Les Hussards noirs de la République

Les Hussards noirs de la République
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hussards noirs
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Dans L’argent, qu’il publie en 1913, Charles Péguy évoque son enfance, quand il était écolier, à l’école primaire qui jouxtait l’Ecole normale d’instituteurs d’Orléans. C’était à partir de 1879. Après la victoire des Républicains cette année-là, la loi Paul Bert redéfinit les Ecoles normales fondées par Guizot en 1833. Les Elèves-maîtres en formation venaient enseigner à son Ecole et Charles Péguy les décrit : « Nos jeunes maîtres étaient beaux comme des hussards noirs. Sveltes, sévères, sanglés, sérieux et un peu tremblants de leur précoce, de leur soudaine omnipotence ». Hussards noirs ! Et, en effet, leur uniforme était bien noir, jusqu’à la casquette, un uniforme civique. Et Péguy d’ajouter qu’ils « étaient vraiment les enfants de République, ces nourrissons de la République, ces hussards noirs de la sévérité ». Les hussards noirs, cet escadron de cavalerie constitué en 1793 par la jeune République française, des soldats de l’an II !

Le terme va rester et qualifie bien sûr ceux qui ont incarné, durant la 3ème, voire la 4ème république, la mission civique d’instruire le peuple, cette instruction obligatoire gratuite et laïque que les lois de Jules Ferry ont instaurée dans les années 1880 – 1882. Tous les enfants de France, âgés de 6 à 11 ans pour ceux admis au certificat d’études primaires doivent bénéficier de cette instruction, tandis que le travail est autorisé pour ces jeunes gens dès 12 ans. D’autres peuvent continuer après le certificat, mais ils sont en réalité peu nombreux et les lycéens, comme les étudiants, sont une toute petite minorité.

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L’essentiel, alors, est bien dans cette école où travaillent ces instituteurs et, dès le départ, ces institutrices. Ce sont des fonctionnaires dotés d’une autorité morale même s’ils ne sont pas les plus riches. Ils et elles font partie de l’élite républicaine.

Comme les Ecoles normales sont départementales, ces maîtres viennent du peuple proche qu’ils vont instruire. Fils d’ouvriers, de petits paysans, de petits propriétaires terriens, partout en France, ils commencent à gravir l’échelle sociale sans pour autant s’éloigner encore de ceux qu’ils côtoient. En trois décennies, la population française évolue vite, s’urbanise, voit son espérance de vie augmenter. La langue française s’impose sur les patois et les langues, parfois de force. La déchristianisation avance, le niveau général d’éducation croît rapidement, tandis que les maîtres incarnent le projet de laïcisation et, dit Péguy lui-même, « une métaphysique positiviste ». « C’était, explique-t-il, la célèbre métaphysique du progrès ».

Et, Péguy ajoute qu’en 1879, « ils étaient toujours prêts à crier « Vive la République ! Vive la Nation, on sentait qu’ils l’eussent crié jusque sous le sabre prussien. Car l’ennemi, pour nous, confusément, tout l’ennemi, l’esprit du mal, c’était les Prussiens. Ce n’était déjà pas si bête. Ni si éloigné de la vérité. C’était en 1880. C’est en 1913. Trente-trois ans. Et nous y sommes revenus ». Fin de citation.

En 1914, ces instituteurs, avec les élèves qu’ils ont formés, partent au front. Ils paieront le même tribut que les autres Français à leur patrie.

> Retrouvez aussi notre Grande Traversée consacrée à l'été 1913.

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