L'écriture aux limites, avant la fracture

Latude, Chemise écrite avec son sang en 1761 à la Bastille
Latude, Chemise écrite avec son sang en 1761 à la Bastille  - BnF I Arsenal, BnF
Latude, Chemise écrite avec son sang en 1761 à la Bastille - BnF I Arsenal, BnF
Latude, Chemise écrite avec son sang en 1761 à la Bastille - BnF I Arsenal, BnF
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Des manuscrits qui font corps avec des situations extrêmes

Avec
  • Annie Franck Psychanalyste
  • Laurence Le Bras Responsable du fonds Guy Debord à la Bibliothèque nationale de France

Comment les mots peuvent encore témoigner de nos existences soudain tremblées ? Ce sont eux auxquels nous nous raccrochons dans les moments extrêmes de la vie, quand nous nous trouvons à sa pointe finale, ou que nous gémissons sous l'aiguillon inassouvi du désir, ou que nous nous trouvons sous l'empire de l'angoisse absolue. Dans les situations de désespoir ou sous l'emprise des expériences limites de la conscience. Dans la détresse, le manque absolu ou la peur, quand tout vacille, quand nous présumons que ces mots seront les derniers ou le peu qu'il pourrait rester de nous. Ce sont par exemple les mots écrits au revers de l'assise d'une chaise de torture. Ou les mots écrits avec du sang sur les linges. Ou des lettres minuscules cachées dans un ourlet. Des micrographies clandestines. Ou un papier déchiré, jeté par une ouverture depuis un train qui conduit vers la mort. Mais aussi, des mots ressassés, branlés par le désir impérieux. Mots gravés sur de larges pages inspirés par les esprits souterrains qui agitent les tables de notre inconscience. Mots dessinés par les psychotropes. Mots du deuil. Tous ces documents minuscules, parfois, sont des monuments. Des immenses reliques dédiées à la vie. A la vie, à nos vies. Ce sont ces documents absolus, ces documents miraculeusement recueillis et chéris que l'exposition de la Bnf nous confie pour que nous puissions à notre tour témoigner de ce qui a été... Manuscrits de l'extrême (Prison, passion, péril, possession), du 9 avril au 7 juillet 2019 à la BnF.

Enfants d’Izieu [anonyme] Dessin du « Retour à la maison et à l’école » [Entre 1942 et 1944]
Enfants d’Izieu [anonyme] Dessin du « Retour à la maison et à l’école » [Entre 1942 et 1944]
- Dpt des Estampes et de la photographie, Réserve, BnF

"L'exposition a été totalement inventée à partir de tous ces billets, ces petits feuillets épars que l'on conserve dans nos collections au même titre que les manuscrits les plus célèbres." Laurence Le Bras

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"Ces manuscrits sont aussi précieux pour la mémoire en ce qu'ils transmettent nos états d'âme, nos sentiments dans les situations les plus difficiles qu'un être humain ait à traverser dans une vie..." Laurence Le Bras

"Le trauma est une situation où la capacité à s'adresser à autrui semble pulvériser par le choc. La capacité de se représenter soi-même et de représenter la situation dans laquelle on est plongé se dissout totalement sous l'effet de ce choc. C'est bien plus que simplement être bouleversé. Etre conduit aux limites de ce qu'on peut se représenter soi-même et aux limites de notre capacité à se sentir humain s'adressant à d'autres êtres humains." Annie Franck

Alfred Dreyfus, Cahier de travail à l’île du Diable Feuillet de notes avec dessin obsessionnel 1895-1896.
Alfred Dreyfus, Cahier de travail à l’île du Diable Feuillet de notes avec dessin obsessionnel 1895-1896.
- Dpt. des Manuscrits, BnF

"A travers ces manuscrits, on est dans le moment qui précède la pulvérisation." Laurence Le Bras 

"Ecrire c'est toujours, même quand il n'y pas de destinataire précis, s'adresser à un possible autre qui lira ces petits billets, ces textes par la suite... Ce moment où les mots ont encore ce pouvoir de conjuration du sort" Laurence Le Bras

