

Metteur en scène, auteur-comédien, cinéaste et directeur du Théâtre national de la Colline, Wajdi Mouawad s'entretient avec Laure Adler.
Il est père d’une petite fille. Que lui suggère cette enfant qui grandit, à lui qui a fait du thème de la mémoire familiale le cœur de son œuvre artistique ? « Ce qui a surgi, je dirais, c’est le regard de mes parents sur moi à l’âge de mon enfant. C’est comme si au fond les choses se déployaient en poupée russe. Plus ma fille se déploie, et plus je me déploie dans le regard de mes parents. »
D’où le thème de la transmission lui vient-il ? « C’est venu pendant l’adolescence, et de ce hiatus qui a surgi lorsque, découvrant la littérature, (…) j’ai commencé à mesurer la schizophrénie qui existait entre le silence brisé grâce à la littérature et le silence opaque de la famille dès que je refermais le livre ».
Né dans une famille qui a fui le Liban, Wajdi Mouawad fut le témoin privilégié de la douleur de l’exil. « Il y avait trop de honte, trop d’humiliations dues aux douleurs, aux souffrances vécues par mes parents et par la génération de mes parents… »
« La question de la transmission a surgi en me disant : lorsque mes petits-enfants arriveront, (…) il sera très important de me souvenir de la puissance de la parole, il faudra trouver le courage pour raconter. Même si c’est humiliant ou honteux, transmettre, ce n’est pas seulement enseigner, ce n’est pas que ça. C’est faire ressentir, bouleverser, enflammer, bruler, illuminer la conscience de l’autre…»
C’est à huit ans que Wajdi Mouawad quitte, en famille, son pays natal. D’abord pour la France, puis pour le Québec. « Dans mon cas, la résilience était beaucoup plus puissante chez moi que chez ma mère ou mon père, je m’adaptais parfaitement aux nouvelles réalités : je découvrais la langue française en France, je découvrais le théâtre au Québec, (…) Je construisais une nouvelle langue poétique qui était la mienne. Tout cela devenait très étranger à mes propres parents. Il y a donc eu une sorte de séparation en plus. (…) C’est comme si je partais en fugue : plus on partait en exil plus moi je partais en fugue. »
Il évoque Georges Brassens et Jacques Brel dont il dit qu’avec Gotlib, ils lui ont appris à parler français ; et également cet auteur qui a libéré son imaginaire littéraire, Franz Kafka :
« Voici que celui qui se pose la question de la langue, Tchèque écrivant en allemand, se demande ce que c’est que d’être juif, celui-là est devenu beaucoup plus proche de moi, que les êtres que je côtoyais tous les jours qui m’étaient devenus tout à coup étrangers. Cette expérience-là de la littérature dans ce qu’elle a d’explosif a scellé quelque chose. Je ne voulais appartenir qu’à ça… »
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