer le lien avec un public plus local. La définition affichée par le Premier ministre des "petits musées" fait d'ailleurs intervenir cette notion. Au Musée du Vin et du Négoce de Bordeaux, Grégory Pécastaing indique que "sur les 32 000 visiteurs annuels, près de 90% sont des étrangers". Il poursuit : "On s'est recentré sur les Bordelais alors que ce n'était pas du tout notre cible initiale. On s'est aperçu qu'ils ne connaissent pas forcément bien l'histoire de Bordeaux et celle du vin." Cédric Lesec, du Musée des Confluences de Lyon va plus loin dans l'analyse car selon lui, "le numérique est périphérique dans ce que nous proposons. L'essentiel se passe dans le musée."
La question du modèle économique
Pour ces musées, il faut aussi compter les pertes engendrées par le confinement. Huit longues semaines à attendre sans visiteurs, ni activité. Pour l'établissement privé de Grégory Pécastaing, cela va coûter autour de 45 000 euros, "que [j'ai] pu combler grâce à [mon] activité car [je] suis aussi négociant en vin", note le bordelais. Pour des musées plus importants comme le Centre Pompidou à Paris, le manque à gagner sur la billetterie représente 1,2 million d'euros.
Plus largement, c'est la question du financement des musées qui est au coeur du débat, l'équilibre entre les subventions publiques et les ressources générées par chaque musée. Dans le cas du Musée des Confluences de Lyon, 70% du total provient des subventions de la métropole de Lyon sur un budget annuel de 13,8 millions d'euros. Cédric Lesec fait le détail : "Nous avons un modèle assez particulier car, a contrario d'un certain nombre de musées qui dépendent presque entièrement de leur tutelle (collectivité territoriale ou État), on génère une part non-négligeable de notre budget. Cela provient en grande partie de la billetterie mais aussi des privatisations de salles, des fonds de dotation, de la boutique ou encore de la restauration." À titre de comparaison, le MuCEM de Marseille reçoit près de 78% de subventions publiques de son budget global publié en 2018.
Ces propos entrent pourtant difficilement en résonance avec ceux exprimés en 2011 par Hervé Barbaret, administrateur général de l'établissement public du musée du Louvre à cette époque :
Le tournant dans l’évolution du budget du musée se situe vers 1990, au moment du changement de statut. À cette époque, l’équilibre financier reposait sur deux piliers : la subvention publique à 75 % et la billetterie à 25 %, pour des budgets d’ensemble assez limités, de 60 à 80 millions. Aujourd’hui, le budget a plus que doublé, et l’investissement de l’État n’en représente plus que la moitié. - Hervé Barbaret
Autant dire que la question de la gratuité est loin d'être envisageable pour ce musée dont, on l'a vu, le modèle économique repose en grande partie sur ses recettes propres. Pourtant, Cédric Lesec avance un autre argument pour réfuter cette possibilité :
Cédric Lesec : "La gratuité n'est pas un gage de faire venir de nouveaux publics comme les plus défavorisés. Ça favorisera toujours les mêmes : ceux qui ont l'habitude de fréquenter le musée."
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Céline Chanas rétorque que la gratuité est peut-être ce qui peut sauver les musées. Elle est directrice de la Fédération des écomusées et musées de société (FEMS) et directrice du Musée de Bretagne situé à Rennes :
Céline Chanas : "Les musées qui vont peut-être le mieux s'en sortir sont ceux dont les collectivités ont déjà fait le choix de la gratuité."
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Selon Serge Chaumier, la réflexion doit se poursuivre vers l'extension du tourisme depuis plusieurs décennies qui a installé le modèle payant des musées :
Serge Chaumier : "Les lieux sont devenus payants et de plus en plus chers au fur et à mesure du développement du tourisme."
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Quel musée de demain ?
Mardi 19 mai, Céline Chanas a réuni des acteurs qui gravitent autour de la sphère muséale pour créer un cercle de rencontre et d'échanges, nommé MuseoCovid, autour de l'impact du confinement sur les musées. Elle propose des solutions "hors les murs" pour attirer de nouveau le public :
Céline Chanas estime qu'il faut repenser les pratiques muséales à la lumière des mesures sanitaires. Elle propose, entre autres, des balades urbaines sous la forme de discussion improvisée.
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Le consultant numérique Omer Pesquer pense que le numérique, et le prolongement des relations avec les visiteurs, permettent de diversifier l'offre culturelle des musées :
Omer Pesquer : "Concernant le continuum de visite (l'avant, pendant et après), l'après permet de faire des choses complémentaires et on voit bien qu'on peut avoir des relations commerciales plus étendues."
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Alors que certains musées ont déjà pour projet de créer autour de notre expérience commune du confinement, pour le muséologue Serge Chaumier, la crise de la Covid-19 doit amener les structures à repenser les thèmes des expositions en fonction des questions de société :
Pour Serge Chaumier, les musées vont avoir un vrai rôle d'information sur les grands enjeux de notre société comme la question environnementale.
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Tout l'enjeu est donc de se réinventer pour ne pas périr des effets post-confinement. Certains ne résisteront pas à cette fermeture de plusieurs semaines selon deux études menées par l'ICOM (Conseil international des musées) et l'Unesco qui avancent que 13% des musées dans le monde pourraient ne jamais rouvrir.
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