RELIRE (5/5) : Marianne Alphant

France Culture
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On termine cette semaine "Relire" avec l'écrivain et critique littéraire Marianne Alphant. Passionnée de littérature et d'art, elle est l'auteure de Ces choses-là , Claude Monet. Cathédrale(s) de Rouen ou encore Petite Nuit pour ne citer que les plus récents. Au micro de Hors-Champs, elle évoquera la manière dont les mots peuvent résonner longtemps en nous...

Marianne Alphant : "Ne plus jamais pouvoir relire la Comtesse de Ségur serait un châtiment, une mutilation"
Marianne Alphant : "Ne plus jamais pouvoir relire la Comtesse de Ségur serait un châtiment, une mutilation"

« Un jour, j’ai entrepris de faire la liste de ce que j’avais lu. » Une année, après un événement tragique de sa vie, Marianne Alphant s’est mise à lister tous les livres qu’elle lisait, comme une tentative de renaître à travers les livres en numérotant les textes lus. « Cela m’a donné le sentiment de l’importance du rôle consolateur, décisif, fondateur, des livres ». Au bout d’un moment, elle commence à séparer dans ses carnets les lectures des relectures .

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Pour Marianne Alphant, relire est moins fatigant que lire . « Les livres que je relis ne demandent aucun effort, c’est comme retrouver un pli ancien, adorable, c’est retourner vers une vie intérieure, vers une enfance. » Pour l’auteure, la première lecture introduit une forme de désordre, « lire est un chantier. Cela demande une mobilisation forte et intense de toutes sortes de forces, tandis la relecture ne demande aucun effort. D’un côté, le désordre, et de l’autre un retour à l’intérieur d’une maison bien rangée où tout est en ordre et où on est bien. »

Marianne Alphant
Marianne Alphant
© Radio France - Corinne Amar

Mais à chaque moment son activité. Le matin – « lorsqu’on est prêt à l'aventure » – elle lit. Le soir – *« à mesure que l’énergie de la journée décline » * – elle préfère relire. Il y a aussi différentes sortes de relectures : « si je relis Proust, je suis un peu chez moi mais en même temps dans la surprise permanente. » Le soir, mieux vaut donc relire un bon vieux Maigret ou un Agatha Christie qu’on connaît par cœur. « C’est relire pour retomber dans un état de sérénité, de réassurance. » Quand on découvre des livres pour la première fois, on est dans la désolation, explique Marianne Alphant, alors qu’avec la relecture, on est dans la consolation. « Je connais bien les ficelles d’Agatha Christie, mais ce n’est pas grave, c’est un rendez-vous avec un monde qu’on connaît, qui vous appartient, qui vous a constitué. »

« Ce qui vous porte vers un livre est totalement obscur. Il y a des livres que j’ai lus soixante fois. Même si je les connais par cœur, cela n’a aucune importance. » Elle fait l’analogie avec la musique : quand on sait comment jouer un morceau, on peut le jouer toute sa vie. Dans la relecture, c’est pareil, « on revient sur quelque chose qu’on a su lire, qu’on sait toujours lire, qui est de l’ordre d’une connaissance que l’on rejoue. C’est inépuisable. »

Parmi ses relectures fétiches, outre Christie ou Simenon, il y aussi Colette, qu’elle découvre vers l’âge de vingt-cinq ans « car ma mère ne voulait pas qu’on lise Colette. Mais quand je l’ai découverte, je l’ai beaucoup lue et relue, même si je m’en suis un peu détachée maintenant. Il y a quelques livres d’elle qui font partie de ce fond de lectures inépuisables ( Chéri, La Chatte, Gigi*). » * Et il y aussi Zola, bien que le seul roman qu’elle puisse lire indéfiniment est Au bonheur des dames , « car c’est le seul qui ait une fin heureuse. Tous les livres que je relis ont une fin heureuse. Je pense que je n’aurais pas pu relire des livres qui ont une fin malheureuse, c’est très enfantin. » Relire, poursuit Marianne Alphant, serait comme rester sur « un mystère insondable et on y revient en sachant qu’on ne le comprendra jamais… »

Extraits sonores :

  • Georges Simenon interviewé par Armand Bachelier, bande versée par la RTBF, archive INA de 1968
  • Colette au micro de Francis Didelot et Ange Gilles, 3 octobre 1952, RTF

Quelques lignes à (re)lire...
« Est-ce que le douanier n’a pas perçu un bruit étranger à la tempête ? Il n’en est pas sûr. Il rit d’abord en voyant le noctambule perdre l’équilibre, faire plusieurs mètres en arrière, tellement penché que la pose en est incroyable.

Il s’étale sur le sol, au bord du trottoir, la tête dans la boue du ruisseau. Le douanier se frappe les mains sur les flancs pour les réchauffer, observe avec mauvaise humeur le foc dont les claquements l’irritent.

Une minute, deux minutes passent. Nouveau coup d’œil à l’ivrogne, qui n’a pas bougé. Par contre un chien, venu on ne sait d’où, est là, qui le renifle.

– C’est seulement à ce moment que j’ai eu la sensation qu’il s’était passé quelque chose ! dira le douanier, au cours de l’enquête. »

Georges Simenon, Le Chien jaune , A. Fayard (Paris), 1931**

Hors-Champs - RELIRE

/1 : Laure Murat

/2 : Maylis de Kerangal

/3 : Joël Pommerat

/4 : Philippe Sollers

/5 : Marianne Alphant

Merci à l'équipe de Hors-Champs : Laure Adler à la production ; Anne Kobylak et Didier Lagarde à la réalisation ; Corinne Amar, Elodie Royer et Julien Rosa à la préparation. Merci également à l'ensemble des documentalistes de l'INA qui nous ont aidés à préparer ces émissions, ainsi qu'aux technicien-ne-s à la prise de son. On se retrouve dès lundi 4 janvier 2016 pour la rentrée des classes en compagnie de l'anthropologue et mllitant américain David Graeber. Bon weekend sur France Culture et franceculture.fr !

Toute l'équipe de Hors-Champs vous souhaite une bonne et heureuse année 2016