Naomi Kawase : "'Still the Water' est ma contribution à un espoir désespéré de sauver le monde"

La réalisatrice Naomi Kawase au Festival de Cannes, en 2011.
La réalisatrice Naomi Kawase au Festival de Cannes, en 2011. ©AFP - VALERY HACHE
La réalisatrice Naomi Kawase au Festival de Cannes, en 2011. ©AFP - VALERY HACHE
La réalisatrice Naomi Kawase au Festival de Cannes, en 2011. ©AFP - VALERY HACHE
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"Suzaku", "Shara", "La Forêt de Mogari", "Still the Water"... La réalisatrice japonaise multiplie ses apparitions dans les grands festivals internationaux du cinéma, notamment à Cannes où elle reçut un Grand Prix et une Caméra d'or. Naomi Kawase est l'invitée de Laure Adler.

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Dans sa jeunesse, Naomi Kawase a abandonné le basket pour le cinéma, l'un ne permettant pas de poursuivre une carrière pendant toute sa vie.

Le travail de la réalisatrice est à l'image d'une nouvelle génération du cinéma japonais, expérimental, formaliste, qui se joue de tous les supports cinématographiques. Elle se penche également du côté de l'introspection à travers un chantier documentaire autobiographique audacieux.

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Naomi Kawase est remarquée en France dès la sortie de son premier film, Suzaku, Caméra d'or au Festival de Cannes de 1997. Ce long-métrage s'ouvre sur un plan panoramique d'une forêt immense, forêt que l'on retrouvera omniprésente dans nombre de ses films, comme un personnage à part entière. En effet, dans le sillage d'une tradition ancestrale japonaise de vénération de la nature, la cinéaste mobilise beaucoup ce thème et lui rend hommage dans plusieurs de ses productions : 

La nature a toujours été très proche de moi. J'ai vécu dans un environnement où la nature était très présente. Quand j'étais petite, j'ai vécu une enfance très différente de l'enfance actuelle des jeunes Japonais, qui jouent, à la maison, à des jeux vidéos sur console etc. Je ne connaissais pas ça du tout, moi j'allais dans la rivière, en expédition dans la forêt... J'allais toucher les arbres, j'aimais beaucoup aller me promener, j'étais très proche de la nature. Naomi Kawase 

Du contact avec la nature, la réalisatrice embrasse à la fois son côté apaisant et son côté menaçant : "La forêt, c'est quelque chose d'absolu, comme un dieu. C'est quelque chose qui nous force à comprendre, à réfléchir à notre condition humaine de manière réaliste. Car nous les humains, nous avons l'impression que nous pouvons tout acheter avec de l'argent : et bien non, la nature, on ne peut pas l'acheter."

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Pour un progrès sensible du vivre ensemble

Suzaku met en place un procédé que Naomi Kawase réutilisera plusieurs fois : une double temporalité. Et au-delà de celui de la nature, ce premier film fait également appel aux thèmes de la perte, de l'absence, du progrès. 

Pour être couronné de succès, je crois que le progrès doit être non seulement économique et matériel, mais il doit aussi être un progrès dans le cœur et l'évolution des sentiments. Il doit être mené de front. Au Japon nous avons actuellement 30 000 suicides annuels : ce progrès qu'on vante tellement dans ce pays est purement économique, et pas sensible. Naomi Kawase

Pour la cinéaste, la course au progrès conduit à une rupture du lien social, puis à l'oubli de soi-même : "Il est peut-être temps de tirer la sonnette d'alarme et de se rendre compte qu'il ne faut pas oublier de progresser aussi humainement, et pas seulement économiquement."

Dans Shara (2003), Naomi Kawase montre un homme qui voit son frère jumeau disparaître. Elle poursuit sa plaidoirie pour le vivre ensemble, en créant un cheminement intérieur cinématographique, un voyage vers la reconstruction malgré la perte et l'absence, aussi terribles puissent-elles être. Du cinéma porteur d'un message d'espoir.

Son cinéma est aussi un plaidoyer pour le mariage entre tradition et modernité : 

Au Japon, on a été tellement fasciné par l'introduction de la culture occidentale qu'on a eu tendance à oublier notre propre tradition. Je crois qu'il nous faudrait une espèce de rappel : il ne faut pas oublier les traditions de notre pays et la qualité des relations humaines qu'il y avait avant l'introduction des valeurs occidentales, plus individualistes. Je ne crois pas qu'il faille privilégier l'une ou l'autre tendance, mais plutôt essayer de marier le plus intimement possible ces deux façons d'être au monde. Naomi Kawase

Elle nous raconte d'ailleurs comment elle a filmé son propre accouchement, qui s'est traditionnellement tenu avec sa famille, et s'est déroulé comme dans son film Shara.

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Le cinéma comme contribution à l'espoir désespéré de sauver le monde

Le plus souvent, Naomi Kawase travaille avec des acteurs non-professionnels : "Je ne veux absolument pas que les acteurs jouent quoique ce soit." Elle raconte comment elle a permis aux acteurs non-professionnels de La Forêt de Mogari de s'habituer à la présence de la caméra en vivant avec eux pendant une semaine. 

Elle évoque son dernier film Still the water. La nature y est encore omniprésente, tout comme le deuil. On y retrouve aussi la figure de la mère, le lien entre les générations. La mort de sa mère adoptive jouera un grand rôle dans ce projet ; montrer ce qu'elle lui a enseigné : "reconnaître les différences et les aimer autant que les ressemblances. C'est cet amour qui englobe tout que je veux transmettre par ce film."

Les mères, tout en étant autre que leur enfant, sont toujours prêtes à lui donner quelque chose, à le rassurer pour qu'il prenne leur place sur Terre. Naomi Kawase

Sur l'île d'Amami, où se passe Still the Water, la réalisatrice s'est retrouvée en elle-même : "J'ai découvert avec stupéfaction que tout ce qui faisait mes films, toute la subjectivité, je retrouvais cela à Amami. C'était écrit en moi."

J'ai découvert que ces liens avec les mourants étaient quelque chose de très précieux qui méritait d'être connu à l'extérieur de l'île, d'être reconnu par tous. C'est peut-être une façon de sauver l'humanité, parce que ça permet de redécouvrir ces forts liens d'une communauté. Et c'est aussi pour ça que j'ai fait le film "Still the Water" : c'est peut-être ma contribution à un espoir désespéré de sauver le monde. Naomi Kawase

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