"Dans une situation de dénuement, notamment les prisonniers, dans la section prison, un certain nombre de manuscrit témoigne de la ruse d'écrire coûte que coûte... L'écriture avec le sang, l'écriture sur du tissu, l'écriture avec une épingle, l'écriture sur du bois, l'écriture sur des feuillets de papier hygiénique..." Laurence Le Bras

Bernard Maître, résistant, arrêté le 20 décembre 1943 et enfermé à la prison de Vesoul. Message réclamant du matériel pour s’évader, écrit à la pointe d’épingle.
Bernard Maître, résistant, arrêté le 20 décembre 1943 et enfermé à la prison de Vesoul. Message réclamant du matériel pour s’évader, écrit à la pointe d’épingle.
- © Musée de la Résistance et de la Déportation de Besançon

"Par les mots il y a cette tentative de transcrire dans le langage cet impensable de la prochaine mort, puis la mort effective de son fils Anatole" (Ecrits de Stéphane Mallarmé) Laurence Le Bras

"L'artiste est peut-être toujours sur ce fil en contact avec cette expérience en lui du risque de basculer qui n'aurait plus forme ni adresse possible." Annie Franck

"Tous les manuscrits (présents dans l'exposition) nous confrontent tous à un moment où il y a un risque pour notre humanité, notre façon d'être un être humain ; parce qu'il y a un risque que tout soit menacé. Soit un deuil, soit un désir incandescent, un état de conscience différent... " Laurence Le Bras

Simone et Marie Alizon, Message jeté du train de déportation 24 janvier 1943.
Simone et Marie Alizon, Message jeté du train de déportation 24 janvier 1943.
- © Archives Nationales

"Ces billets écrits dans une situation extrême témoigne aussi d'un état d'esprit extrême et nous sont parvenus de façon presque miraculeuse par des voies extrêmes". Laurence Le Bras

"Ces expériences limites nous ramènent à l'essentiel... Il n'y a plus cette espèce d'entourage, ces enveloppes successives qui entourent le noyau de l'humanité qui est en nous." Annie Franck

Victor Tardieu, Lettre à son fils Jean Tardieu, sur laquelle il essaie de noter les coups de canon qu’il entend au moment où il écrit et la proximité de l’éclat des obus, sous la forme de points plus ou moins gros entre les lignes, 5 juillet 1916
Victor Tardieu, Lettre à son fils Jean Tardieu, sur laquelle il essaie de noter les coups de canon qu’il entend au moment où il écrit et la proximité de l’éclat des obus, sous la forme de points plus ou moins gros entre les lignes, 5 juillet 1916
- © Bibliothèque de l’Institut National d’Histoire de l’Art, coll Jacques Doucet

"Dans les situations extrêmes, on accède à une lucidité qu'on n'est pas capable d'avoir dans d'autres circonstances" Laurence Le Bras

"Des manuscrits qui font corps avec la situation" Laurence Le Bras

"L'idée de l'exposition est venue d'un manuscrit, dont la matérialité rend compte très directement qu'il était en train de se passer quelque chose d'inhabituel. C'est le manuscrit de Louis-Auguste Blanqui, Le manuscrit de L'éternité par les les astres, son dernier ouvrage..." Laurence Le Bras

Auguste Blanqui, L’Eternité par les astres, 1871
Auguste Blanqui, L’Eternité par les astres, 1871
- Dpt. des Manuscrits, BnF

Lecture des textes par Eric Herson Macarel

Citation 1 Anonyme « Dieux des putes… »

Musique : Olivier Menini ‘’Neufs esquisses acousmatiques’’

Citation 2 : Mallarmé

Musique : Michel Pascal ‘’Puzzle’’

Citation 3 : Suzanne

Musique : Michel Redolfi ‘’Le saut périlleux’’

Citation 4 : Simone et Alyzon

Musique : Michel Banabila ‘’Piano n°2’’

Citation 5 : Fertet

Musique: Haco ‘’Start up + Nowave’’

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