Julien Gosselin : "Je suis pétrifié par le manque de réactivité du gouvernement sur l'art et de la culture"

Julien Gosselin
Julien Gosselin ©AFP - Philippe Huguen
Julien Gosselin ©AFP - Philippe Huguen
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Arnaud Laporte s'entretient aujourd’hui avec le metteur en scène Julien Gosselin.

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Son adaptation et sa mise en scène des Particules élémentaires de Michel Houellebecq avait été l’évènement du Festival d'Avignon 2013. Julien Gosselin n’avait alors que 26 ans. Il a poursuivi ce chemin d’adaptations littéraires au long cours avec 2666 d'après Roberto Bolaño puis avec une trilogie d’après Don DeLillo.

Aujourd’hui, Arnaud Laporte, producteur de La Dispute et des Masterclasses, interroge le metteur en scène Julien Gosselin, qui présentait jusqu’à la crise sanitaire ses spectacles dans le monde entier.

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A quoi pensez-vous ?

Julien Gosselin : Je pense au théâtre que je vais faire après tout ça, le plus vite possible. Je commence sérieusement à m'ennuyer. Enfin, pas tant à m'ennuyer d'ailleurs, parce que je peux goûter la période à certains égards, mais disons que plus j'ignore ce qu'il faut faire comme théâtre après ça, plus j'ignore quelles formes vont sortir de tout ça, et plus j'ai envie très, très vite de me remettre au travail. Donc c'est une des obsessions du moment : la lecture, l'écoute de musique, la tentative d'être ouvert au maximum et de travailler à ce que va être l'après. Je dois dire que je pense aussi beaucoup à mes amis, parce qu'ils me manquent et que j'ai hâte de les retrouver.

Est ce qu'il y a des choses que vous avez décidé de ne plus faire ?

C'est très difficile de répondre à cette question. J'aimerais bien avoir une proposition radicale à faire. Il se trouve que dans ma vie personnelle, j'ai une façon de consommer qui est relativement raisonnable. J'essaye de bien me nourrir, je n'achète pas ou peu de vêtements, j'ai très peu de biens matériels avec moi parce que je bouge beaucoup. Je bouge beaucoup et ça, ça pourrait être une chose à changer. Je me pose beaucoup de questions sur la façon dont se produisent les spectacles et les tournées. Je travaille selon un modèle qui est celui d'une compagnie indépendante et européenne, donc on a tendance à beaucoup tourner, à beaucoup se déplacer et en même temps, c'est comme ça qu'on arrive à maintenir une économie qui nous permet de faire des spectacles et de payer des artistes et des techniciens avec qui on travaille. Donc, peut-être qu'il y a des choses à changer à l'intérieur de ça, mais je ne peux pas le faire tout seul. Il faut que le modèle général change totalement.

Qu’attendez-vous des autres ?

Je suis assez déçu du manque de réponses, même si le président Macron a donné quelques éléments concernant la culture. Je suis quand même pétrifié par le manque de réactivité que peut avoir le gouvernement sur les questions de l'art et de la culture. Quand j'entends - je sais que cette information a été beaucoup reprise - que plusieurs dizaines de milliards sont débloqués par le gouvernement allemand pour la culture, je crois qu'il y a quelque chose d'immense qui pourrait sortir de ce moment là, il y a quelque chose de l'ordre d'un changement de la politique culturelle, de vrais choix qui pourraient être faits, mais on sent qu'aujourd'hui, comme dit Michel Houellebecq, cela va être « le même monde en un peu pire ». Je ne sais pas si ça va être « un peu pire », mais en tout cas, c'est toujours le même monde aujourd'hui. Mais je ne suis pas du tout résigné, même à titre très personnel. Je vais continuer à me battre, parce que je pense qu'il faut qu'il y ait quelque chose à faire en ce qui concerne mon art, le théâtre, dans le monde qui vient.

Est-ce que cette crise que l'on traverse a changé votre rapport au temps ?

Je souhaite profondément qu'elle l'ait changé à très long terme. Elle l'a changé pendant les dernières semaines et les derniers mois. Je suis quelqu'un qui fonctionnait avec une forme d'angoisse terrible et continue, qui avait tendance à être complètement paralysé. La nécessité de travailler toujours et toujours plus, d'être toujours dans le futur et jamais dans le présent, avait tendance à paralyser complètement les moments qui devaient être les moments de présent. Je crois que j'ai redécouvert quelque chose de très doux et très agréable, le fonctionnement d'heure en heure où au final, on se rend compte qu'on a fait plus de choses à la fin de la journée, mais qu'on les a faites avec plus de délicatesse ou plus doucement. Je dois dire aussi que je suis quelqu'un qui passe sa vie dans des avions, dans des trains, j'en prends un par jour, et qui traîne tout le temps dans les bistrots, alors, je ne sais pas si on peut parler de rapport au temps, mais ma vie est quand même extrêmement modifiée.

Il y a beaucoup de questionnements autour de la réouverture des salles de spectacles, est-ce que vous pensez que le théâtre doit « s'adresser » différemment désormais ?

Je crois qu'il y a quelque chose qu'il ne faut pas perdre de vue, et je pense que ce serait un des plus mauvais enseignements à tirer de cette crise qu'on est en train de vivre, que l'on demande aux artistes d'être immédiatement en connexion directe avec le public. Evidemment, j'ai une hâte folle de tourner mes spectacles et de retrouver le public, mais il ne faut pas oublier que l'art c'est du travail et je pense que si on comparait en littérature l'écriture d'un grand roman avec l'écriture d'un journal de confinement, il y a une œuvre d'un côté qui est immédiate, qui peut avoir sa dose de pauvreté littéraire, et de l'autre côté, il y a des choses qui demandent du travail. Je veux bien continuer à faire des lectures sur Internet, et je veux bien continuer à faire en sorte que les gens puissent goûter quelque chose qui a à voir avec le théâtre dans ces prochaines semaines, mais j'ai envie de préparer des très grands spectacles pour que les gens puissent les voir quand, enfin, on pourra retrouver des conditions de vie à peu près normales. Laissons-nous le temps de travailler un petit peu.

Qu’avez-vous envie de partager ?

Je vous parlais de spectacle, et j'ai une très forte envie, justement, que le plus grand art puisse être partagé dès que possible. Je ne suis pas quelqu'un qui travaille avec la simplification ou qui travaille avec la vulgarisation. Je crois très fort à l'idée d'acharnement. Je pense que l'accès à l'art ou à la culture se produit avec des chocs esthétiques, et que c'est le rôle des artistes de se battre pour que l'art le plus complexe, le plus riche, le plus intense, le plus intéressant puisse être partagé avec le plus grand nombre. Je crois qu'il n'y a pas du tout de dichotomie entre le plus grand nombre et le plus grand art. Simplement, il faut se battre continuellement. Donc, j'ai envie de partager un verre de vin avec mes amis, et puis de partager le plus grand théâtre possible avec tout le monde.

Julien Gosselin, jeudi 21 mai 2020

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