" Voir un film c’est vivre sa vie et imaginer celles des autres" : épisode • 4/5 du podcast Jean Douchet fait son cinéma

Jean Douchet
Jean Douchet ©AFP - MIGUEL MEDINA / AFP
Jean Douchet ©AFP - MIGUEL MEDINA / AFP
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Jean Douchet,l’un des plus grands passeurs de l’histoire du cinéma a accepté de nous livrer ses manières de voir un film et d’expliquer les raisons pour lesquelles le cinéma est un art qui met en branle l’imaginaire du spectateur en faisant appel à son esprit de rêverie et à son sens de la beauté.

Avec
  • Jean Douchet Cinéaste, historien et critique de cinéma (1929-2019)

Laure Adler reçoit Jean Douchet, cinéaste, critique et historien du cinéma.

Vos premiers travaux de critique portent sur Alfred Hitchcock. Comment avez-vous découvert son cinéma ?

J’ai admiré très tôt Hitchcock, dès 1946. En particulier avec L’Ombre d’un doute qui m’a complètement fasciné. Ce qui m’a frappé chez lui c’est son évolution : de ce cinéaste anglais au départ, puis un cinéaste qui découvre qui arrive à Hollywood et découvre sa capacité à comprendre l’Amérique, et jusqu'à devenir ce cinéaste ex-anglais devenu parfaitement américain, ou en tout cas « assumant » l’Amérique avec Fenêtre sur cour.

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Vos analyses de son cinéma allaient à rebours à l'époque de l'image un peu partielle que l'on donnait du "maître du suspense" ?

Oui, il y avait un côté un peu péjoratif dans cette formule du « maître du suspense », ça fait pas sérieux. C’est un peu comme dire le maître du grand guignol. Pour moi, le suspense n'était pas la question la plus intéressante. Le suspense est présent dans toute la dramaturgie depuis l’Antiquité. La question c’est qu’est-ce que Hitchcock fait du suspense ? Et comment il le produit ? Sur le plan de la construction dramatique, Hitchcock accordait une place capitale au spectateur. C’est lui qui a inventé cela au cinéma. 

Comme Nathalie Sarraute en littérature ?

Oui, pour lui ce n’est pas lui qui faisait le film, c’est le spectateur. Aujourd’hui encore, beaucoup de films sont des enfants du système hitchcockien. Hitchcock ne prétend pas montrer un "réel" fictionné au spectateur : au contraire il prend le spectateur qui vient lui du "réel" et en le faisant entrer dans la salle, il lui visse une caméra dans le crâne et dans les yeux. Et c’est le spectateur qui projette le film qu’il a envie de voir. A la fin de son parcours de cinéaste, Hitchcock va même jouer sur une dualité homme/femme, en instaurant une contradiction conflictuelle de réception entre spectateurs et spectatrices, suscitant alternativement crainte du crime ou désir du crime par exemple. Les deux pouvant évoluer chez chacun au film du film. C’est ce jeu extrêmement complexe que donne le cinéma de Hitchcock. C’est de l’artisanat très pensé. A chaque moment du scénario, il pense au spectateur. Que va-t-il penser ? Qu’est-ce qu’il va ressentir ? Le film était une totale construction mentale, sensorielle, psychique.    
 

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