Les avis divergent sur le moment précis où Gabrielle Chanel introduisit la marinière comme élément du vêtement féminin. Et les avis divergent aussi pour savoir de quoi il était au juste question : une veste avec un col marin, qui apparaît très tôt dans ses collections, ou bien ce tricot rayé bleu et blanc emprunté aux matelots de la Marine nationale. C’est en 1858 que la marinière avec sa stricte définition, 21 rayures blanches, 20 bleues larges de 10 millimètres, à manches longues, avait été adoptée.
Mais les biographes s’accordent bien sur certains faits, tout à fait établis. Née en 1883 à Saumur, orpheline, elle a appris le métier de couseuse chez les dames chanoinesses de Moulins et, à 20 ans, a commencé à travailler à la Maison Grampayre, ateliers spécialisés en trousseaux et layettes. Désireuse de « s’en sortir », elle s’essaye au café concert toujours à Moulins, où est stationné le 10ème régiment de chasseurs à cheval, dont les officiers la surnomment bientôt Coco. Commence alors son ascension, qui sera favorisée par Arthur Capel, surnommé Boy, homme d’affaires anglais dont elle devient la compagne et qui lui apporte les moyens nécessaires à l’ouverture d’un salon de modiste au 31 rue Cambon à Paris, sous le nom de Chanel Modes. Nous sommes en 1910 et les dames de la bonne société apprécient vivement les chapeaux qu’elle crée, sophistiqués certes, mais simples.
Alors, pourquoi 1913 est-elle une date si importante dans la vie de Coco Chanel ? Cet été là, Boy Capel loue une boutique à Deauville entre le casino et l’hôtel Normandy, tout récemment ouvert dans la station balnéaire qui connait alors sa renaissance, après sa création sous le second Empire. Une toute petite partie de la société – les vacances n’existent pas pour le peuple, sauf pour les fonctionnaires mais ils ne sont pas assez fortunés – y vient en villégiature - prolongement mondain de la vie parisienne telle que Proust a pu le décrire, en particulier dans « A l’ombre des jeunes filles en fleur » -. Et la boutique ainsi ouverte, dans ce lieu stratégique, n’est plus appelée Chanel Modes mais Gabrielle Chanel. Bientôt en effet, il n’y est plus question de chapeaux mais bien de vêtements décontractés, de sportswear où le corps est à la fois plus à l’aise et, c’est là le point, dans un statut différent pour la femme.
Et c’est comme cela qu’intervient la marinière le succès est immédiat et immense. Et c’est la guerre qui l’accroît encore. Faisant de nécessité vertu et le tissu manquant, Coco Chanel va tailler des robes de sport à partir des maillots de garçon d’écurie en jersey, ces tricots de corps pour les soldats. Elle généralise donc la marinière, elle supprime la taille, raccourcit les jupes, donne du confort. Tout cela pour les femmes de l’aristocratie. Mais, pendant la guerre, toutes les femmes, qui remplacent les hommes au travail, changent de statut, et c’est une petite révolution qui commence.
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