Robert Linhart : "J'ai vécu Mai 68 comme une crise de folie"

Photo prise dans les années 1970 des chaînes de montage de l'usine PSA Peugeot Citroën de Sochaux.
Photo prise dans les années 1970 des chaînes de montage de l'usine PSA Peugeot Citroën de Sochaux. ©AFP - HO/AFP
Photo prise dans les années 1970 des chaînes de montage de l'usine PSA Peugeot Citroën de Sochaux. ©AFP - HO/AFP
Photo prise dans les années 1970 des chaînes de montage de l'usine PSA Peugeot Citroën de Sochaux. ©AFP - HO/AFP
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Laure Adler s'entretient avec Robert Linhart dans un "Hors-champs" diffusé pour la première fois le 1er février 2011 puis rediffusé en 2013. Le sociologue et philosophe retrace sa vie, raconte son expérience d'établi après Mai 68, ses périodes d'hospitalisation jusqu'à son mutisme déclenché en 1981.

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Laure Adler reçoit Robert Linhart qui commence par raconter son histoire familiale douloureuse, lui qui est né à Nice en 1944 grâce à des Justes qui ont caché sa mère enceinte et son père.

Les Palazzi ont été formidables, ce sont des Justes. Lorsque mes parents leur faisaient remarquer le risque qu'ils prenaient, ils disaient  : "Non, non ce n'est pas grave nous on est vieux, vous vous êtes jeunes. C'est donc votre vie qui prime sur la nôtre." Très beau. Voilà les circonstances de ma naissance. A Nice, c'est une infirmière pétainiste qui m'a mis au monde. Elle leur a dit : "Il faut tout prendre aux Juifs mais leur laisser la vie." C'est pour cela que je suis là, enfin je crois.

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Il revient sur la création à Normale Sup de l'Union des Jeunesses Communistes Marxistes-Léninistes, après un voyage en 1964 en Algérie où il se convertit au marxisme-léninisme-maoïsme. Un autre voyage en Chine en 1967 l'a rendu très pro-chinois. Il se souvient alors du début de Mai 68 qu'il a vécu comme "une crise de folie". Il raconte avoir même "disjoncté" en s'enfuyant dans les bois avant d'être finalement hospitalisé.

A l'hôpital on ma fait dormir surtout, une cure de sommeil en quelque sorte. Et puis on m'a donné des neuroleptiques, des choses comme ça pour calmer mon exaltation. [...] On ne me laissait pas sortir, il fallait en passer par là, c'était une étape nécessaire à ma guérison.

Robert Linhart évoque alors l'écriture de son livre "L’Établi" sorti en 1981. Il l'a écrit dix ans après s'être établi à l'usine Citroën : "Je me souvenais de tout et je l'ai écrit en quelques mois, en peu de temps." Il explique n'avoir pas pris de notes pendant cette expérience, "c'était un peu trop prenant et à l'époque je ne le faisais pas pour écrire un livre mais pour faire la révolution !" L'ancien militant maoïste dénonce l'ambiance humiliante de l'usine, le système "tayloriste classique".

Tout en nous crie : "Je ne suis pas une machine !" Et en effet il s'agit de fabriquer des 2 CV et le rythme de la chaîne me rejette très vite. J'essaye de tenir la cadence et ça devient impossible. Tout ce qui me paraissait lent, me paraît maintenant très rapide.

A la fin de l'entretien, Robert Linhart revient sur son entrée dans le mutisme en 1981 à la suite de l'étranglement d'Hélène par son mari Louis Althusser.

L'idée d'être un rescapé remonte à loin, ça remonte déjà aux circonstances de ma naissance, ce n'est pas neuf.