

Quatrième volet d'une série de cinq émisions consacrées à la relecture. Laure Adler reçoit aujourd'hui Philippe Sollers, écrivain, pour parler de son rapport à la lecture et de nous livrer son expérience de (re)lecture.
- Philippe Sollers Écrivain français
Pour Philippe Sollers, *« lire, c’est forcément relire parce que nous sommes dans une crise de la lecture tellement dramatique : Julia Kristeva m’a raconté un jour qu’il y a de plus en plus de patients qui se plaignent de ne plus pouvoir retenir les paragraphes et les textes qu’ils sont en train de lire. » * Ainsi, Philippe Sollers estime que nous nous devons d’exercer notre mémoire, qui *« est un muscle qu’il faut entraîner constamment » * au risque qu’il s’affaisse, s’affaiblisse. « Cette perte du sens de la lecture me paraît réelle aujourd’hui. »
Pourtant, il est possible que malgré l’empreinte que laisse chaque texte dans notre mémoire, la relecture nous permette au texte de se révéler sous un nouveau jour. Ainsi, chaque fois que Philippe Sollers relit la « liste de Lautréamont de ce qui est à rejeter radicalement dans la littérature » , il se rend compte qu’il n’a pas pu tout retenir : *« je pense qu’on ne peut pas l’apprendre par cœur, c’est un défi à la mémoire. » * Quand il a lu ses textes fétiches pour la première fois, il a ressenti cet éblouissement que l’on peut ressentir à la première lecture. « Je m’enferme avec ce qui me paraît être la vérité même. »
Autre texte que Philippe Sollers cite parmi son panthéon : les *Illuminations * de Rimbaud qu’il peut relire sans cesse, *« un texte que j’ai lu cent fois, et que j’ai l’impression de relire toujours pour la première fois. » * C’est le grand mystère de la poésie, pour Philippe Sollers, *« c’est-à-dire de l’écriture qui est quelque chose d’autre que du bavardage inutile. » * Mais si le texte est sacré, pour l’écrivain, l’objet-livre l’est aussi, ne supportant pas que l’on annote des ouvrages (même des livres de poche) ou que l’on corne les pages.
« Le temps est touché et tout cela provoque des lésions très profondes. » Philippe Sollers estime que parfois le rôle de l'écrivain peut être d'anticiper ce qui va se produire et d'alerter. *« Mais il faut rester froid, d’autant que l'ironie n'est plus comprise aujourd’hui. Le monde de la littérature s'est éloigné de celui de la philosophie, mais tant pis. * »
« Lire, c’est relire pour se prouver qu’on lit toujours pour la première fois » , poursuit-il.On peut aussi relire en recopiant, ou en relisant à voix haute :* « la vocalisation même donne une nouvelle tournure ou une autre signification. A chaque fois qu’on lit, on trouve une actualité du texte. » * Quand on est écrivain, on peut aussi se relire soi-même : *« oui je me relis, j’essaye d’adhérer le plus possible à l’écriture en tant qu’écriture. » * Et de citer la formule de Guy Debord :* « pour savoir écrire il faut savoir lire, et pour savoir lire il faut savoir vivre… »*
Quelques lignes à (re)lire…
« J’entends par expérience intérieure ce que d’habitude on nomme expérience mystique : les états d’extase, de ravissement, au moins d’émotion méditée. Mais je songe moins à l’expérience confessionnelle , à laquelle on a dû se tenir jusqu’ici, qu’à une expérience nue, libre d’attaches, même d’origine, à quelque confession que ce soit. C’est pourquoi je n’aime pas le mot mystique .
Je n’aime pas non plus les définitions étroites. L’expérience intérieure répond à la nécessité où je suis – l’existence humaine avec moi – de mettre tout en cause (en question) sans repos admissible. »
Georges Bataille, L’Expérience intérieure , 1943, Gallimard (Paris), 1978
Hors-Champs - RELIRE
/4 : Philippe Sollers
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