C'est Joël Pommerat, dramaturge et metteur en scène, qui s'installe aujourd'hui au micro de Hors-Champs pour nous parler à son tour de son rapport à la relecture. Partageant avec nous les textes qui l'ont marqué, nous reviendrons avec lui sur le pouvoir qu'a la lecture de nous bouleverser, de nous séduire, de nous effrayer...

Depuis petit, Joël Pommerat aime lire. Il parvenait parfois à convaincre sa mère qu’il souffrait d’un léger rhume pour pouvoir rester à la maison et lire. « Je pensais que lire pouvait apporter autant de profit qu’une journée de classe. » * Que veut dire relire ? « Ça a plein de significations possibles pour moi. » * Par exemple, explique le metteur en scène, cela peut être reprendre les livres qui nous ont marqués un jour et se rendre compte qu’on est quasiment face à un nouveau livre, « qu’on est en face de nouvelles émotions, de nouvelles significations. L’acte de lecture est un acte de création, associé à l’acte de création de l’écrivain. »
Avec un texte, on peut aussi avoir un rapport d’amitié qui peut se prolonger toute une vie. « J’ai l’impression qu’un livre comme * A la recherche du temps perdu est une œuvre qu’on reprend en sachant qu’on en a oublié des morceaux. » * Sa lecture du chef-d’œuvre de Proust, Joël Pommerat l’a interrompue des dizaines de fois, reprise souvent, il est allé aux cinquante dernières pages sans avoir nécessairement lu les cinquante précédentes. « Ce n’est pas très grave finalement quand on tombe amoureux de cette atmosphère-là. Pour un tel livre, on se doute qu’un nouveau rendez-vous va avoir lieu. C’est un livre qui peut nous fasciner tout en ayant l’impression qu’il est étranger à nous. »

La plupart du temps, Joël Pommerat tombe sur les livres au hasard. *« Très souvent, je me suis retrouvé face à des livres qui n’étaient pas les miens, des auteurs que je n’aurais sans doute pas rencontrés autrement. » * Mais il n’entretient pas de rapport très fort avec l’objet-livre. « Mon rapport au livre n’est pas matériel, je n’ai pas de bibliothèque, je n’ai pas de rapport amoureux ou fétichiste au livre. »
Mais le livre peut aussi être quelque chose de dangereux, capable de nous rendre extrêmement fragiles. Joël Pommerat cite un livre qui l’a empêché de dormir pendant plusieurs jours : Les Récits de la Kolyma de Chalamov. « J’avais des vertiges sans explications, tels que je n’arrivais pas à me lever. » Autre livre marquant pour le metteur en scène : *La Route * de Cormac McCarthy. « Ce livre est terrifiant bien que fictionnel car il n’y a quasiment pas d’humanité explicite dans les 300 pages de ce livre. C’est un livre qui m’a fait pleurer à voix haute, c’est un livre précieux pour moi qui convoque des émotions liées à une compréhension de ce qu’est l’humanité. »
Dans son propre travail, Joël Pommerat travaille aussi à partir d’histoires qui se sont transmises à travers les siècles : les contes. « C’est une trame qui s’est transmise de conteur à conteur, d’individu à individu. Dans mon rapport à ces histoires, j’ai commencé à les réécrire avant de les relire. Je veux les retransmettre sans le souci de fidélité. » Perrault et Grimm, explique le dramaturge, n’ont fait que fixer des récits qui circulaient bien avant qu’ils ne soient mis sur une page. Il ne les a donc pas beaucoup relus pour créer ses spectacles. « Ces histoires sont d’avantage mues par le désir de faire sortir quelque chose qui habite à l’intérieur, qui produit de l’imaginaire et du plaisir, mais qui peut aussi être encombrant. On transmet ces contes pour s’en débarrasser un peu, pour faire le vide en soi… »
Quelques lignes à (re)lire...
« On nous fit mettre en rangs et on nous emmena le long d'une route bourbeuse d'avril. Les pieds des soldats d'escorte pataugeaient gaillardement dans les flaques. On ne nous permettait pas de rompre les rangs dans l'enceinte de la ville: personne ne contournait les flaques. Nos pieds étaient trempés, mais personne n'y prêtait attention : nous ne craignions pas de prendre froid. Cela nous était déjà arrivé des milliers de fois et, en outre, ce qui pouvait nous arriver de pire - une congestion pulmonaire, par exemple - ne ferait que nous mener à l'hôpital tant désiré. Dans les rangs, des chuchotements hachés disaient: ‘On va à l'usine de pain, t'entends, à l'usine de pain !’ »
Varlam Chalamov, Récits de la Kolyma , 1954-1973, Editions Verdier, 2003 (traduction du russe de Sophie Benech, Catherine Fournier et Luba Jurgenson)
Hors-Champs - RELIRE
/3 : Joël Pommerat
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