RELIRE (1/5) : Laure Murat

France Culture
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Avec
  • Laure Murat Essayiste et professeur à UCLA (Université de Californie - Los Angeles)

Relire : Quoi de plus jouissif que de lire en cette période bénie des ** vacances o ù ** l'on peut suspendre le temps, interrompre le brouhaha et être dans un tutoiement avec soi, dans cette activité silencieuse qui nous ressource et quelquefois nous permet de faire le point ? Mais que signifie relire ? Revenir sur notre propre passé ? Mieux comprendre ? Vérifier nos admirations ? Ou poser un rendez-vous assez mystérieux avec un fragment de nous-mêmes mal élucidé ? Que recherche-t-on ? Que relit-on ? Pourquoi existe-t-il des œuvres inépuisables, inachevables, inentamables, qui résistent à toutes les relectures ? (Laure Adler)

Laure Murat : "Proust a conçu 'La Recherche du temps perdu' comme une invitation à la relecture"
Laure Murat : "Proust a conçu 'La Recherche du temps perdu' comme une invitation à la relecture"

Tout le monde a relu une fois dans sa vie sans se poser vraiment la question de ce qu’est la relecture. *« Ce sont des sujets que l’on croit connaître. » * Bien sûr, nous explique Laure Murat, certains se sont interrogés sur la lecture comme Barthes, ou sur la répétition en général comme Kierkegaard ou Deleuze. « Mais ce sujet précis de la relecture pose la question de la différence entre lecture et relecture. Cela montre les façons particulières qu’ont les gens de lire. On n’avait pas encore vraiment l’expérience des gens. »

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La relecture a donc sans doute quelque chose à voir avec la mémoire : *« on peut relire avec l’impression de n’avoir jamais lu. » * On peut aussi avoir l’impression qu’on avait déjà lu un texte alors qu’en le lisant, on se rend compte que ce n’est pas le cas. « Bien lire, c’est se sentir dans un accord avec le texte, comprendre les effets presque physiquement. » Laure Murat cite Borges qui disait que relire n’existe pas, qu’un texte se renouvelle à chaque fois qu’on le relit. Gide, lui, disait « Je n’écris que pour être relu ».

Pour comprendre l’essence de la relecture, poursuit Laure Murat, on peut penser au théâtre. « Si on va voir trois fois de suite la même pièce, on ne voit pas la même chose. Le texte fixe a un pouvoir analogue. En fait, en relisant, on n’est jamais la même personne. » Elle prend l’exemple des copistes au Moyen Âge qui introduisaient des erreurs, produisant des copies qui pouvaient donc varier. *« Le texte est d’abord une matière vivante. Relire, c’est accumuler les couches, on grandit au fil de nos lectures. » *

Laure Murat
Laure Murat
© Radio France - Corinne Amar

Par exemple, on relit Proust pour cette analyse de la perception du monde qu’il nous propose. « Proust trouve la formule magique de ce que l’on a ressenti un jour dans sa vie. Il y a un phénomène d’identification parfaite. » Proust a conçu *A la recherche du temps perdu * comme une invitation à la relecture, explique Laure Murat. « A la fin de ce grand cycle de sept volumes, il se dit ‘je vais commencer à écrire mon livre’ et donc nous renvoie au début. Le début est la fin, et la fin est le début. » Mais La Recherche peut être comme une sorte de forteresse dans l’esprit des gens. « C’est un livre qui fait peur, un livre ‘illisible’. Mais on ne le relit jamais avec la même expérience. »

*« N’importe quel grand texte est très difficile à comprendre. » * Il y a une forme d’intimidation : certaines œuvres, *« parce qu’elles sont précédées de beaucoup de commentaires peuvent intimider beaucoup. » * La lecture est donc une opération complexe pour n’importe qui, estime Laure Murat, y compris pour les universitaires. *« Dans les archives, quand vous tombez sur un texte à la graphie incompréhensible, vous lisez une première fois, vous ne comprenez rien, et vous finissez par déchiffrez le texte au bout d’un certain temps. » * Une lecture, c’est la même chose. « A force de relire, on se rend compte de la profondeur - ou pas - du texte et de son développement. C’est la clé… »

Extraits sonores :

  • Georges Perec dans Radioscopie de Jacques Chancel, 22 septembre 1978, France Inter suivi d’un extrait de Je me souviens (Hachette, 1978) de Georges Perec lu par l’auteur lui-même
  • Patrick Modiano dans Esprit critique de Vincent Josse, 5 octobre 2007, France Inter

Quelques lignes à (re)lire...
« La répétition, dont le pouvoir de griserie s’incarne si bien dans la musique (qui n’a pas cédé au désir de repasser indéfiniment le même disque ?), excite et enivre, elle est aussi source de connaissance. Chez le petit enfant qui se familiarise avec son corps, dont l’interaction avec le monde passe par la réitération des mêmes gestes, chez l’élève ou l’étudiant qui rabâche – et relit. Mon travail régulier dans les archives (littéraires, psychiatriques) m’a montré qu’un motif qui se répète révèle toujours, ou pour le moins signale, un trait majeur, voire une signification d’ensemble. […] A priori , la relecture appartient à la répétition. Mais dans quelle mesure précisément ? »

Laure Murat, Relire. Enquête sur une passion littéraire , Flammarion, 2015

Hors-Champs - RELIRE

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