- Peter Szendy professeur en littérature comparée et en humanité à l'Université de Brown aux Etats-Unis, conseiller auprès de la Philharmonie de Paris
La Musica : on a tous en tête un air de musique qui nous obsède les mauvais jours comme les bons jours. Pourquoi cette musique est-elle entêtante ? Pourquoi en a-t-on besoin ? Pourquoi est-elle, à sa manière, notre marque de fabrique, notre singularité ? Depuis quand la musique est-elle dans nos têtes et dans nos cœurs ? Que fait-on de la musique ? Avec la musique ? Toute cette semaine, Hors-Champs propose sous le nom de « La Musica », allusion explicite au merveilleux texte de Duras, un voyage philosophique et initiatique au pays de toutes les musiques, en hommage à celles et ceux qui sont morts un soir de novembre pour avoir désiré écouter de la musique. (Laure Adler)

Les premières écoutes sont moins celles de musique que des écoutes de sons, de mots. « La dénomination ‘musique’ apporte avec elle tout un appareil conceptuel. » Ecouter de la musique suppose ainsi des attitudes spécifiques de l’auditeur. « Dès qu’il s’agit d’écouter la musique comme musique, cela implique des comportements d’écoute, et pas une écoute première et indifférenciée. »
Quand on écoute, on n’est jamais seul, même si l’on est physiquement seul, « car il y a toujours de l’autre en moi à qui j’adresse mon écoute. » L’écoute doit être comprise comme un face à face entre moi et la musique « mais aussi avec un ‘toi’, quelqu’un qui me fait écouter. Mon écoute est enregistrée par mon phonographe intérieur : je vais immédiatement transformer ce flux en une mémoire immédiate. »
On se construit tous des univers d’écoute. Il y a des situations « d’écoute publique » , comme le concert par exemple, dans lequel chaque spectateur s’isole aussi. « A partir de cette bulle jaillit toujours quelque chose de l’ordre d’un partage. » Ce rapport entre mon écoute et la transmission de mon écoute à l’autre, Peter Szendy le développe dans son ouvrage Ecoute : une histoire de nos oreilles (Minuit, 2001) :

« Peut-on * faire écouter une écoute ? Puis-je transmettre * mon* écoute, si singulière ? Cela paraît tellement improbable, et pourtant si désirable, si nécessaire aussi. Car j’imagine que cet irrépressible désir, ce n’est pas seulement mon désir de simple auditeur […]. Que puis-je donc faire pour faire écouter cette écoute, la mienne ? Je peux répéter, je peux rejouer quelques mesures en boucle, et je peux dire, redire ce que j’entends. Parfois, j’y arrive. Parfois, tu m’écoutes écouter. Je t’entends qui m’écoute écouter. Mais c’est si rare. »*
On croit que la musique rassemble tout le monde alors que la musique est sans doute ce qui divise le plus, explique Peter Szendy, car ce qu’on écoute dit beaucoup sur notre identité.
Et puis, nous avons tous des hymnes intimes, des petits chants, des hymnes intérieurs, « qui deviennent une sorte d’accompagnement, de bande-son de notre vie qui nous anime et nous encourage. » On a parfois même des airs entêtants, dont on ne parvient pas à se débarrasser, comme le musicologue l'explique dans son Tubes : la philosophie dans le juke-box (Minuit, 2008) :
« Vous avez tous, comme moi, j’en suis sûr, été hantés, obsédés jusqu’à la nausée, possédés jusqu’à n’en plus pouvoir par un de ces airs * comme ça, une de ces chansons que l’on entend par hasard, c’est-à-dire par nécessité, à la radio, au café, au supermarché : un de ces * tubes* qui dès lors ne nous lâchent plus […]. On peut les aimer ou les haïr : on peut les réentendre bien des années après et être happés par un flot d’émotion nostalgique qui nous emporte vers le passé comme si on y était on peut au contraire tenter de se défendre de toutes ses forces contre ce parasite musical qui se permet de se saisir de nous... Rien n’y fait, il y a là une sorte de virus qui nous gagne : ce que certains appellent des * vers d’oreille*… »*
Extraits sonores :
- Extrait de la cérémonie d'hommage national aux victimes des attentats du 13 novembre, 27 novembre 2015, Paris (extrait du discours du Président de la République François Hollande, et chanson "Quand on a que l'amour" de Jacques Brel, interprétée par Camelia Jordana, Nolwenn Leroy et Yael Naim)
- "Paroles paroles", interprétée par Dalida et Alain Delon, 1973
- "Mélodie interdite", écrite et composée par Serge Gainsbourg, interprété par Jane Birkin, extrait de son album Ex-Fan des Sixties , 1978
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Un peu de musique ? Musique et politique ne font pas toujours bon ménage. Au cours de l'entretien, Peter Szendy évoquele cas des chansons censurées, qu'on "évitait" de passer en radio à cause de paroles jugées subversives, comme ce fut le cas pour la chanson de Boris Vian, "Le Déserteur" (1954), dont nous vous proposons ici d'écouter la version interprétée par Serge Reggiani pour l'émission Spectacles de Paris (sur France Inter) enregistrée le 14 décembre 1966 et jamais diffusée...
"Le Déserteur" de Boris Vian, interprété par Serge Reggiani en 1966
2 min
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Hors-Champs - LA MUSICA
#1 : Peter Szendy
#2 : Peter Szendy et Grand Corps Malade
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